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(feuilleton) Cécile Riou, "Phrase unique", 19

Par Florence Trocmé

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(…) quoique le contraire soit souvent bien difficile à définir, je clamerais volontiers ici que le nid est le contraire de la cage, construction précaire dans ses balbutiements, brindille dans mon panier de plastique rouge déposée par la merlette, le merle, ce n’est pas signé, lambeaux de mousse verte arrachée déposée au fond, cela me plait que ces constructeurs siffleurs veuillent bien habiter plus près de ma carpe japonaise, à l’ombre de la carpe japonaise de tissu, qui flotte gentiment dans la cour, et je me demande s’ils se construisent « une chambre à soi » (Virginia Woolf) et surtout comment je vais pouvoir me servir de mon panier de plastique rouge mercredi prochain, panier je parie perdu pour la cause des végétaux, devenu chambrette, nursery, jardin d’enfants, comme toutes ces (…)
(…) choses qui changent
« la forme d’une ville change plus vite hélas que le cœur des humains » Charles Baudelaire, Jacques Roubaud
le visage et même le corps après quarante ans (il paraît)
la couleur du ticket de bus de ville,
les chaussettes, et le slip, tous les jours
le cours des devises (au contraire du cours de l’onde pure, qui lui ne change pas)
les noms des villes : Avaricum, Bourges ; Saint-Pétersbourg-Leningrad-Saint-Pétersbourg, Byzance-Constantinople-Istanbul…
les codes de sécurité du réseau, de l’ordinateur, de l’immeuble (il s’appelle alors digicode, comme si on composait les autres avec ses pieds)
le goût
la mode (« je trouve les caprices de la mode chez les Français, étonnants») (…)
(…) le motif du Japon dans les tableaux de Bonnard, qui sont davantage motifs moteurs que simple décor, ou bien qui sont davantage motifs décoratifs que motivation à avancer un peu plus loin, aussi vrai que la lumière pleut dans ses jardins kakemono, ses jardins paravents, ses jardins sans clôture entre l’intime du bain, du tub, de la toilette et l’intime du regard-couleur – on est toujours un peu voyeur, ou complice, comme à regarder L’évasion de Rochefort en souhaitant que ses hommes au visage invisible (touche large) ne soient pas pris dans les flots de la mer immense, coque d’écale de noix sombre sur le bleu, « où ai-je lu que les expositions étaient des lieux érotiques ? J’ai vu », avec l’émotion de certaine exposition pas si ancienne et très cosmopolite, des Nabis aussi pris dans les Alpes, et la surprise attendrie de reconnaître là les (…)
(…) choses qui évoquent le Japon
Les nabis, et Bonnard en particulier
le Yuzu, en marmelade
très indirectement les indications de direction bilingues au métro « Palais-Royal Musée du Louvre »
l’érable du jardin parisien, sous les fenêtres, feuillage vert tendre délicat, qui s’appelle, je le sais momiji, et que j’ai longtemps appelé Momiko (ce qui signifie tout autre chose mais quoi ?)
tristement, pour mes enfants, les centrales nucléaires accidentées (car ils ne connaissent Tchernobyl que de Fukushima)
le cerisier double de la rue Mazarine, pluie rose dans le caniveau
les formules que l’on apprend avant sa première prise de judo, comme « Adjime » et « Maté» (orthographe phonétique, évidemment, puisque braillées sous la structure Pailleron du dojo) , associée au mot dojo, et au mot tatami (qui pue les pieds, alors que les tatamis au japon non)
les masques hygiéniques
le motif de la mer, petits éventails d’écaille emboités (…)


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