Magazine Culture

(Note de lecture) François Cornilliat, "Envers toi", par Michaël Bishop

Par Florence Trocmé

CornillatEnvers. Auprès de, en face de, à l’égard de. Et ceci dans le contexte de l’intimité, d’une profondeur sentie, précieuse, préoccupante, fatale. Envers toi est le livre, délicat, caressé, discrètement puissant d’une tension, du paradoxe de ce qui, dans ce pont entre pure intériorité et désir ou rêve de fusion, d’union, doit avouer différence et distance, l’altérité inaliénable de l’autre. Fatalement, toujours. Le moi-narrateur se trouve obligé de se replier sur sa propre spécificité, aveuglante, à jamais repensée, afin d’en saisir, méditer, vivre intensément, l’énigme, celle, relationnelle, intersubjective, de ce qui est ici et là et entre et dont on ne saurait trouver, dans sa définitivité, le mot : le poème un mouvement vers, envers, vers sur vers, suite sur suite, une mouvance sans fin, un rythme dansant, sans "aucune transparence", ‘"sans replique ni / supplique".
Inutile de se demander pourquoi ce poème quadripartite trouve sa place dans la collection L’Extrême contemporain : il est quête incessante, sans prétention, poursuite et enquête autobiopoïétique, son texte-marée déposant sur sa propre p/l/age les si fins, les si beaux, les si fragiles résidus d’une vie, océanique, infinie, indicible comme toute vie, mais ici comprise en tant que telle, travaillée poïétiquement dans les plus profonds abîmes d’un poïein, d’un faire, d’un créer exigeant, réfractaire et conciliant à la fois, souriant-grimaçant même au cœur des turbulentes forces de l’inconscient. Et si l’esprit est le site de cette immense et si scrupuleuse et vertigineuse vassalité, celle-ci se vit simultanément sur "le bord de nos corps", sensuelle, loin des abstractions, viscérale, le poème ce geste qui consiste à "coud[re] sur // son cœur un kit / syntaxique". "Fièvre et guérison de l’icône", écrit Salah Stétié : le poème comme, simultanément, la fureur remuante, frétillante de l’exister, le bref et minimal et beau soulagement qu’il sait générer, la conscience de sa relativité, de l’impossible transmutation absolue qu’il peut rêver. Toute relation un "unbelonging", une intime adjacence malgré parfois le sentiment, et toujours le désir, d’une émouvante et idéalisante fusionalité. Envers toi est un livre plein de grâce, de délicate, spirituelle et libre discipline, le va-et-vient entre le français et l’anglais mimant quelque chose de ce que toute langue vise sans jamais éprouver le sentiment d’une convergence hautement rêvée de l’intérieur, de la conscience, et de ce que nous appelons l’extérieur, le réel de l’autre dans la royauté de sa propre conscience de son être-là.
Un très beau livre, subtil, profond, site par excellence du poïétique.
Michaël Bishop
François Cornilliat, Envers toi, 144 p., Belin, "L’extrême contemporain", 2016, 19;90€,  


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines