Bonne lecture à tous !
Chapitre 6
Diamonds and rust
Malgré notre conversation, mes rapports avec Antje Ziegler ne se détendirent pas immédiatement. Il ne me fut pas difficile de deviner pourquoi. Elle voulait simplement s’assurer que j’honorerais ma promesse de ne parler de l’état de santé de sa mère à personne. Je n’en fis rien, bien entendu. Je respectais presque toujours mes engagements et raconter cette histoire — qui au demeurant ne me regardait pas — ne m’aurait rien apporté. Une fois cette certitude acquise, Antje prit l’habitude de s’asseoir entre Remus et moi pendant les repas et d’écouter nos conversations. Elle restait silencieuse la plupart du temps mais nous voyions bien qu’elle nous accordait toute son attention. Bien entendu, nous n’évoquions rien d’interdit ou de secret en sa présence. Nous discutions de généralités, des profs qui nous surchargeaient de travail à cause des BUSE, des cours, du Quidditch et de Rogue qui n’était qu’un crétin. Ce fut d’ailleurs lors d’une conversation à propos de l’affreux petit Serpentard que j’entendis Antje rire pour la première fois. Nous venions d’étudier en cours de sortilèges le charme du Gruyère qui, comme son nom l’indique, permettait de faire des trous. Pour le réaliser, il suffisait de se concentrer, d’imprimer avec sa baguette magique la forme qu’on voulait donner à son trou et de prononcer la formule. James, qui avait maîtrisé le sort en un temps record, avait émis l’idée de se poster dans un coin, d’attendre que Rogue arrive et de faire un trou à l’endroit où il devait passer pour qu’il s’y prenne les pieds et s’étale comme une énorme bouse de dragon. Nous fûmes tous très amusés par ce plan et, en jetant un regard à Antje, je constatai qu’elle gloussait derrière sa main. Ses yeux brillaient et ses joues étaient toutes roses. Jamais je ne lui avais vu une telle expression et force était de constater que c’était bien plus agréable que son habituel air déprimé et ronchon. Dans tous les cas, James était très content d’être parvenu à la faire rire.
« Dis, Antje, tu aimes bien quand on embête Servilus ? » lui demanda-t-il.
Elle resta silencieuse un moment comme si elle prenait le temps de choisir ses mots.
« Eh bien, dit-elle avec lenteur, il est tellement ignoble avec moi que quand vous lui faites des blagues, c’est une sorte de vengeance par procuration.
— Ce type est immonde, assénai-je. Il est répugnant et lèche-botte avec ses cheveux tout gras. Je parie qu’il ignore totalement l’existence de cette invention géniale appelée shampoing et qui permet aux cheveux d’être propres. Je me demande comment il peut se voir dans une glace. »
Je me retins au dernier moment d’ajouter quelque chose sur Lily Evans qui était la seule fille à lui adresser la parole. James l’aurait mal pris. Antje haussa les épaules et la conversation dériva sur autre chose.
J’étais content parce que progressivement, elle se montrait un peu moins timide et un peu plus expressive. Peter faisait toujours un peu la tête en sa présence mais James et Remus semblaient la trouver gentille. Mon meilleur ami me demanda plusieurs fois comment j’étais parvenu à la faire sortir de son isolement mais je restai assez vague sur cette conversation que j’avais eue avec elle, après qu’elle ait reçu la lettre de ses parents.
Par curiosité, je me rendis un jour dans la bibliothèque feuilleter un livre sur la médecine moldue. La mère Pince manqua d’avoir une attaque en me voyant débarquer dans son antre. Elle se méfiait de moi comme la majorité du personnel de Poudlard et elle me pista tel un Niffleur en quête de trésors comme si elle était persuadée que j’allais faire une bêtise. Je me contentai de lire un texte auquel je ne compris strictement rien sur la façon dont les Moldus traitaient les cancers. Chez les sorciers, on utilisait des potions et, dans certains cas, les guérisseurs avaient recours à des sortilèges qui aspiraient les tumeurs. Dans le monde non-magique, ça n’avait rien à voir et je crus deviner que ça pouvait être très douloureux. Certains traitements faisaient perdre leurs cheveux aux gens et, si la maladie était à un stade trop avancé, il n’y avait rien à faire d’autre qu’apaiser la souffrance des malades en attendant l’issue fatale. J’avais le cœur serré en replaçant le livre sur son étagère. Pauvre Antje.
Depuis ce fameux jour, elle n’avait plus jamais abordé le sujet, même lorsque nous étions seuls tous les deux. Je voyais bien cependant qu’elle appréhendait l’arrivée du courrier le matin et, parfois, elle avait un regard perdu comme si elle cherchait désespérément à se raccrocher à quelque chose. Je m’efforçais alors de la faire sourire en lui racontant des bêtises pour lui changer les idées, faute de mieux.
oOØOo
À mesure qu’Antje se rapprochait de notre petit groupe, beaucoup de gens cessèrent de la regarder de haut ou de murmurer sur son passage. Il fallait dire qu’elle passait moins de temps au bord des larmes dans son coin, il n’y avait donc plus lieu de se moquer d’elle. Toutefois, les Serpentard se montrèrent plus virulents que jamais, ce qui en un sens n’était hélas pas étonnant. James et moi étions considérés comme des « traitres à notre sang » par ceux qui se préparaient plus ou moins ouvertement à rejoindre les Mangemorts, Remus assumait totalement l’origine moldue de sa mère et Peter… n’existait tout simplement pas pour eux. Il leur était donc facile de s’en prendre à Antje, la « Sang-de-bourbe qui va se cacher sous les jupes d’idiots qui se croient populaires ». C’était exaspérant et je voyais bien qu’elle en souffrait. Régulièrement, Remus, James, Peter et moi pouvions la voir arpenter les couloirs suite à une de ces altercations, au bord des larmes, serrant sa baguette dans sa main. Je finis par lui demander pourquoi elle ne s’en servait pas. Cette année, notre professeur de Défense contre les forces du Mal nous faisait étudier les sorts de protection. Ma question rendit Antje nerveuse. Elle baissa la tête en rougissant.
