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Grave : nouveau souffle sanguin du cinéma français

Publié le 13 mars 2017 par Efflorescenceculturelle
Pour son premier long-métrage, Julia Ducournau s'est emparée d'un sujet aiguisé comme une lame : comment observe t-on le cannibalisme de notre temps ? Avec Grave, la réalisatrice redessine la veine d'un cinéma protéiforme. Grave : nouveau souffle sanguin du cinéma français Justine (Garance Marillier) a 16 ans. Sur les pas de sa famille et particulièrement sa grande soeur (Ella Rumpf), elle atteint les prestiges et intègre l'école vétérinaire de ses rêves... Reste que la réalité rattrape vite le fantasme. Pour la toute première fois, Justine mange de la viande. Végétarienne, ou non, elle en vient alors à déguster ce met. La jeune fille se découvre un double enfoui en elle, plus viscéral. Arraché de toute pudeur, juste attiré par le corps, par l'humain. A t-elle pour autant l'allure d'un monstre ?

Calibré jusqu'à la moelle, Grave propose une idée toute fraiche : celle de suivre de près l'initiation de l'humaine vers un état (presque) sauvage. Malgré cet aspect " réducteur " en ressort un paradoxe : c'est un film subversif au possible. Pour preuve, impossible de ne pas comprendre et de ne pas s'investir dans cet odyssée-miroir d'une adolescente, plongée tête la première dans l'âge adulte.

bien interprété... Puisque son actrice principale, Garance Marillier, a été élevée au septième art par Julia Ducournau. Depuis son apparition dans son premier court-métrage, Junior, ce fut le coup de coeur. Depuis, une confiance totale s'est installée entre la réalisatrice et l'interprète. Optant pour quelques moments d'improvisation, le personnage de Justine peut s'apparenter à chacun de nous. Son caractère universel possède les crocs nécessaire pour mordre dans un réalisme hallucinant. Une grande actrice est née !

Julia Ducournau à propos de Garance Marillier : " Elle est arrivée, timide, avec un physique de crevette. Quand elle s'est mise à jouer, j'ai été particulièrement touchée par son charisme et sa force. Garance a un physique intéressant, qui rappelle à l'enfance et à l'âge adulte. Il y a comme une forme d'innocence et quelque chose d'inquiétant. C'est facile pour moi de me projeter en elle, car nous avons des caractères assez semblables "

Grave violent. Oui, mais la violence se comporte comme prisme audacieux. D'abord, celle qui est visuelle, cinématographique. L'usage de l'hémoglobine n'est jamais à l'outrance, toujours chargée de sens. Le sang lave, il est symbole de purification pour une humaine en quête de devenir l'animal. Au premier contact avec celui-ci, Justine change, se solidifie, s'affirme (la réalisatrice maintien un propos féministe). Enfin, c'est de par son regard qu'elle coupe le film en deux. Au départ, elle cultive une assurance naïve, fragile. Puis, " peu à peu, elle modifie complètement son regard, qui devient plus aiguisé et inquiétant " soutient Ducournau. Pari réussi, la violence est ici nécessaire et jamais gratuite. Elle découle juste d'un propos qui a les tripes, à fleur de peau, sans tabous.

La violence ne s'arrête pas là. Plus sur le fond cette fois-ci, elle est aussi véritablement sociale. Outre le côté engagé qui dépeint merveilleusement bien ce personnage de femme forte, le processus ne s'est pas déclenché seul. Bizutages, chocs verbaux, Grave demeure en définitif un film plutôt alarmant sur l'oppression dans le milieux éducatif. Sans pitié, Ducournau filme son personnage manger des foies d'animaux, traverser des morgues et subir des soirées fiévreuses, tout en sachant que son appartement a été ravagé par les " anciens ". Le tout présenté comme étant un défi pour être acceptée. Au diable l'intégration, cette compétition de la loi du plus fort peut changer une personne à jamais.

Grave : nouveau souffle sanguin du cinéma français

Grave bien réalisé. Epaulée par le chef opérateur Ruben Impens (collaborateur de Felix Van Groeningen, à qui on doit Alabama Monroe et Belgica), Julia Ducournau assure un tour de force. Avec le réalisme comme religion, la cinéaste joue sur deux tableaux. Celui, tout d'abord, d'une présentation honnêtes des corps. Tout est représenté, tout est vrai. Pourtant, l'usage des couleurs et l'esthétisme n'en sont pas pour autant mis de côtés. Bien au contraire, la photographie ultra-léchée s'apparente à de l'expressionnisme. On pense notamment à cette scène où la promotion de Justine se voit aspergée de sang, ou encore à cette étreinte entre Justine et un garçon, tout deux couverts de peinture. L'image est forte, d'une beauté sensuelle marquante.

Grave : nouveau souffle sanguin du cinéma français

Profitant d'un montage aux petits oignons, le film présente son lot de scènes " clipesques " totalement assumées. Ainsi, le groupe The Do se voit offrir un parfait clip-vidéo pour son titre énergisant Despair, Hangover, Ecstasy, pendant un magnifique plan-séquence sous amphets. Autre moment remarquable, où Justine tente de séduire son miroir. Bref, tant d'images ancrées dans la mémoires, pionnières.

Sans aborder l'insupportable, Julia Ducournau nous accroche, nous crispe et nous emporte avec Grave. Le film possède un arrière-goût intéressant : celui de proposer un personnage d'anti-héro auquel il est difficile de ne pas éprouver de l'empathie.

De notre côté, on en ressort sans cette sensation de nausée, contrairement à ce qu'on avait pu entendre depuis la fameuse avant-première à Toronto (à ne pas généraliser). Détentrice d'un talent indéniable, la cinéaste à fait de son premier film un ovni qui possède l'étoffe du messi. Le représentant d'un renouvellement du cinéma français, qui tente, ose, agit, s'exprime. Qui croque à pleines dents dans ses ambitions.

Samuel Regnard

Grave, un film de Julia Ducournau, avec Garance Marillier, Ella Rumpf, Rabah Nait Oufella, Laurent Lucas, Bouli Lanners... en salles le 15 mars 2017.


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