Vers la Tradition
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Interroger le terrorisme islamique en regard de la pensée de René Guénon, telle est le propos de Jean-Louis Gabin dans ce numéro hors-série de la revue Vers la Tradition fondée par le regretté Roland Goffin.
Selon l’auteur, les convertis guénoniens à l’islam, et notamment les soufis français, ont détourné l’œuvre de Guénon pour démontrer la légitimité doctrinale de l’expansionnisme islamiste. En s’appuyant sur certains textes guénoniens, ils affirment que la fonction de l’islam serait de récapituler toutes les religions traditionnelles. Dans « Les mystères de la lettre Nûn », par exemple, Guénon caractérisait l’accomplissement de notre cycle actuel par « la rencontre de deux formes traditionnelles qui correspondent à son commencement et à sa fin, et qui ont respectivement pour langues sacrées le sanskrit et l’arabe » [1] – autrement dit : les traditions hindoue et musulmane. De quel ordre est cette « rencontre » ? Jean-Louis Gabin n’y accorde aucune valeur synthétique ni substantielle mais, par contre, il dénonce l’interprétation eschatologique qui a pu en être faite et rejette sur Michel Vâlsan la propagation de cette idée.
En effet, Valsân, dans un article qui fait autorité dans le milieu de l’ésotérisme musulman occidental, « Le Triangle de l’Androgyne et le monosyllabe "Om" » [2], a explicitement formulé, qu’à la fin de notre cycle, toutes les religions, y compris l’hindouisme et le christianisme, devraient être absorbées par l’islam. Pour Jean-Louis Gabin, l’exclusivisme religieux de Michel Vâlsan, parce qu’il s’oppose à la vision guénonienne de l’unicité des religions, ne peut que favoriser l’interprétation exotérique et fondamentaliste de l’islam.
Il faut lire ce livre, même si l’on ne suit pas toujours cette « rectification » à laquelle l’auteur nous invite. La correspondance de René Guénon montre que son indépendance intellectuelle vis-à-vis de l’islam, si elle ne s’est jamais démentie dans ses ouvrages publics, doit être nuancée par ses prises de position privées. En témoigne, cet extrait d’une lettre adressée à « L. C d’Amiens » le 27 juin 1936 : « La restauration initiatique en mode occidental me paraît bien improbable, et même de plus en plus comme vous le dites ; au fond, du reste, je n’y ai jamais beaucoup compté, mais naturellement je ne pouvais trop le montrer dans mes livres, ne serait-ce que pour ne pas sembler écarter a priori la possibilité la plus favorable. Pour y suppléer, il n'y a pas d'autre moyen que de recourir à une autre forme traditionnelle, et la forme islamique est la seule qui se prête à faire quelque chose en Europe même, ce qui réduit les difficultés au minimum. » [3] On regrettera que Jean-Louis Gabin ait préféré « couper » la dernière phrase de cette citation, dans un passage (p. 43) où lui-même reproche à l’essayiste Alexandre del Valle d'employer ce type de procédé...
Alain Santacreu
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[1] René Guénon, « Les mystères de la lettre Nûn » in Symboles fondamentaux de la Science sacrée, chapitre XXIII.
[2] Michel Vâlsan, « Le Triangle de l’Androgyne et le monosyllabe "Om" » , Études Traditionnelles, 1964-65 ; repris dans L’Islam et la fonction de René Guénon, Éditions de l’Œuvre, 1984, pp. 126-144.
[3] « René Guénon, Lettre à L. C. d’Amiens, Le Caire 27 juin 1936 », in le numéro spécial « René Guénon » de la revue Soufisme d’Orient et d’Occident, n°6, 2001, p. 16. On notera que sur le site de cette revue, éditée par l’association culturelle l’Isthme, émanation de la Tariqa Boutchichya, ce passage a été supprimé : http://www.soufisme.org/2.0/personnalites/reneguenon/correspondances-le-caire-amiens-4/
On peut lire le passage de cette lettre sur internet en cliquant ici