« Je n’ose pas le faire, marmonna-t-elle. Même en classe, je n’essaie que quand j’y suis obligée. Je n’ai pas envie qu’on me fasse payer le fait d’avoir jeté un contre-maléfice, même dans le cadre du cours.
— C’est idiot, répondis-je. Si on t’apprend des sortilèges, c’est pour que tu t’en serves ! Tu n’as pas à rester plantée le regard dans le vide pendant qu’on te jette un maléfice ! »
Elle fixa le bout de ses chaussures, sans répondre. J’eus l’impression que mes paroles ne servaient à rien et que si je ne l’y forçais pas un peu, elle continuerait à subir sans rien faire.
« Dans ce cas, dis-je, je crois qu’une séance de travaux pratiques s’impose. »
Elle releva la tête et me regarda d’un air méfiant.
« Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu verras bien. »
oOØOo
Le dimanche suivant, après le petit déjeuner, j’emmenai Antje dans une classe vide pour lui faire travailler un ou deux sortilèges de défense. J’aurais préféré lui apprendre quelques maléfices qui mettraient les Serpentard hors d’état de nuire mais il valait mieux ne pas mettre la charrue avant les hippogriffes. Si Antje pouvait au moins désarmer son adversaire ou se protéger avec un sortilège du Bouclier, ce serait déjà pas mal. Elle me suivit avec réticence jusqu’à la salle de sortilèges où nous tombâmes sur Peeves qui dessinait une femme nue au tableau. En y regardant de près et sous un certain angle, ça ressemblait vaguement à une caricature du professeur Frank qui assurait les cours de Défense contre les forces du Mal. Cette année, notre enseignante était non seulement un redoutable chasseur de créatures dangereuses mais également une très belle femme. Tout le monde fantasmait plus ou moins sur elle et de toute évidence, c’était également le cas de Peeves… si tant est que sa nature lui permette d’éprouver ce genre de choses. Quand il nous entendit arriver, l’esprit frappeur se tourna vers nous et eut un petit rire moqueur.
« Dégage, Peeves ! », grondai-je.
Il ricana en guise de réponse et je lui jetai un sort qui l’envoya valdinguer contre un mur.
« Aïeuh ! », couina-t-il avant de disparaître.
Antje m’avait regardé avec des yeux ronds. Je posai ma baguette magique sur le bureau du prof et lui dis :
« Tu vois, c’est ce que tu dois apprendre. Ne pas subir. Ne pas rester les bras ballants en attendant qu’on te jette un maléfice. Si je n’avais pas chassé Peeves, il nous aurait embêtés toute la matinée. Si les autres élèves te cherchent des histoires, ne te laisse pas faire. Quand tu sauras te défendre, ils te laisseront tranquille.
— Mais s’ils essaient de se venger ? objecta-t-elle.
— Alors défends-toi encore. Ils seront les premiers à se lasser parce que ce sont eux qui se prendront des contre-sorts dans la figure. »
Je voyais bien qu’elle n’était pas convaincue alors je lui souris et tentai de la rassurer :
« Ça va aller. Quand tu saura te défendre, je te promets que tout va s’arranger. »
Sans lui laisser le temps de répondre, je récupérai ma baguette et me postai face à elle.
« Désarme-moi, dis-je.
— Pardon ?
— Ne me dis pas que tu ne connais pas le sortilège de Désarmement, quand même…
— Ben si, répondit-elle d’un ton piteux, mais…
— Alors désarme-moi. Vas-y. »
Ses mains tremblaient. Je restai sans bouger, en attente. D’un geste maladroit, elle sortit sa baguette magique de la poche de sa robe et l’agita en marmonnant :
« Expelliarmus. »
Elle n’y mettait pas assez de conviction et son mouvement de baguette manquait de confiance. Je sentis un courant d’air chaud passer au-dessus de ma tête et rien de plus.
« Ce n’est pas grave, dis-je. Je vais te montrer comment faire et tu vas encore essayer. Tu peux y arriver. »
Au bout d’une heure, de beaucoup d’efforts et de plusieurs essais infructueux, elle parvint à maîtriser le sortilège. Ma baguette magique m’échappa des mains, s’envola et alla se cogner contre une fenêtre.
« C’est malin, dis-je. On aurait pu casser un carreau. »
Antje s’appuya contre un pupitre.
« Les fenêtres sont incassables, répliqua-t-elle. Tu n’as jamais lu l’Histoire de Poudlard ?
— Pas complètement, répondis-je.
— Tu devrais, c’est très instructif. »
Je haussai les épaules, peu convaincu de l’intérêt que représentait ce bouquin. Quand j’étais petit, ma mère m’en avait lu tous les extraits relatant les hauts faits de la maison Serpentard et à l’époque, j’avais trouvé ça très ennuyeux. Tandis que nous regagnions la tour de Gryffondor, j’expliquai à Antje que je comptais sur elle pour utiliser le sortilège de Désarmement maintenant qu’elle savait à peu près s’en servir. Au vu de son regard fuyant, je n’étais pas certain qu’elle ait compris à quel point ça lui rendrait service mais je résolus d’attendre. Peut-être que si quelqu’un la poussait à bout, elle franchirait le pas.
oOØOo
Antje mit mon conseil en pratique moins d’une semaine plus tard. Ce soir-là, je regagnai seul la salle commune de Gryffondor pour terminer une sieste entamée en cours d’histoire de la magie. James était en retenue. Remus et Peter étaient à la bibliothèque. J’envisageais de somnoler une petite heure dans un fauteuil bien confortable avant d’entamer un devoir de potions qui s’annonçait par avance fastidieux. Je trouvai Antje assise à une table, un énorme dictionnaire de runes anciennes ouvert devant elle. À ses côté se trouvait une de mes camarades de cinquième année nommée Britta Hopkins. C’était une de ces filles plutôt jolies mais ennuyeuses qui passait son temps libre à glousser avec ses copines et à me jeter des regards qui se voulaient langoureux mais qui lui donnaient l’air d’une vache. Hopkins parlait à Antje avec animation et cette dernière ne cessait de remuer nerveusement sur sa chaise comme si cette discussion la contrariait beaucoup. Je m’approchai discrètement et tendis l’oreille.
