D’où vient la parole ? Vient-elle du silence ? Du silence de la mère. Ou des voix qui se sont tues, celle du père dont l’écriture n’a pas pu se défaire de l’alphabet médiéval : « Tiens, c’est ton père ». De la Lorraine à Villequier, il suffira d’un poème, celui de Victor Hugo dont l’enfant mange les vers, comme les vers mangent son père. La langue est un long, long apprentissage. Elle a des accents, des façons à elle de gentillesse, de dire « petit », par exemple « ein brivele », ou un ton venu d’ailleurs, Japon, Corse, « yiddishe mama » (une chanson en exergue à ce livre), un ton « au fond de la gorge » d’où on a extrait les amygdales. Et la voix de la mère qui revient à travers sa propre voix enregistrée à la radio dit ce qu’elle n’avait peut-être pas dit : que l’amour et la mort pleurent dans un broc au cimetière, pleurent moins un mari qu’un enfant, que les enfants qui meurent trop jeunes, de « fièvre puerpérale », ou d’autre chose, vous emportent la voix.