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(anthologie permanente) Constantin Cavàfis, "Ils m’ont à mon insu enfermé hors du monde"

Par Florence Trocmé

Michel Volkovitch publie une traduction de Tous les poèmes du poète grec Constantin Cavàfis (1863-1933) aux éditions Le Miel des Anges.
Murailles

On a, sans réflexion, sans pitié, sans pudeur,
dressé autour de moi d’imposantes murailles.
Et je reste à pleurer ici sur mon malheur.
Je ne pense qu’à lui, qui ronge mes entrailles ;
alors que j’avais tant à faire, là dehors.
Les bruits des ouvriers résonnaient à la ronde,
et moi je n’entendais qu’un silence de mort.
Ils m’ont à mon insu enfermé hors du monde
(poème publié, 1896 ; 1897)
Autant que tu le peux

Et si tu ne peux mener ta vie à ton idée,
Lutte du moins autant
que tu le peux : ne va pas l’avilir
par trop d’échanges avec le monde,
par trop de gestes et de discours.
Ne va pas l’avilir en la traînant partout,
la promenant et l’exposant
à l’imbécilité quotidienne
des relations et des fréquentations,
jusqu’à en faire une étrangère importune.
(Poème publié, 1905 ; 1913)
Lustre

Dans une chambre vide, exiguë, où nous fûmes,
aux murs d’étoffe verte recouverts,
resplendissant, un lustre brûle et fume,
où dans chaque flamme s’allume
une passion lascive, une lascive ardeur.
Dans la chambre exiguë qu’illumine et parfume
le beau lustre où brûle un feu clair,
cette lumière est étrangère à la coutume.
Les corps craintifs jamais ne se consument
aux voluptés d’une telle chaleur.
(Poème publié, 1895 ; 1914)
Dans le même espace

Logis, cafés, quartier… décor
que je vois, où je marche ; année après année.
Je t’ai créé dans le bonheur et les chagrins :
avec tant d’évènements, tant de choses.
Tu es devenu, pour moi, tout entier sentiment.
(Poème publié, 1929)
Constantin Cavàfis, Tous les poèmes, traduit par Michel Volkovitch, Le Miel des Anges, 2017, 364 p., 20€, pp. 93, 177, 183, 315.
sur le site des éditions :
Cavàfis est l’anti-Rimbaud : son développement fut progressif et lent. Ses premiers poèmes sont écrits à l’ombre des Parnassiens, de Baudelaire, des Symbolistes, de Browning ; il ne devient pleinement lui-même qu’aux abords de la quarantaine — un peu comme Proust, son contemporain. Il publie peu et comme à regret, retravaillant certains poèmes inlassablement pendant des années. Il ne verra pas la première édition d’ensemble de son œuvre, parue peu après sa mort.
Les éditions françaises de Cavàfis, conformément à l’usage grec dominant, placent les Poèmes publiés en tête, éventuellement suivis d’une partie de l’œuvre non officielle. Nous avons choisi une présentation différente, chronologique — en précisant bien à quelle catégorie appartient chaque poème. Cette disposition nouvelle donne au lecteur un point de vue différent sur l’œuvre ; moins solennelle, plus intime, plus vivante, elle permet de suivre la progression du poète qui cherche sa voix, qui devient peu à peu lui-même. On n’en sera que plus ébloui par les merveilles de la fin.


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