« Tu auras beau nier, on sait que tu mens comme tu respires, disait Hopkins. Tu lui tournes autour, tu t’assieds à côté de lui à la cantine, tu ne va pas nous faire croire que tu ne lui cours pas après ! Je ne sais pas si tu t’en rends compte mais tu es ridicule. Alors retourne chouiner dans ton coin et n’essaie plus de t’en approcher
— Tu n’as pas à me dire ce que je dois faire, Hopkins. Dégage, j’ai du travail.
— Ne me parle pas sur ce ton. Je ne te laisserai à tes chers petits devoir que quand je serai sûre que tu laisseras Sirius tranquille.
— Ça ne te regarde pas.
— Il ne s’intéresse pas à toi. Tu lui fais pitié, c’est tout.
— Et toi, tu crois que tu l’intéresse ? Il ne t’a jamais adressé la parole, que je sache. »
Le visage de Britta Hopkins vira au rouge brique. Elle sortit sa baguette magique et glapit :
« Sale petite peste ! Tu vas voir ! »
Les yeux d’Antje se plissèrent et la suite se passa avant d’avoir eu le temps de dire « Quidditch ». Un sortilège de Désarmement parfaitement exécuté fit voler la baguette d’Hopkins à l’autre bout de la salle commune. Les deux filles ne m’ayant pas encore vu, je m’abstins de tout commentaire mais j’étais impressionné. Hopkins resta bêtement plantée, les bras ballants, comme si elle n’avait pas compris ce qui lui était arrivé. Puis, avec un grognement furieux, elle alla récupérer son bien qui avait glissé sous un fauteuil. À quatre pattes sur le parquet, le derrière en l’air, elle avait la grâce d’un Veracrasse. Après avoir ramassé sa baguette magique, elle se redressa, jeta un sort de Dépoussiérage sur sa robe et s’aperçut de ma présence. Immédiatement, elle se mit à glousser en rougissant jusqu’aux oreilles et se tortilla sur elle-même en enroulant une mèche de ses cheveux autour de son doigt.
« Salut, Sirius », dit-elle avec un petit rire niais.
Antje se retourna et me vit, elle aussi. Je la vis essayer tant bien que mal de rester impassible mais elle rougit à son tour. Je regardai Britta Hopkins et lui lançai :
« Dis donc, tu sais que tu étais charmante, à quatre pattes par terre ? »
Le regard de Britta Hopkins se fit gêné. Elle quitta la salle commune d’un pas vif et monta dans le dortoir des filles. En passant, je l’entendis distinctement glisser à Antje :
« Je n’en ai pas fini avec toi, Ziegler. Tu vas me le payer. »
Quand elle fut hors de vue, je m’assis à côté d’Antje dont les doigts étaient toujours crispés sur sa baguette magique. Je lui donnai une petite tape sur l’épaule.
« Je suis fier de toi, lui dis-je. Elle l’avait mérité. »
Elle poussa un profond soupir.
« J’imagine que tu as entendu de quoi Hopkins me parlait, marmonna-t-elle. Je suis désolée, Sirius. C’est une histoire ridicule. Elle et ses copines s’acharnent sur moi depuis qu’on a commencé à se parler parce qu’elles sont persuadées que je te tourne autour.
— Ce sont des idiotes, répliquai-je. Ce qu’elles pensent ne me concerne pas. Et puis tu as raison, Hopkins ne m’intéresse pas. Elle glousse trop, ça me porte sur les nerfs. »
Antje sourit et posa sa baguette magique pour reprendre sa plume et son rouleau de parchemin. J’en déduis qu’elle n’avait plus envie de parler de cette histoire, ce qui pouvait se comprendre.
Je la regardai travailler en réfléchissant. Les affaires de cœur, à mon sens, étaient une perte de temps et une source d’ennuis. Même si elles pouvaient être jolies, les filles n’avaient pas beaucoup de conversation et leurs gloussement me donnaient l’impression d’être au milieu d’un troupeau de dindons. Antje était la première fille avec laquelle je me sois exprimé à cœur ouvert et c’était uniquement pour l’aider. En ce sens, j’étais plus proche d’elle que d’aucune autre de mes camarades avec qui j’étais plus ou moins sorti. En faisant connaissance avec elle, j’avais réalisé que c’était une fille intelligente qu’on sous-estimait beaucoup, à peu près autant qu’elle se sous-estimait elle-même. Pour cette raison, j’étais content de lui parler et de l’aider à sortir de ses silences grincheux.
James revint de sa retenue au bout d’un moment en se plaignant de crampes dans les doigts et de l’absence d’humour du professeur McGonagall. Sur ce dernier point, j’étais plutôt d’accord avec lui. L’enseignante en métamorphose aurait dû être contente que James soit le premier à métamorphoser sa fourchette en verre de terre. Qu’il fasse ensuite léviter la bestiole pour la faire aterrir dans le cou de la fille assise devant lui était plutôt rigolo. Je lui racontai rapidement qu’Antje avait désarmé Britta Hopkins sans entrer dans les détails et mon meilleur ami regretta de ne pas avoir assisté au spectacle. Nous discutâmes un moment de tout et de rien jusqu’à ce que Lily Evans surgisse de nulle part. James commença aussitôt à faire le malin en se balançant sur sa chaise mais la préfète l’ignora superbement. Elle fixait Antje d’un air agacé.
« Britta Hopkins m’a dit que tu lui avais jeté un sort, dit-elle. Tu sais que c’est interdit ?
— Et alors ? grognai-je.
