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(feuilleton) Cécile Riou, "Phrase unique", 21

Par Florence Trocmé

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(…) comme le souvenir persistant, quoiqu’on veuille bien considérer que ce n’est rien qu’une éraflure, que le vernis de l’ensemble est assez intact, que la montre fonctionne encore, ce n’est pas parce que la trotteuse s’est arrêtée pendant trois secondes que la marche du monde en devient boiteuse, pourtant la petite contrariété va son pas de souris, elle s’insinue dans la pomme tranchée qui a le goût de l’aboiement, dans les mille trous de la mie de pain qui boit le battement plus rapide du cœur, elle suinte dans le luisant du Saint-Nectaire répandu hors de sa croûte grise douce duveteuse et s’étale jusqu’à vingt heures passées, puis la courtisane japonaise vient depuis le dix-septième siècle vous frotter le dos, vous caresser et défaire sa ceinture, arranger le paravent et disposer l’oreiller de bois, alors le sommeil vient la prendre dans son piège de grille de fer, dans sa souricière, la petite contrariété disparue, et au réveil, il ne reste d’elle que la douleur sourde des (…)
(…) CHOSES QUI METTENT MAL A L'AISE
avoir l’arrière de sa jupe rentrée dans son collant, l’hiver, dans sa culotte l’été, sans savoir depuis combien de temps
personne ne vous dit que vous avez une feuille de persil collée sur l’incisive
l’odeur de vomi (caché où ?) dans les transports en commun
se rendre compte que ce garçon qu’on jugeait charmant, qui avait toutes ses chances auprès de vous, multiplie les fautes d’orthographe dans ses textos
surprendre une conversation qu’on n’aurait pas dû entendre
être mis en cause en public, c’est très embarrassant
oublier ses clés
on vous offre des fleurs mais vous n’avez pas de vase
vivre dans une ville trop petite et croiser toujours les mêmes visages, sans savoir qui est qui
demander, parce que vous êtes vraiment pressée, à un ami de casser lui même la vitre arrière de sa voiture – il s’est proposé de faire le taxi, et a enfermé les clés à l’intérieur, vous allez être en retard
les adolescentes qui s’aspergent toutes les heures de déodorant parfumé à la vanille, dès le mois d’avril
ne pas trop savoir pourquoi on a perdu le contact, au juste, ni comment renouer cette vieille amitié moribonde (…)
(…) peut-être  en ouvrant le capuchon brillant d’inox du stylo-plume, un peu désuet, de marque Waterman qui vous accompagne depuis que vous avez quatorze ans (pour être juste c’est une réédition de celui qui vous aviez reçu pour votre communion – eh oui, vous avez fait votre communion, même la petite et la grande, dite solennelle, et c’était déjà un peu désuet, comme les étains du Prince et les cadres de la Fontaine Pétrifiante, le walkman Sony et les cassettes 90 minutes, comme les t-shirts Fido Dido que vous portiez sous votre aube de location, et ça ne se voyait pas), en adressant une lettre qui ne serait pas un poème pourquoi pas, une lettre qui serait une sorte de Monsieur Monsieur, un vous et vous même, un accent grave et accent aigu, vous demanderiez comment va le monde, les volcans, « le printemps était malade, il a mangé trop de salade » vous entendriez une voix petite de Madame Madame, qui vous chanterait des (…)
(…) CHOSES QUI SONT DOUCES
les oreilles d’un lapin
certaine préparation de hareng
recevoir un appel attendu toute la journée, sans inquiétude aucune
la grasse matinée
un menton rasé de très très près
l’ananas dans la recette du porc à l’aigre- (recette brésilienne)
(…)


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