Ceux qui découvriront Nan Aurousseau avec Des coccinelles dans des noyaux de cerise ne pourront qu'être surpris. Moi pas ... car je connais cet auteur depuis plus de dix ans. Le premier livre que j'ai lu était Bleu de chauffe, paru en 2005, et je le cite parce qu'il est sans doute le plus autobiographique.
J'ai retrouvé dans ce dernier roman le style très particulier de Nan Aurousseau, intensément noir, tout en reflets comme un tableau de Pierre Soulages. La lecture au nième degré est très jouissive et j'aurais pu écrire une critique dithyrambique s'il n'y avait pas eu un plouf brutal dans le potage.
Tout allait bien, très bien jusqu'à la page 207 et il n'en restait que 26. Quand deux mots malheureux de trop m'ont scotchée. Il a fallu que lui aussi succombe à la manigance. C'est bien Sainte-Adresse que mes yeux lisent, en italiques, donc avec insistance.
A croire que le directeur de la communication (ou la directrice ...) réussit par un tour de passe passe insensé à persuader tous les écrivains de glisser le nom de la ville du Havre dans toutes les nouveautés. Cela devient viral.
Je ne vais pas le condamner pour si peu. Il a suffisamment connu les tribunaux et cet homme est profondément bon, je vous jure ... j'ai passé une heure très agréable en sa compagnie. S'en souviendra-t-il ? Je n'ai encore jamais raconté ce que nous nous sommes dit... Et puis le temps a passé.
Avec ce neuvième roman, le premier chez Buchet Chastel, j'ai le sentiment qu'il monte d'un cran dans la noirceur, ne serait-ce qu'avec la couverture qui du bleu de chauffe (qui est aussi une couleur) de Stock tourne au noir complet. Il ne faut pas croire pourtant que l'homme soit dénué de douceur. Je voulais d'ailleurs titrer Nan Aurousseau, apte au bonheur après notre entretien et j'ai eu peur d'être mièvre.
Certains artistes se cherchent. D'autres sont parfaitement en phase avec leur œuvre, comme Andy Wharol ou Sonia Rykiel, et ... Nan Aurousseau. Si vous ne le connaissez pas cet article va combler votre ignorance et si vous savez déjà qui il est, peut-être le verrez-vous ensuite d'un autre œil.
A l'écouter parler, on se demande si c'est sa vie qui est le terreau de ses romans ou si ce sont ses livres qui ont fait de lui l'homme qu'il est. Il a passé son enfance dans le XXe à Paris. A 18 ans, il est condamné à 6 ans de prison pour braquage. Il est désormais clean selon l'expression consacrée, un mec très très tranquille, l'homme gris normal qui n'embête jamais personne, mais les confidences qu'il a entendues sont matière à écrire pour longtemps. Suffit de dérouler le fil, la réalité est toujours supérieure à la fiction.
Bleu de chauffe m'avait cueillie, emportée. J'avais marché à fond dans l'histoire. Quelle satisfaction ce doit être d'avoir l'encre aussi fluide. J'avais aussitôt enregistré le nom de l'auteur, inconnu au bataillon. Alors, forcément, quand est sorti l'année suivante un autre livre du même acabit (toujours chez Stock, à la couverture très reconnaissable) signé Nan Aurousseau je me suis demandé si c'était le même homme. Le titre s'étalait fort à propos Du même auteur. Il était de la même veine. Plaisir d'une lecture, je ne dirais pas "facile" mais prenante. Le genre de bouquin qu'on ne lâche pas parce qu'il y a des personnages attachants, une intrigue bien ficelée et surtout un style.
Je viens de les relire, pour les besoins de l'article avec l'idée de confronter l'oral avec l'écrit, mais sans préméditation, je vous jure. La reconstitution a été éclairante. Encore plus de plaisir de lecture : j'accédai cette fois au 2ème, voire au 3ème degré. Nan Aurousseau a une écriture codée. Ce n'est pas pour faire "bien". Cela lui vient naturellement et bavarder avec lui est du même acabit.
On pense à Coluche, à Audiard, sauf que Nan Aurousseau ne se borne pas à dézinguer à tout va. C'est aussi un poète et un épicurien. Sinon comment aurait-il pu citer (ou inventer ?) cette recette du pâté d'olives, attribuée à Blaise Cendrars ?
