Je sors sidéré de ce monologue. Je craignais d’y assister, je craignais la complaisance dans le morbide de celle qui l’avait écrit, de celui qui l’a mis en scène. Et rien de tout ça. J’entends des listes de verbes : à faire ? à oublier ? à tenter à nouveau ? J’entends des noms de médicaments : camisole chimique pour masquer la souffrance. J’entends le bras lacéré, et le pourquoi, et la réponse, ironique. J’entends parce qu’elle est debout devant nous, ne fléchissant jamais, criant parfois, rarement, debout essuyant nerveusement ou posément des larmes qu’on a vues atteignant la limite de ses yeux ouverts, nous regardant, nous enjoignant : « Regardez-moi ». Cherchant dans nos regards l’espoir de persister, comme on dit d’une persistance rétinienne. Graver son visage dans nos regards et sa voix sur le plateau légèrement incliné du théâtre, cette inclinaison qui, pour rester droite et debout, exige d’elle une tension qu’elle nous transmet : « Je n’ai aucun désir de mort aucun suicidé n’en a jamais eu ». Mais ni Dieu, ni la société, ni la médecine ne donnent l’amour. Cette lucidité advient au théâtre parce que Sarah Kane écrit pour le théâtre : « Ouvrez les rideaux ». Ouvrez même après la mort : « Rien qu’un mot sur une page et le théâtre est là ». Et la vie ? Et l’amour?
J'ai vu ce spectacle au Théâtre-Studio, à Alfortville (94) - photo Simon Annand