— Black, tais-toi, ce n’est pas à toi que je parle. Ziegler, je suis préfète. Si ce que dit Britta est vrai, je peux te faire punir.
— Elle l’a cherché, dit Antje d’un ton sec. Et elle ment. Je ne lui ai jeté qu’un sortilège de Désarmement. On s’est disputées et c’est elle qui a pointé sa baguette sur moi parce que j’ai dit quelque chose qui ne lui a pas plu. »
Evans haussa les sourcils.
« Ce n’est pas ce que j’ai entendu, affirma-t-elle. Viens avec moi, on va discuter entre filles. J’aimerais entendre ta version des faits. »
Antje hésita puis se leva pour suivre la préfète. Elles quittèrent la pièce. James suivit Evans du regard d’un air rêveur puis, quand les deux filles furent hors de vue, il me demanda :
« C’est quoi, cette histoire ?
— Hopkins a accusé Antje de me tourner autour, répondis-je brièvement.
— C’est ridicule. Comme si toi, tu n’avais pas ton mot à dire. Tu acceptes qu’Antje te parle alors qu’Hopkins…
— Justement, c’est ce qu’Antje lui a dit et Hopkins l’a mal pris.
— Il n’y a que la vérité qui blesse, comme on dit… »
Je ne répondis pas. Mon regard se posa sur le sac d’Antje qu’elle avait laissé sur sa chaise. Si j’avais été seul, peut-être aurais-je regardé dedans. Son journal intime devait s’y trouver. Y avait-elle écrit des choses ces derniers temps ?
J’en étais là de mes réflexions quand Britta Hopkins vint s’appuyer sur la table entre James et moi sans la moindre gêne. Elle me regarda à travers ses cils baissés. Sans doute se prenait-elle pour l’héroïne du roman-photo de Sorcière-Hebdo dont raffolaient les filles mais je la trouvai ridicule.
« Qu’est-ce qui t’a pris d’aller raconter ces mensonges à Evans au sujet d’Antje ? demandai-je sans ménagement.
— J’ai fait ça pour t’aider, susurra-t-elle. Tu dois en avoir assez que cette pleurnicharde te tourne autour, il fallait que je t’en débarrasse… Peut-être que si elle est punie, elle y réfléchira à deux fois avant de t’envahir.
— Tu crois que je me laisserais faire si je la trouvais envahissante ? Quoi que tu puisses en penser, Antje ne me dérange pas. Quant à toi, même si Rusard se mettait à pondre des œufs de dragons, tu n’aurais pas la moindre chance de faire partie de mes fréquentations. »
Je crus qu’elle allait se vexer car j’avais été volontairement méchant mais elle se contenta de faire la moue.
« Je suis sûre que tu finiras par changer d’avis, fit-elle. Si tu réfléchis… »
Sur ces mots, elle s’en alla rejoindre ses copines sans me laisser le temps de lui dire que c’était déjà tout réfléchi.
James me regarda.
« Elle est sûre de son fait, on dirait.
— Moi aussi, je suis sûr de mon fait, répliquai-je. Elle peut toujours courir. »
Seulement, de toute évidence, elle avait une telle confiance en elle et en son « pouvoir de séduction » qu’elle ne renoncerait pas de sitôt, j’en avais bien conscience.
Antje revint sur ses entrefaites, accompagnée d’Evans qui ne nous accorda aucune attention. Elle alla aussitôt rejoindre le groupe de copines de Britta Hopkins. Antje nous apprit que la préfète lui avait accordé le bénéfice du doute et avait décidé de ne pas la punir.
« Cela dit, elle trouve que j’ai de drôles de fréquentations, ajouta-t-elle en nous regardant tour à tour, James et moi.
— De quoi se mêle cette idiote ? grondai-je. Elle parle avec Rogue et on est mille fois plus fréquentables que lui.
— C’est ce que je lui ai dit, répliqua Antje, et elle m’a répondu qu’ils se connaissaient déjà avant d’entrer à Poudlard.
— Ce n’est pas une raison. »
Elle haussa les épaules sans répondre. James, lui, faisait la tête. Il détestait plus que tout l’idée qu’Evans et le vieux Snivellus soient amis. Il suffisait d’évoquer le sujet devant lui pour le mettre de mauvaise humeur.
oOØOo
Quelques jours passèrent sans incident notable. A posteriori, si l’on exceptait les habituels mauvais coups que j’avais l’habitude de commettre avec mes amis, ce calme relatif aurait pu perdurer un bon moment. Seulement, ç’aurait été trop simple.
Un matin, je ne vis pas Antje se présenter dans la Grande Salle pour le petit déjeuner. Je ne pris pas le temps d’attendre qu’elle arrive ou de repasser par la tour de Gryffondor pour voir si elle s’y trouvait. Ma journée de classe commençait par un cours de métamorphose et je n’avais pas très envie de me faire engueuler par McGonagall. Ainsi donc, tandis que je me hâtais dans les couloirs, une sorte de tempête ambulante me percuta. Il me fallut une seconde pour reconnaître cette fille, plus petite que moi, qui m’avait bousculé et que je dus retenir par les bras pour l’empêcher de tomber. Ses épais cheveux roux lui couvraient les épaules et des mèches bouclées voilaient ses yeux marron. C’était Antje avec les cheveux détachés.
« Sirius, laisse-moi passer, dit-elle très vite. Je suis en retard, je n’ai pas eu le temps de déjeuner et je n’ai pas eu le temps de me coiffer. »
Je m’écartai sans répondre et elle fila devant moi, sa longue chevelure semblant flotter derrière elle. Tandis qu’elle disparaissait au détour d’un couloir, j’eus l’impression qu’une main invisible resserrait sa poigne sur mes entrailles.
Jusqu’à cet instant précis, je m’étais dit qu’Antje Ziegler n’était pas le laideron que tout le monde croyait voir mais qu’il n’y avait pas de quoi en faire toute une histoire.
À présent, je devais me rendre à l’évidence.