Et quand il décrit le plaisir à profiter de la mousse d'un bon bain on ressent avec lui combien une chose aussi superficielle peut manquer cruellement à un être humain. Mais c'est surtout un homme honnête. Capable de regarder dans le rétroviseur avec lucidité. Sans chercher mille excuses à ses errements passés : échanger mon flingue contre un stylo n'avait pas été aussi simple qu'on peut le supposer, surtout avec le putain de caractère dont m'avait doté la nature. ( Du même auteur, page 35)
André Malraux, je crois, se moquait de ceux qui déployaient leur culture comme d'autres la confiture, constatant que moins on en a, plus on l'étale. Nan Aurousseau a compris la leçon. Il est discret et on se demande comment quelqu'un comme Thierry Ardisson n'a pas eu l'idée de l'inviter dans une de ses émissions. Manque de (bon) conseil sans doute.
Le romancier est une éponge et Nan Aurousseau recrache régulièrement ce qui a pu le choquer au cours des années passées en prison (lisez les pages 104-105) avec attention. Ce ne sont pas tant les forfaits commis qui sont terribles mais le pourquoi du comment des jeunes à en arriver là. Le ciel tombe vite sur la tête des jeunes détenus qui vont se radicaliser à cause de la prison.
Des coccinelles dans des noyaux de cerise est donc une histoire vraie. Celle d'un homme né d'une mère droguée, prostituée, tuée par balle mais maintenue en vie jusqu'à ce que l'enfant qu'elle portait puisse être sorti de son ventre. N'avoir jamais reçu l'amour de sa mère laissera des traces indélébiles sur François. Il est né avec un os dans le coeur, qui l'empêche de croire à l'amour de paumée de la visiteuse de prison qui semble pourtant lui en témoigner, parce qu'il croit à rien (p. 15).
Il sera sans doute plus sensible que la moyenne aux marques de respect et allergique au mépris. Avec une sorte de philosophie personnelle : l'important dans la vie c'est d'être cru sinon vous êtes cuit. (...) C'est méchant le hasard ça fait vachement de dégâts. (p. 15)
C'est pile ce à quoi il sera confronté en prison, au contact de Mehdi dont il note qu'il n'avait rien contre les petits voleurs mais qui était quand même d'un autre cercle (p. 38), formant avec sa femme Karima un couple d'égoïstes avec plein de fric planqué quelque part. On n'avait que des miettes qu'il nous jetait comme aux pigeons. (p. 40)
En fait de noyaux, ce sont surtout les (gros) pépins qu'avaleront les femmes qui croisent sa route, avec une montée crescendo qui finit par cueillir le lecteur. Car la langue de Nan Aurousseau est truculente, souvent poétique, et qu'en fin de compte ce qu'il nous raconte n'est pas pire que ce que les maitres américains du roman noir ont osé imaginer. On est dans la veine de Celles de la rivière, ou de Pretty girls et je me demande aussi pourquoi le cinéma ne s'est pas encore penché sur ses livres pour une adaptation grand écran.
J'ai pensé aussi à Marguerite Duras parce que François, en somme, est une sorte de version masculine de l'Amante anglaise qu'on peut voir en ce moment au Lucernaire. Le parallèle entre l'interrogateur de Duras et le brigadier d'Aurousseau est troublant (chapitre 24). Les deux écrivains sont fascinés par les apparences dont ils nous exhortent à nous méfier. Par la capacité de chacun à devenir un criminel potentiel. Mais rassurez-vous, les lecteurs de polars sont de tranquilles agneaux qui ne passent pas à l'acte. Les gens sont des hypocrites, ils adorent les faits divers sordides et quand on passe devant eux dans un fourgon en sortant du palais il nous jettent la pierre. (p. 149)
Ne boudez pas votre plaisir. Lisez les oeuvres complètes de Nan Aurousseau et vous verrez la réalité d'une autre couleur.
Des coccinelles dans des noyaux de cerise de Nan Aurousseau, chez Buchet Chastel, en librairie depuis le 3 janvier 2017