Henning Mankell se savait condamné lorsqu’il a écrit Les bottes suédoises, un écho à cet autre roman que j’avais adoré, Les chaussures italiennes. Voilà qui explique peut-être l’angoisse qui étreint le narrateur, Fredrik, septuagénaire, médecin à la retraite, qui se terre sur son île, dans un archipel de la Baltique.
Or cet incendie et d’autres qui surviendront demeurent accessoires dans cet ultime roman de Mankell. Tout au plus, le feu sert-il d’écran tragique à ce que la vie a elle-même de tragique, d’insoutenable. Plus que jamais, le narrateur se débat avec l’inéluctable vieillissement et son issue, la mort, prochaine, insondable.
Le vieillissement était une nappe de brume qui approchait en silence.
Mais bien vivant, encore, l’homme qui s’immerge tous les matins dans l’eau glacée de la mer, ressent profondément sa solitude, lui qui habite seul sur une île, lui qui est une île. Et l’effrayante incommunicabilité des êtres qui demeurent pour lui des mystères. Ainsi en est-il des gens du village où il débarque occasionnellement pour faire ses courses, de sa fille Louise dont il n’a appris l’existence que lorsqu’elle était déjà adulte, de l’énigmatique Lisa Modin. Ce thème, récurrent jusqu’à la fin du roman, sera magistralement illustré par son dénouement.
Dans un style dépouillé, précis, voire chirurgical, l’auteur qui n’a plus le temps pour les illusions nous convie à un douloureux questionnement existentiel. Le résultat en est poignant de vérité, d’humanité aussi. J’ai littéralement dévoré ce dernier opus du grand maître que fut Henning Mankell. Je ne me console pas de savoir désormais sa plume muette.
Henning Mankell, Les bottes suédoises, Seuil, Paris, août 2016, 279 pages