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Le digital pourrait relancer nos démocraties si et seulement si...

Publié le 09 mars 2017 par Pnordey @latelier

Aujourd’hui, le digital est partout. Il révolutionne tous les secteurs : services, industrie, éducation et même l’agriculture. Il se propage dans toutes les entreprises, petites ou grandes, et pas seulement via les start-up. Mais il y a un domaine encore relativement vierge, que le digital est en train d’adresser, celui de la démocratie.

Depuis la campagne électorale de Barack Obama, le rôle d’internet a bien changé et les réseaux sociaux ont joué un rôle crucial dans les dernières campagnes aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne comme en Italie. Si certains voient dans le web l’une des explications à la prolifération de thèses extrêmes et à la perte de crédibilité des politiques, internet par le biais des Civic Tech, pourrait bien au contraire, venir au secours de la démocratie.

Un moment crucial dans l’histoire politique des Etats-Unis et de la France

Ce nouveau paradigme digital a déjà un impact politique au sens étymologique du terme (relatif aux affaires de la cité) : il a aussi commencé à changer nos villes. Applications d’information, réseaux connectés, transports intelligents, énergie et réseaux gérés grâce au digital et aux “data”, la Smart City n’est plus un rêve fou ou un simple espoir. Elle est bien réelle et prend forme sous nos yeux, à Lyon, à Lille, à Barcelone, à Stockholm ou encore à Boston. Reste une sphère qui peut, elle aussi, être vraiment transformée par cette dynamique digitale : celle de la politique à l’échelle nationale. A l’heure où les Américains viennent d’élire un nouveau président après les deux mandats de Barack Obama et où les Français vont faire bientôt de même à un moment critique de notre histoire économique et sociale, le digital peut-il nous venir en aide ? En 2015, la fondation Knight aux Etats-Unis a réalisé un rapport très complet et même chiffré sur les enjeux de la Civic Tech, comprenez toute technologie permettant aux citoyens de s’exprimer et de renouer le dialogue avec leur gouvernement, de façon plus transparente, plus accessible, et donc plus démocratique. Ce rapport permettait notamment de classer les améliorations potentielles des technologies appliquées à l’appareil politique en deux grandes catégories : ouverture du gouvernement et participation citoyenne. La première intègre des solutions comme l’ouverture des données, la transparence, la cartographie et la visualisation des données publiques, l’exploitation et l’utilisation de ces données, jusqu’à la co-création des lois et des décisions gouvernementales – on voit qu’on en est encore loin. La seconde concerne davantage la participation citoyenne avec le développement des réseaux citoyens, l’engagement des communautés locales, le financement participatif dit crowdfunding et le partage de données citoyennes. On le voit, l’échantillon est large. Et ne mettre en œuvre ne serait-ce qu’une petite partie de ces solutions serait déjà franchir un grand pas.

Capable du meilleur comme du pire

La question est donc plus large : est-ce que le digital va venir révolutionner voire ubériser le fonctionnement même de notre vie politique ? Ce terme d’uberisation n’est pas forcément le plus évident à appliquer au monde politique, mais force est de constater que le digital est progressivement en train de changer notre rapport à la démocratie. Le site de pétition en ligne change.org par exemple, dont le slogan est “Le pouvoir de votre voix”, à dépassé l’an dernier la barre des 100 millions d’utilisateurs. Mais nous savons tous que le digital est aussi un amplificateur d’opinions. Internet charrie tous les engagements, tous les enthousiasmes… et tous les excès. Les extrémistes de tout poil y prolifèrent grâce à cette liberté digitale si difficile à maîtriser. Internet, c’est une loupe à opinion, un multiplicateur. Le principe d’ « une voix, un vote » s’y applique difficilement. Ce sont ceux qui crient le plus fort qui s’y font le plus entendre.

Le digital pourrait relancer nos démocraties si et seulement si...