Elle était drôlement jolie.
Bonne lecture à tous !
Chapitre 6
Diamonds and rust
Malgré notre conversation, mes rapports avec Antje Ziegler ne se détendirent pas immédiatement. Il ne me fut pas difficile de deviner pourquoi. Elle voulait simplement s’assurer que j’honorerais ma promesse de ne parler de l’état de santé de sa mère à personne. Je n’en fis rien, bien entendu. Je respectais presque toujours mes engagements et raconter cette histoire — qui au demeurant ne me regardait pas — ne m’aurait rien apporté. Une fois cette certitude acquise, Antje prit l’habitude de s’asseoir entre Remus et moi pendant les repas et d’écouter nos conversations. Elle restait silencieuse la plupart du temps mais nous voyions bien qu’elle nous accordait toute son attention. Bien entendu, nous n’évoquions rien d’interdit ou de secret en sa présence. Nous discutions de généralités, des profs qui nous surchargeaient de travail à cause des BUSE, des cours, du Quidditch et de Rogue qui n’était qu’un crétin. Ce fut d’ailleurs lors d’une conversation à propos de l’affreux petit Serpentard que j’entendis Antje rire pour la première fois. Nous venions d’étudier en cours de sortilèges le charme du Gruyère qui, comme son nom l’indique, permettait de faire des trous. Pour le réaliser, il suffisait de se concentrer, d’imprimer avec sa baguette magique la forme qu’on voulait donner à son trou et de prononcer la formule. James, qui avait maîtrisé le sort en un temps record, avait émis l’idée de se poster dans un coin, d’attendre que Rogue arrive et de faire un trou à l’endroit où il devait passer pour qu’il s’y prenne les pieds et s’étale comme une énorme bouse de dragon. Nous fûmes tous très amusés par ce plan et, en jetant un regard à Antje, je constatai qu’elle gloussait derrière sa main. Ses yeux brillaient et ses joues étaient toutes roses. Jamais je ne lui avais vu une telle expression et force était de constater que c’était bien plus agréable que son habituel air déprimé et ronchon. Dans tous les cas, James était très content d’être parvenu à la faire rire.
« Dis, Antje, tu aimes bien quand on embête Servilus ? » lui demanda-t-il.
Elle resta silencieuse un moment comme si elle prenait le temps de choisir ses mots.
« Eh bien, dit-elle avec lenteur, il est tellement ignoble avec moi que quand vous lui faites des blagues, c’est une sorte de vengeance par procuration.
— Ce type est immonde, assénai-je. Il est répugnant et lèche-botte avec ses cheveux tout gras. Je parie qu’il ignore totalement l’existence de cette invention géniale appelée shampoing et qui permet aux cheveux d’être propres. Je me demande comment il peut se voir dans une glace. »
Je me retins au dernier moment d’ajouter quelque chose sur Lily Evans qui était la seule fille à lui adresser la parole. James l’aurait mal pris. Antje haussa les épaules et la conversation dériva sur autre chose.
J’étais content parce que progressivement, elle se montrait un peu moins timide et un peu plus expressive. Peter faisait toujours un peu la tête en sa présence mais James et Remus semblaient la trouver gentille. Mon meilleur ami me demanda plusieurs fois comment j’étais parvenu à la faire sortir de son isolement mais je restai assez vague sur cette conversation que j’avais eue avec elle, après qu’elle ait reçu la lettre de ses parents.
Par curiosité, je me rendis un jour dans la bibliothèque feuilleter un livre sur la médecine moldue. La mère Pince manqua d’avoir une attaque en me voyant débarquer dans son antre. Elle se méfiait de moi comme la majorité du personnel de Poudlard et elle me pista tel un Niffleur en quête de trésors comme si elle était persuadée que j’allais faire une bêtise. Je me contentai de lire un texte auquel je ne compris strictement rien sur la façon dont les Moldus traitaient les cancers. Chez les sorciers, on utilisait des potions et, dans certains cas, les guérisseurs avaient recours à des sortilèges qui aspiraient les tumeurs. Dans le monde non-magique, ça n’avait rien à voir et je crus deviner que ça pouvait être très douloureux. Certains traitements faisaient perdre leurs cheveux aux gens et, si la maladie était à un stade trop avancé, il n’y avait rien à faire d’autre qu’apaiser la souffrance des malades en attendant l’issue fatale. J’avais le cœur serré en replaçant le livre sur son étagère. Pauvre Antje.
Depuis ce fameux jour, elle n’avait plus jamais abordé le sujet, même lorsque nous étions seuls tous les deux. Je voyais bien cependant qu’elle appréhendait l’arrivée du courrier le matin et, parfois, elle avait un regard perdu comme si elle cherchait désespérément à se raccrocher à quelque chose. Je m’efforçais alors de la faire sourire en lui racontant des bêtises pour lui changer les idées, faute de mieux.
oOØOo
À mesure qu’Antje se rapprochait de notre petit groupe, beaucoup de gens cessèrent de la regarder de haut ou de murmurer sur son passage. Il fallait dire qu’elle passait moins de temps au bord des larmes dans son coin, il n’y avait donc plus lieu de se moquer d’elle. Toutefois, les Serpentard se montrèrent plus virulents que jamais, ce qui en un sens n’était hélas pas étonnant. James et moi étions considérés comme des « traitres à notre sang » par ceux qui se préparaient plus ou moins ouvertement à rejoindre les Mangemorts, Remus assumait totalement l’origine moldue de sa mère et Peter… n’existait tout simplement pas pour eux. Il leur était donc facile de s’en prendre à Antje, la « Sang-de-bourbe qui va se cacher sous les jupes d’idiots qui se croient populaires ». C’était exaspérant et je voyais bien qu’elle en souffrait. Régulièrement, Remus, James, Peter et moi pouvions la voir arpenter les couloirs suite à une de ces altercations, au bord des larmes, serrant sa baguette dans sa main. Je finis par lui demander pourquoi elle ne s’en servait pas. Cette année, notre professeur de Défense contre les forces du Mal nous faisait étudier les sorts de protection. Ma question rendit Antje nerveuse. Elle baissa la tête en rougissant.
