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[Critique] SILENCE

Par Onrembobine @OnRembobinefr
[Critique] SILENCE

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Titre original : Silence

Note:

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Origine : États-Unis/Mexique/Japon/Italie
Réalisateur : Martin Scorsese
Distribution : Andrew Garfield, Adam Driver, Liam Neeson, Tadanobu Asano, Ciarán Hinds, Yôsuke Kubozuka, Yoshi Oida…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 8 février 2017

Le Pitch :
Au XVIIème siècle, deux jeunes prêtres jésuites se rendent au Japon dans l’espoir de retrouver leur mentor disparu, parti depuis plusieurs années pour répandre les enseignements de la chrétienté. À leur arrivée, les deux hommes découvrent un pays où le christianisme a depuis longtemps été déclaré illégal. Où les fidèles sont pourchassés et tués lorsqu’ils refusent d’apostasier. Les terribles épreuves qu’ils vont traverser pour mener leur mission à bien vont mettre leur foi à l’épreuve…

La Critique de Silence :

Il y a au moins trois Scorsese. Scorsese l’affranchi tout d’abord, connu et apprécié pour ses chroniques mafieuses profondes, violentes et rock and roll. Le Scorsese qui est fan des Stones et qui ne recule jamais devant des audaces de mises en scène qui ont inspiré plusieurs générations de cinéastes et d’acteurs. Il y aussi le Scorsese que l’on pourrait qualifier, sans arrières pensées, de « classique ». Celui d’Hugo Cabret ou du Temps de L’Innocence. Un metteur en scène à la sensibilité exacerbé, toujours aussi passionné mais plus doux dans son approche d’un cinéma grandiose. Enfin, il y a le Scorsese spirituel. L’homme de foi qui se souvient qu’un jour, il faillit dédier son existence à Dieu et à l’étude des Saintes Écritures. Un Scorsese qui croit mais qui doute également et qui en cela, interroge. C’est le Scorsese de La Dernière Tentation du Christ, de Kundun… et de Silence. Un homme parfois incompris qui à nouveau, après s’être intéressé à un individu en rupture totale avec toute forme de morale (Jordan Belfort dans Le Loup de Wall Street), revient à une sobriété qui ne cache que le bouillonnement existentiel au centre même du concept de croyance…

Silence-Adam-Driver

La confession de Scorsese

Silence est l’adaptation d’un roman de Shusaku Endo et revient ainsi sur la persécution des chrétiens japonais et de leurs prêtres dans le Japon du XVIIème siècle. Un projet que Martin Scorsese a porté en lui quasiment trente ans durant, ne trouvant jamais le bon moment pour le mettre en route, faute de financement notamment. Quand enfin il put se lancer, épaulé par le producteur emblématique Irwin Winkler, un fidèle du cinéaste, il dut faire des coupes franches pour réduire le budget. Il ne s’est pas payé et les acteurs ont revu leurs salaires à la baisse, pour ne pas que le métrage et ses exigences évidentes, inhérentes à la localisation du récit et à la reconstitution historique, n’en pâtisse. Porté par une foi évidente pour le film et par la puissance de ses thématiques, Scorsese s’est plongé dans le tournage avec le dévouement d’un artiste qui semble se moquer de son statut privilégié. C’est d’ailleurs l’un des rares « géants » du septième-art qui fait montre d’autant d’audace, quand d’autres pourraient se reposer sur leurs lauriers et ne plus tenter de choses qui pourraient ternir leur image. Scorsese lui, à l’instar de Spielberg et de quelques autres, entrevoit le cinéma comme il le faisait à ses débuts. Avec fougue et force, conviction et passion. Si ils n’ont rien à voir à première vue, Le Loup de Wall Street et Silence sont tous les deux les fruits d’un amour considérable pour le septième-art. Peu importe qu’il soit septuagénaire depuis quelques années. Martin est parti à Taïwan et a donné corps à quelque chose qui sommeillait en lui depuis longtemps, ramenant dans ses valises un authentique chef-d’œuvre d’une complexité et d’une éloquence extrêmement rares et précieuses.

