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Bocuse d’Or 2017, debriefing

Par Chroma @Chroma_France

Le Bocuse d’Or est devenu un billard à plusieurs bandes qui soulève des interrogations.  Certains écueils nuisant à la compréhension du système doivent être précisés.

1°) Le tirage au sort influe-t-il sur le résultat ?

Oui, 2017 n’y fait pas exception, malgré la présence de nombreuses grosses écuries le premier jour, le second apporta son traditionnel lot de « médaillés » avec la 1ère et la 3ème place, seule la Norvège s’immiscant dans le tiercé de tête. La redondance de cette situation  interpelle. Salé, sucré, acidité et amertume se transmettent à l’identique par les papilles aguerries des 24 membres du jury international mais un autre aspect humain interfère, ne minimise-t-on pas automatiquement la notation du 1er jour histoire de se garder une poire pour la soif ? Résoudre cela avec un jury différent le premier et le second jour n’a que l’apparence d’une bonne idée car cela soulève d’autres critiques. Sachant que le goût représente 40 % de la notation, ce facteur a son importance, mais hormis de concourir le même jour, on ne voit pas comment le résoudre.

2°) Il faut arrêter la mascarade du prix de consolation qui n’en est pas un.

La Hongrie récolte cette année le prix plateau et la France le prix végétal. Sauf que cela ne signifie nullement qu’ils ont été les meilleurs dans cet exercice. Dans les deux cas, ce sont les Etats-Unis qui ont terminé premiers. Les habitués du concours savent que lorsque vous êtes cités pour l’un de ces prix, vous n’êtes pas Bocuse d’Or. Cela ne nuirait pas à la compétition si les prix vont effectivement à celui qui les mérite, la victoire n’en sera que plus incontestable. L’interminable cérémonie de clôture y gagnerait en suspens et on serait à l’heure pour les reportages du soir.

3°) Nous avons encore deux Scandinaves sur le podium.

Honnêtement, on a un peu de mal à comprendre cette main-mise sur le concours qui date de 2009. Un meilleur choix de produits (pour s’en faire une idée, cliquez ici), une meilleure présentation ou une meilleure technique peuvent en être à l’origine, mais on aimerait se persuader qu’un autre phénomène, plus politique, n’en soit pas responsable sinon cela nuira à l’épreuve à long terme. Le fait est que, comme nous l’avions déjà évoqué précédemment dans saga-bocusedor 30 % des juges  nordiques au concours européen envoient systématiquement TOUS leurs représentants à la compétition mondialeoù ils trustent dès lors 25 % des postes. Ces éliminatoires pèsent sur le Bocuse d’Or (forte coïncidence, elles datent de 2008) Des nations comme l’Espagne, l’Italie ou la Grande-Bretagne sont absentes. La France est le plus lésé par le changement de 2008, elle a mathématiquement moins de chances de gagner à moins de trouver « le goût scandinave », ce qu’elle a réussit une fois depuis, en 2013.

4°) La position de la France.

De prime abord, 5ème au Bocuse d’Or Europe, encore 5ème hier. Mais si on lit entre les chiffres il y a progression. De gros compétiteurs sont arrivés et dans les faits l’Argent était plus qu’accessible. La France cumule en effet 1262 points de dégustation contre 1241 à l’Islande, 3ème, et 1225 à la Hongrie 4ème. Comment cela se fait-il ? La faute au jury Cuisine, qui note le non-gaspillage et la « durabilité » (?) ainsi que l’hygiène et la méthodologie (?). Il est frustrant de constater que 40 points de ce critère somme toute simple à réaliser nous séparent des trois autres devant nous. Cette année le jury Cuisine aura influé sur le résultat. Là aussi les Scandinaves représentent un fort %, la moitié des membres. Cela demanderait une explication sur le pourquoi de la sanction. Notons aussi la « claque » de l’Allemagne dans cet exercice.

5°) Parcours d’une victoire américaine.

Elle repose sur deux hommes en particulier, Thomas Keller et Daniel Boulud. Jérôme Bocuse, un temps vice-président du comité américain, y joue aussi un rôle. La Team USA est très réduite, une dizaine de membres. En 2007 les Etats-Unis essuient un sérieux revers, Gavin Kaysen, un protégé de Thomas Keller, échoue car deux garnitures avaient été oubliées par son assistant et sont parties dans le  lave-vaisselle avec la vaisselle… A l’époque les journaux américains ne sont pas tendres, ils ne comprenaient pas pourquoi on n’envoyait pas Keller lui-même dans l’arène. Ce dernier promet à Paul Bocuse de remporter le Bocuse d’Or « dans les 10 ans » et en 2009, son chef de cuisine Timothy Hollingsworth est le premier à relèver le gant (il fera 6ème). Mais les Américains rechutent en 2011 (10ème) et en 2013 Richard Rosendale, entraîné par Keller, toujours lui, ne marquera pas les esprits non plus (7ème). Les USA changent alors leur mode de sélection ; il n’y aura plus de sélection nationale, les candidats seront choisis par le boss. Keller nomme alors son sous-chef Philip Tessier, qui débloque le compteur en terminant second en 2015. Ce dernier devient coach pour la victoire en 2017. Certes diront certains, c’est le représentant d’un restaurant 3 étoiles qui gagne, mais l’Allemagne et la Suisse ont aussi dépêché un de leur 3*** et ont terminé dans les profondeurs du classement. On peut critiquer le fait qu’il n’est pas fair-play de sélectionner le meilleur élément mais c’est réglementaire, le Danemark fournit un précédent en envoyant 3 fois de suite un candidat qui finira par ravir la première place. Ce qui frappe une fois de plus, c’est que c’est autant l’histoire d’une filiation que de gros moyens (voir le plat, magnifique, ci-dessous) qui amène la victoire.

Plateau USA Bocuse d'or 2017

En conclusion, le Bocuse d’Or aura donc consacré un nouveau venu dans le cercle restreint de ses vainqueurs. Mais on reste un peu sur notre faim. Intrigante fut la cuisine aborigène de l’Australie. Belle initiative mais inutile, il n’existe pas de licence d’importation en Europe pour ces produits. Le sur-médiatisé thème végétalien quant à lui n’a pas changé la donne, excepté pour le Japon à qui on a supprimé le poisson (peut-être faudrait-il alterner poisson et viande pour équilibrer les chances dans le futur?). Il n’a surtout pas convaincu, nous apparaissant fade (nombreux étaient les pays qui ont relevé leur plat avec un bouillon) et uniforme (beaucoup de constructions se ressemblaient, les mêmes légumes chez les Scandinaves, tellement que la prise de photos en devenait lassante). L’idée française de présenter une seule garniture, faisant du végétal le plat principal, n’a pas été couronnée de succès. Laurent Lemal a aussi fait du thème un vrai thème, poésie sous-jacente qui n’a pas été perçue à sa juste valeur. A notre avis la France à en sus correctement interprété le thème de cette partie du concours mais le jury n’y était pas prêt sinon il aurait donné la première et non la seconde place sur ce point, à la France. C’est une opportunité ratée de rendre le concours plus ouvert dans le futur, ce dont il a urgemment besoin pour ne pas mener au découragement.


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