« Je n’ose pas le faire, marmonna-t-elle. Même en classe, je n’essaie que quand j’y suis obligée. Je n’ai pas envie qu’on me fasse payer le fait d’avoir jeté un contre-maléfice, même dans le cadre du cours.
— C’est idiot, répondis-je. Si on t’apprend des sortilèges, c’est pour que tu t’en serves ! Tu n’as pas à rester plantée le regard dans le vide pendant qu’on te jette un maléfice ! »
Elle fixa le bout de ses chaussures, sans répondre. J’eus l’impression que mes paroles ne servaient à rien et que si je ne l’y forçais pas un peu, elle continuerait à subir sans rien faire.
« Dans ce cas, dis-je, je crois qu’une séance de travaux pratiques s’impose. »
Elle releva la tête et me regarda d’un air méfiant.
« Qu’est-ce que tu veux dire ?
— Tu verras bien. »
oOØOo
Le dimanche suivant, après le petit déjeuner, j’emmenai Antje dans une classe vide pour lui faire travailler un ou deux sortilèges de défense. J’aurais préféré lui apprendre quelques maléfices qui mettraient les Serpentard hors d’état de nuire mais il valait mieux ne pas mettre la charrue avant les hippogriffes. Si Antje pouvait au moins désarmer son adversaire ou se protéger avec un sortilège du Bouclier, ce serait déjà pas mal. Elle me suivit avec réticence jusqu’à la salle de sortilèges où nous tombâmes sur Peeves qui dessinait une femme nue au tableau. En y regardant de près et sous un certain angle, ça ressemblait vaguement à une caricature du professeur Frank qui assurait les cours de Défense contre les forces du Mal. Cette année, notre enseignante était non seulement un redoutable chasseur de créatures dangereuses mais également une très belle femme. Tout le monde fantasmait plus ou moins sur elle et de toute évidence, c’était également le cas de Peeves… si tant est que sa nature lui permette d’éprouver ce genre de choses. Quand il nous entendit arriver, l’esprit frappeur se tourna vers nous et eut un petit rire moqueur.
« Dégage, Peeves ! », grondai-je.
Il ricana en guise de réponse et je lui jetai un sort qui l’envoya valdinguer contre un mur.
« Aïeuh ! », couina-t-il avant de disparaître.
Antje m’avait regardé avec des yeux ronds. Je posai ma baguette magique sur le bureau du prof et lui dis :
« Tu vois, c’est ce que tu dois apprendre. Ne pas subir. Ne pas rester les bras ballants en attendant qu’on te jette un maléfice. Si je n’avais pas chassé Peeves, il nous aurait embêtés toute la matinée. Si les autres élèves te cherchent des histoires, ne te laisse pas faire. Quand tu sauras te défendre, ils te laisseront tranquille.
— Mais s’ils essaient de se venger ? objecta-t-elle.
— Alors défends-toi encore. Ils seront les premiers à se lasser parce que ce sont eux qui se prendront des contre-sorts dans la figure. »
Je voyais bien qu’elle n’était pas convaincue alors je lui souris et tentai de la rassurer :
« Ça va aller. Quand tu saura te défendre, je te promets que tout va s’arranger. »
Sans lui laisser le temps de répondre, je récupérai ma baguette et me postai face à elle.
« Désarme-moi, dis-je.
— Pardon ?
— Ne me dis pas que tu ne connais pas le sortilège de Désarmement, quand même…
— Ben si, répondit-elle d’un ton piteux, mais…
— Alors désarme-moi. Vas-y. »
Ses mains tremblaient. Je restai sans bouger, en attente. D’un geste maladroit, elle sortit sa baguette magique de la poche de sa robe et l’agita en marmonnant :
« Expelliarmus. »
Elle n’y mettait pas assez de conviction et son mouvement de baguette manquait de confiance. Je sentis un courant d’air chaud passer au-dessus de ma tête et rien de plus.
« Ce n’est pas grave, dis-je. Je vais te montrer comment faire et tu vas encore essayer. Tu peux y arriver. »
Au bout d’une heure, de beaucoup d’efforts et de plusieurs essais infructueux, elle parvint à maîtriser le sortilège. Ma baguette magique m’échappa des mains, s’envola et alla se cogner contre une fenêtre.
« C’est malin, dis-je. On aurait pu casser un carreau. »
Antje s’appuya contre un pupitre.
« Les fenêtres sont incassables, répliqua-t-elle. Tu n’as jamais lu l’Histoire de Poudlard ?
— Pas complètement, répondis-je.
— Tu devrais, c’est très instructif. »
Je haussai les épaules, peu convaincu de l’intérêt que représentait ce bouquin. Quand j’étais petit, ma mère m’en avait lu tous les extraits relatant les hauts faits de la maison Serpentard et à l’époque, j’avais trouvé ça très ennuyeux. Tandis que nous regagnions la tour de Gryffondor, j’expliquai à Antje que je comptais sur elle pour utiliser le sortilège de Désarmement maintenant qu’elle savait à peu près s’en servir. Au vu de son regard fuyant, je n’étais pas certain qu’elle ait compris à quel point ça lui rendrait service mais je résolus d’attendre. Peut-être que si quelqu’un la poussait à bout, elle franchirait le pas.
oOØOo
Antje mit mon conseil en pratique moins d’une semaine plus tard. Ce soir-là, je regagnai seul la salle commune de Gryffondor pour terminer une sieste entamée en cours d’histoire de la magie. James était en retenue. Remus et Peter étaient à la bibliothèque. J’envisageais de somnoler une petite heure dans un fauteuil bien confortable avant d’entamer un devoir de potions qui s’annonçait par avance fastidieux. Je trouvai Antje assise à une table, un énorme dictionnaire de runes anciennes ouvert devant elle. À ses côté se trouvait une de mes camarades de cinquième année nommée Britta Hopkins. C’était une de ces filles plutôt jolies mais ennuyeuses qui passait son temps libre à glousser avec ses copines et à me jeter des regards qui se voulaient langoureux mais qui lui donnaient l’air d’une vache. Hopkins parlait à Antje avec animation et cette dernière ne cessait de remuer nerveusement sur sa chaise comme si cette discussion la contrariait beaucoup. Je m’approchai discrètement et tendis l’oreille.