Dialogue intérieur

Silence ne s’adresse pas uniquement aux croyants. Il entend par contre parler à ceux qui seront susceptibles d’être intéressés par des questions relatives à la foi. Au rapport qu’il existe entre Dieu, ou plutôt l’idée de Dieu, et ceux qui s’y dévouent, mais aussi à la diffusion de cette croyance. Silence est en cela également une fresque historique qui se focalise sur un épisode plutôt méconnu de l’histoire du monde. Alors que beaucoup, portés par des convictions somme toutes personnelles, auraient pu livrer une ode à la religion, sans se soucier de prendre du recul pour se poser des questions qui amèneraient un éclairage nouveau et plus d’universalité, Scorsese se préoccupe plutôt de parler de la liberté de l’esprit.
À partir de la persécution de ces missionnaires jésuites, venus au Japon pour apporter la bonne parole du Christ, le réalisateur (qui a participé à l’écriture du scénario, avec Jay Cocks) fait émerger la résilience de l’esprit humain, qui, presque indépendamment du corps, évolue parfois envers et contre toutes les épreuves qui se présentent. Mais il met aussi en évidence des contradictions. Oui ces hommes de foi ne veulent rien d’autre que faire découvrir aux autres ce qu’ils considèrent comme le bien le plus précieux au monde, mais au fond, quelle est leur légitimité ? En quoi leur Vérité devrait aussi devenir celle d’un peuple lointain qui possède déjà une religion ?
Les deux prêtres du film se retrouvent dans un pays hostile à leurs idées, devant des personnes néanmoins parfois acquises corps et âme à la cause de Dieu. Que cela signifie-t-il ?
Loin d’agir avec prosélytisme, Martin Scorsese cherche avant tout à comprendre. C’est du moins l’impression que son film donne quand, au détour par exemple de cette scène où Andrew Garfield fait face à un point de vue opposé au sien, il remet en cause la naïveté confinant à un désir pugnace de conquête spirituelle, qui animait ces hommes prêts à braver tous les dangers pour convertir le plus de non-croyants possibles.

Un discours actuel

C’est pour cela et pour tout un tas d’autres raisons que Silence est un film profondément actuel. Il trouve facilement sa place dans la dynamique de notre époque, où la question des religions revient sans cesse au cœur des débats. Silence traite de ces dogmes qui se côtoient dans le sang, les larmes et la fureur. On le sait croyant, mais au fond, ce qu’il nous montre prouve sans aucun doute que pour lui, les torts ne relèvent pas de la figure en laquelle on croit ou non mais plutôt dans la brutalité avec laquelle on cherche à s’opposer ou à imposer. L’histoire brutale qu’il nous conte met en exergue une sauvagerie parfois si incompréhensible qu’elle n’en devient que plus douloureuse.
Rien n’est simple dans Silence. Pas même ce titre qui fait référence à l’absence de réponses évidentes de Dieu face à la souffrances des ses ouailles. Un titre qui, à lui seul, est passionnant, tant il soulève des questions fascinantes. À l’instar du long-métrage dans son ensemble vous l’aurez compris.

Une maîtrise totale

Martin Scorsese ne perd pas de temps. Paradoxalement, alors que son film dure presque 3 heures, la rythmique est plutôt enlevée, si on fait exception d’un passage plus lent à mi-parcours, indispensable à la construction d’une atmosphère dans laquelle viennent s’épanouir les questionnements de plus en plus insistants au cœur du scénario. Ce n’est donc qu’après une courte introduction, qu’on découvre, aux côtés d’Adam Driver et d’Andrew Garfield, une nature sublimée par l’objectif du chef opérateur Rodrigo Prieto. Le spectacle est grandiose. La beauté de ce Japon mystérieux a quelque chose qui renvoie indéniablement aux risques que courent les deux prêtres tandis que Scorsese ne perd pas de vue son objectif, en ne se faisant jamais contemplatif. La forêt, les arbres et l’océan mettent chez lui en opposition la beauté de la création et la laideur des hommes dont la violence n’attend, pour s’exprimer, qu’un prétexte que l’on sait, nous contemporains, malheureusement vieux comme le monde.
La mise en scène est fluide, pertinente, inspirée… On est chez Scorsese pas de doute et ce dernier arrive encore à nous impressionner, à nous englober dans le monde qu’il dépeint, grâce à une maîtrise bel et bien totale. Grâce à ses outils, à son environnement et au langage qu’il a su affiner et perfectionner, sans se départir d’un esprit aventureux on le répète devenu rare.
Devant la caméra, le réalisateur a réuni un grand casting. Adam Driver, solaire, habité, est intense en prêtre porté par une foi mise à l’épreuve. Liam Neeson, impérial, domine la distribution avec la sagesse dont il sait faire preuve, charismatique, ambigu, tandis qu’Andrew Garfield confirme tout le bien qu’il faut penser de lui. Quelques semaines après l’incroyable Tu ne tueras point de Mel Gobson, le jeune acteur revient vers la foi et campe un personnage tétanisant. C’est lui le pivot du récit et le moins que l’on puisse dire, c’est que son talent et sa pertinence ne sont pas étrangers à la réussite de l’ensemble. Il en va de même pour les troublants Tadanobu Asano, Yôsuke Kubozuka et Yoshi Oida qui s’acquittent de leur mission avec flamboyance, eux qui personnifient en quelque sorte les contradictions qui définissaient la société japonaise de l’époque.
Des acteurs que Martin Scorsese dirige avec une maestria probante et une sensibilité infinie et qui nourrissent de leurs efforts et de leur dévouement cette fresque ultra ambitieuse dont l’impact va bien au-delà de son simple postulat.

En Bref…
Silence est un film exigent et complexe qui s’apparente à une véritable expérience sensorielle. Profond, d’une beauté à couper le souffle, et sans concession, il dégage, alors que son sujet ne le laissait pas forcément présager, une universalité probante, qui touche au vif en permanence. Chef-d’oeuvre.

@ Gilles Rolland

Silence-Andrew-Garfield
  Crédits photos : Metropolitan FilmExport


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