Un vendredi de décembre. Douchka se produit à la prison de Ploemeur, dans le Morbihan. Peu habitués à écouter de la musique électronique, douze détenus assistent à la performance.
Le temps est froid, le ciel maussade, Thomas Lucas, lui, bouillonne. Sur le parking de la prison de Ploemeur, il décharge son matériel, ordinateur et synthétiseur. Né à Douarnenez, le jeune breton compose de la musique électronique depuis trois ans. Il devient alors Douchka, petit protégé du label français Nowadays records, l'écurie de Fakear.
L'artiste scrute nerveusement du coin de l'oeil le portail bleu géant du centre pénitentiaire. Aujourd'hui, c'est une première : il joue dans un bunker géant où s'entassent 400 " longues peines ". Mais ce détail importe peu à l'artiste. Sur le parking, deux femmes le rejoignent et l'escortent jusqu'au portail d'entrée. Emmanuelle Le Menach, chargée de mission à la Ligue d'Enseignement du Morbihan et Lucie Rousseau, en charge de l'action culturelle à MAPL, une association de musiques actuelles à Lorient. Toutes deux ont monté un dossier monstre pour préparer la venue de Douchka en prison.
Le portail franchi, comptez quinze bonnes minutes pour atteindre la " salle de concert ". Comme dans un aéroport, il faut franchir un portique de sécurité où des gardes, à travers une vitre teintée, demandent de vider ses poches. Le téléphone est interdit, bien évidemment. Puis les colosses procèdent au contrôle d'identité. Suivent des dédales d'escaliers qui montent et redescendent, des couloirs silencieux qui tournent à gauche puis à droite, des escaliers raides, des sas contrôlés par d'autres gardes pour s'arrêter devant une grande porte qui barre le couloir. De l'autre côté, les premières cellules. Sur le même palier, une petite salle avec de la vieille moquette orange aux murs.
" J'évacue ma colère avec l'écriture "
A force, Emmanuelle Le Menach connaît bien cette prison. Depuis deux ans, elle fréquente cette salle construite dans les années 80, jamais rénovée depuis, utilisée pour les prières, les projections de films et les ateliers d'écriture. Elle est prévue pour 60 personnes mais ce jour-là seuls 32 détenus se sont inscrits pour le concert. Dans les faits, 12 détenus se pointent. " C'est chaque fois la même chose. Certains ont eu une autorisation de parloir, d'autres ne sont plus d'humeur, un autre a été libéré aujourd'hui. Ce sont les aléas de la prison ", soupire Emmanuelle Le Menach.
Douchka, le personnel pénitencier, les détenus, tout le monde se serre la main. Un homme en sweat noir lui remet une feuille maladroitement pliée en quatre. " J'évacue ma colère avec l'écriture, et aujourd'hui je suis énervé ", fulmine-t-il quand il évoque son texte écrit en cellule. Et surprise aujourd'hui, un concert au casque est proposé. Histoire de vivre pleinement et individuellement l'expérience. Aucun spectateur ne semble connaître l'artiste et personne ne sait à quoi s'attendre. Double surprise, donc. Douchka commence son set qui va durer 45 minutes. Le casque vissé sur la tête, les détenus se mettent à planer. " On s'évade avec ta musique ", lui lance un autre à la fin du concert. Mais la réalité les rattrape déjà : il faut remonter en cellule.
Des moments passés avec les artistes, ça n'arrive pas toutes les semaines en prison. Le budget ne le permet pas. En 2016, la Direction régionale des affaires culturelles en Bretagne revoyait à la baisse sa dotation pour ce dispositif d'action culturelle : 67 669 euros ont été engagés pour 18 projets soutenus, soit 7 % de moins qu'en 2015 répartis sur les sept centres pénitentiaires bretons. Ce déséquilibre s'explique depuis la création en 2016, après les attentats, d'un nouveau budget attribué à la lutte contre la radicalisation en prison. Pour monter ses projets, Emmanuelle Le Menach se voit donc obligée de piocher dans ce nouveau budget. Car, mine de rien, la culture est une arme contre le terrorisme.