Je vous aimais. L’amour encore — est-il possible
qu’il ne soit que douleur ? — taraude mon cerveau.
Tout est allé au diable et en mille morceaux !
J’ai voulu me flinguer. C’est un acte pénible
avec une arme, et puis les tempes sont deux cibles.
Sur laquelle tirer ? Je ne tremblais pas trop.
Je fus songeur. Tant pis. Tout n’est pas comme il faut !
Je vous aimais d’amour sans espoir, invincible…
Dieu vous en donne un autre — il n’en donnera pas !
Lui qui est si savant sur les choses futures
jamais deux fois – dit Parménide – il ne fera
que ce feu dans le sang, craquement d’ossature
tel que fondent de soif dans la gueule les plombs,
effleure votre tête – et je biffe « tétons ».
*
I loved you. And my love of you (it seems
it’s only pain) still stabs me through the brain.
The whole thing’s shattered into smithereens.
I tried to shoot myself — using a gun
is not so simple. And the temples: which one,
the right or left? Reflection, not the twitching,
kept me from acting. Jesus, what a mess!
I loved you with such strength, such hopelessness!
May God send you in others — not a chance!
He, capable of many things at once,
won’t — citing Parmenides — reinspire
the bloodstream fire, the bone-crushing creeps,
which melt the lead in fillings with desire
to touch — « your hips, » I must delete — your lips.
***
Joseph Brodsky (Léningrad 1940-New York 1996) – Vingt sonnets à Marie Stuart – Editions Les Doigts Dans La Prose (2014) – Traductions de Claude Ernoult, Peter France et Joseph Brodsky.