« Tu auras beau nier, on sait que tu mens comme tu respires, disait Hopkins. Tu lui tournes autour, tu t’assieds à côté de lui à la cantine, tu ne va pas nous faire croire que tu ne lui cours pas après ! Je ne sais pas si tu t’en rends compte mais tu es ridicule. Alors retourne chouiner dans ton coin et n’essaie plus de t’en approcher
— Tu n’as pas à me dire ce que je dois faire, Hopkins. Dégage, j’ai du travail.
— Ne me parle pas sur ce ton. Je ne te laisserai à tes chers petits devoir que quand je serai sûre que tu laisseras Sirius tranquille.
— Ça ne te regarde pas.
— Il ne s’intéresse pas à toi. Tu lui fais pitié, c’est tout.
— Et toi, tu crois que tu l’intéresse ? Il ne t’a jamais adressé la parole, que je sache. »
Le visage de Britta Hopkins vira au rouge brique. Elle sortit sa baguette magique et glapit :
« Sale petite peste ! Tu vas voir ! »
Les yeux d’Antje se plissèrent et la suite se passa avant d’avoir eu le temps de dire « Quidditch ». Un sortilège de Désarmement parfaitement exécuté fit voler la baguette d’Hopkins à l’autre bout de la salle commune. Les deux filles ne m’ayant pas encore vu, je m’abstins de tout commentaire mais j’étais impressionné. Hopkins resta bêtement plantée, les bras ballants, comme si elle n’avait pas compris ce qui lui était arrivé. Puis, avec un grognement furieux, elle alla récupérer son bien qui avait glissé sous un fauteuil. À quatre pattes sur le parquet, le derrière en l’air, elle avait la grâce d’un Veracrasse. Après avoir ramassé sa baguette magique, elle se redressa, jeta un sort de Dépoussiérage sur sa robe et s’aperçut de ma présence. Immédiatement, elle se mit à glousser en rougissant jusqu’aux oreilles et se tortilla sur elle-même en enroulant une mèche de ses cheveux autour de son doigt.
« Salut, Sirius », dit-elle avec un petit rire niais.
Antje se retourna et me vit, elle aussi. Je la vis essayer tant bien que mal de rester impassible mais elle rougit à son tour. Je regardai Britta Hopkins et lui lançai :
« Dis donc, tu sais que tu étais charmante, à quatre pattes par terre ? »
Le regard de Britta Hopkins se fit gêné. Elle quitta la salle commune d’un pas vif et monta dans le dortoir des filles. En passant, je l’entendis distinctement glisser à Antje :
« Je n’en ai pas fini avec toi, Ziegler. Tu vas me le payer. »
Quand elle fut hors de vue, je m’assis à côté d’Antje dont les doigts étaient toujours crispés sur sa baguette magique. Je lui donnai une petite tape sur l’épaule.
« Je suis fier de toi, lui dis-je. Elle l’avait mérité. »
Elle poussa un profond soupir.
« J’imagine que tu as entendu de quoi Hopkins me parlait, marmonna-t-elle. Je suis désolée, Sirius. C’est une histoire ridicule. Elle et ses copines s’acharnent sur moi depuis qu’on a commencé à se parler parce qu’elles sont persuadées que je te tourne autour.
— Ce sont des idiotes, répliquai-je. Ce qu’elles pensent ne me concerne pas. Et puis tu as raison, Hopkins ne m’intéresse pas. Elle glousse trop, ça me porte sur les nerfs. »
Antje sourit et posa sa baguette magique pour reprendre sa plume et son rouleau de parchemin. J’en déduis qu’elle n’avait plus envie de parler de cette histoire, ce qui pouvait se comprendre.
Je la regardai travailler en réfléchissant. Les affaires de cœur, à mon sens, étaient une perte de temps et une source d’ennuis. Même si elles pouvaient être jolies, les filles n’avaient pas beaucoup de conversation et leurs gloussement me donnaient l’impression d’être au milieu d’un troupeau de dindons. Antje était la première fille avec laquelle je me sois exprimé à cœur ouvert et c’était uniquement pour l’aider. En ce sens, j’étais plus proche d’elle que d’aucune autre de mes camarades avec qui j’étais plus ou moins sorti. En faisant connaissance avec elle, j’avais réalisé que c’était une fille intelligente qu’on sous-estimait beaucoup, à peu près autant qu’elle se sous-estimait elle-même. Pour cette raison, j’étais content de lui parler et de l’aider à sortir de ses silences grincheux.
James revint de sa retenue au bout d’un moment en se plaignant de crampes dans les doigts et de l’absence d’humour du professeur McGonagall. Sur ce dernier point, j’étais plutôt d’accord avec lui. L’enseignante en métamorphose aurait dû être contente que James soit le premier à métamorphoser sa fourchette en verre de terre. Qu’il fasse ensuite léviter la bestiole pour la faire aterrir dans le cou de la fille assise devant lui était plutôt rigolo. Je lui racontai rapidement qu’Antje avait désarmé Britta Hopkins sans entrer dans les détails et mon meilleur ami regretta de ne pas avoir assisté au spectacle. Nous discutâmes un moment de tout et de rien jusqu’à ce que Lily Evans surgisse de nulle part. James commença aussitôt à faire le malin en se balançant sur sa chaise mais la préfète l’ignora superbement. Elle fixait Antje d’un air agacé.
« Britta Hopkins m’a dit que tu lui avais jeté un sort, dit-elle. Tu sais que c’est interdit ?