Attaques via tweeter de D. trump pendant la campagne électorale à l'attention de son adversaire politique H. Clinton 

Depuis plus de 10 ans, le digital a fait évoluer « l’opinion publique », cette notion qui date en France de la fin de l’Ancien Régime et qui repose sur l’émergence d’une conscience collective. Internet et le digital sont des vecteurs puissants de « l’empowerment » des individus, c’est-à-dire de la prise de conscience de la puissance de la foule mais surtout de la capacité des individus à influer sur le cours des choses. C’est ce que Dominique Piotet et Francis Pisani évoquent dans leur livre « l’alchimie des multitudes ». Dans la sphère politique qui nous intéresse aujourd’hui, cet empowerment peut se montrer ravageur. Le résultat des élections américaines ou encore le Brexit sont des exemples très parlants de la difficulté pour le monde politique, les médias ou les instituts de sondage à anticiper, comprendre et influer sur l’opinion publique. Car « l’empowerment » a supprimé cette notion un peu floue d’opinion publique pour laisser place à des mouvements d’individus qui se forment et s’amplifient sur la toile au grès d’intérêts particuliers qui peuvent être communs pendant un moment, avant de disparaître ou de se recomposer.   

Et concrètement où en est-t-on ?

Bien sûr le numérique a tout de même commencé à tisser sa toile dans la sphère politique. Des maires utilisent déjà la force des réseaux sociaux ou des applications spécifiques comme Fluicity pour tisser un lien plus étroit avec les citoyens et leur permettre d’influer sur les décisions politiques locales, c’est ce qu’a mis en place la mairie de Paris avec son budget participatif par exemple. A l’échelle nationale, Ségolène Royal s’était essayée, avec un succès mitigé, à une construction de programme participatif. Mais ce n’est qu’un début. Pour l’instant, l’efficacité du web dans la politique est d’abord l’apanage des influenceurs, très présents sur Twitter (n’est-ce pas Monsieur Trump ?), Facebook ou SnapChat. Chaque candidat aura sa stratégie Internet pour aller draguer l’électeur sur le Web, stratégie plus ou moins efficace, plus ou moins structurée, avec ou sans l’aide de l’américain Nation Builder. Cet expert digital du mapping électoral a récemment encore fait parlé de lui. Ce “tout en un” permet de gérer en même temps un site web, un outil de dons en ligne et, surtout, une base de contacts, qu’il anime même. L’américain a accompagné avec succès les deux campagnes victorieuses de Barack Obama et travaille aujourd’hui aux côtés d’Emmanuel Macron pour optimiser une démarche vieille comme le monde, celle du porte à porte. Mais ce sera de la communication politique ou au mieux de la stratégie électorale. Comme les marques le font déjà largement sur Internet, ce sera du web marketing appliqué aux élections.

Il faut néanmoins reconnaître déjà 2 énormes avantages à l’émergence des Civic Tech. Le premier c’est la revitalisation de l’engagement des jeunes. Avec des taux d’absention souvent proches de 30%, voire au-delà, les millenials sont attirés par ces formes de communication digitales, proches de leurs habitudes, leur donnant ainsi le sentiment que leur avis compte, ce qui les encouragera sans doute à se réengager dans le débat public. Ensuite, des start-up comme Make.org ont pour ambition d’apporter dans le débat public de nouvelles idées, via un système de crowdsourcing et de vote comme on le connaît dans le crowdfunding (financement participatif) par exemple, où chacun est libre de proposer une idée que le vote du plus grand nombre fera émerger ou non. Ce système pourrait avoir la vertu de donner vie rapidement à des idées parfois simples et frappées du coin du bon sens, et de voir politiques, associatifs ou chefs d’entreprises les reprendre et leur donner un tour concret.   

Si l’on veut que le digital aide la politique et donc la démocratie à trouver un second souffle, il faudra sans doute trouver des équilibres. Remettre l’individu au coeur du système et favoriser le débat, car les Civic Tech ne doivent pas accélérer l’individualisme mais au contraire redonner toute sa force et sa valeur au collectif et à l’échange d’idées. Si les Civic Tech n’ont pas encore réussi à s’imposer dans le débat public, il faut reconnaître que leur existence et leur médiatisation - regardez le nombre d’article autour de laprimaire.org par exemple - sont déjà des marqueurs d’un débat public qui commence à se renouveler. Le digital est au service des hommes, y compris dans les choix qui gouvernent leur vie ; la sphère politique nationale ne doit pas être la dernière à profiter des attraits de cette révolution.


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