— Et alors ? grognai-je.
— Black, tais-toi, ce n’est pas à toi que je parle. Ziegler, je suis préfète. Si ce que dit Britta est vrai, je peux te faire punir.
— Elle l’a cherché, dit Antje d’un ton sec. Et elle ment. Je ne lui ai jeté qu’un sortilège de Désarmement. On s’est disputées et c’est elle qui a pointé sa baguette sur moi parce que j’ai dit quelque chose qui ne lui a pas plu. »
Evans haussa les sourcils.
« Ce n’est pas ce que j’ai entendu, affirma-t-elle. Viens avec moi, on va discuter entre filles. J’aimerais entendre ta version des faits. »
Antje hésita puis se leva pour suivre la préfète. Elles quittèrent la pièce. James suivit Evans du regard d’un air rêveur puis, quand les deux filles furent hors de vue, il me demanda :
« C’est quoi, cette histoire ?
— Hopkins a accusé Antje de me tourner autour, répondis-je brièvement.
— C’est ridicule. Comme si toi, tu n’avais pas ton mot à dire. Tu acceptes qu’Antje te parle alors qu’Hopkins…
— Justement, c’est ce qu’Antje lui a dit et Hopkins l’a mal pris.
— Il n’y a que la vérité qui blesse, comme on dit… »
Je ne répondis pas. Mon regard se posa sur le sac d’Antje qu’elle avait laissé sur sa chaise. Si j’avais été seul, peut-être aurais-je regardé dedans. Son journal intime devait s’y trouver. Y avait-elle écrit des choses ces derniers temps ?
J’en étais là de mes réflexions quand Britta Hopkins vint s’appuyer sur la table entre James et moi sans la moindre gêne. Elle me regarda à travers ses cils baissés. Sans doute se prenait-elle pour l’héroïne du roman-photo de Sorcière-Hebdo dont raffolaient les filles mais je la trouvai ridicule.
« Qu’est-ce qui t’a pris d’aller raconter ces mensonges à Evans au sujet d’Antje ? demandai-je sans ménagement.
— J’ai fait ça pour t’aider, susurra-t-elle. Tu dois en avoir assez que cette pleurnicharde te tourne autour, il fallait que je t’en débarrasse… Peut-être que si elle est punie, elle y réfléchira à deux fois avant de t’envahir.
— Tu crois que je me laisserais faire si je la trouvais envahissante ? Quoi que tu puisses en penser, Antje ne me dérange pas. Quant à toi, même si Rusard se mettait à pondre des œufs de dragons, tu n’aurais pas la moindre chance de faire partie de mes fréquentations. »
Je crus qu’elle allait se vexer car j’avais été volontairement méchant mais elle se contenta de faire la moue.
« Je suis sûre que tu finiras par changer d’avis, fit-elle. Si tu réfléchis… »
Sur ces mots, elle s’en alla rejoindre ses copines sans me laisser le temps de lui dire que c’était déjà tout réfléchi.
James me regarda.
« Elle est sûre de son fait, on dirait.
— Moi aussi, je suis sûr de mon fait, répliquai-je. Elle peut toujours courir. »
Seulement, de toute évidence, elle avait une telle confiance en elle et en son « pouvoir de séduction » qu’elle ne renoncerait pas de sitôt, j’en avais bien conscience.
Antje revint sur ses entrefaites, accompagnée d’Evans qui ne nous accorda aucune attention. Elle alla aussitôt rejoindre le groupe de copines de Britta Hopkins. Antje nous apprit que la préfète lui avait accordé le bénéfice du doute et avait décidé de ne pas la punir.
« Cela dit, elle trouve que j’ai de drôles de fréquentations, ajouta-t-elle en nous regardant tour à tour, James et moi.
— De quoi se mêle cette idiote ? grondai-je. Elle parle avec Rogue et on est mille fois plus fréquentables que lui.
— C’est ce que je lui ai dit, répliqua Antje, et elle m’a répondu qu’ils se connaissaient déjà avant d’entrer à Poudlard.
— Ce n’est pas une raison. »
Elle haussa les épaules sans répondre. James, lui, faisait la tête. Il détestait plus que tout l’idée qu’Evans et le vieux Snivellus soient amis. Il suffisait d’évoquer le sujet devant lui pour le mettre de mauvaise humeur.
oOØOo
Quelques jours passèrent sans incident notable. A posteriori, si l’on exceptait les habituels mauvais coups que j’avais l’habitude de commettre avec mes amis, ce calme relatif aurait pu perdurer un bon moment. Seulement, ç’aurait été trop simple.
Un matin, je ne vis pas Antje se présenter dans la Grande Salle pour le petit déjeuner. Je ne pris pas le temps d’attendre qu’elle arrive ou de repasser par la tour de Gryffondor pour voir si elle s’y trouvait. Ma journée de classe commençait par un cours de métamorphose et je n’avais pas très envie de me faire engueuler par McGonagall. Ainsi donc, tandis que je me hâtais dans les couloirs, une sorte de tempête ambulante me percuta. Il me fallut une seconde pour reconnaître cette fille, plus petite que moi, qui m’avait bousculé et que je dus retenir par les bras pour l’empêcher de tomber. Ses épais cheveux roux lui couvraient les épaules et des mèches bouclées voilaient ses yeux marron. C’était Antje avec les cheveux détachés.
« Sirius, laisse-moi passer, dit-elle très vite. Je suis en retard, je n’ai pas eu le temps de déjeuner et je n’ai pas eu le temps de me coiffer. »
Je m’écartai sans répondre et elle fila devant moi, sa longue chevelure semblant flotter derrière elle. Tandis qu’elle disparaissait au détour d’un couloir, j’eus l’impression qu’une main invisible resserrait sa poigne sur mes entrailles.
Jusqu’à cet instant précis, je m’étais dit qu’Antje Ziegler n’était pas le laideron que tout le monde croyait voir mais qu’il n’y avait pas de quoi en faire toute une histoire.