Le déficit indispensable, d'Anne Kawala

Anne Kawala était invitée à la soirée de la Compagnie Résonances et y a lu des extraits de son livre Le déficit indispensable (screwball).

De sa lecture je retiens une élocution rapide où l’eau jaillit : 

« je déferle, je cascade, je fais peur, on me fuit, je lèche pieds, mains,
meubles, flammes, feu, je grésille, m’évapore, j’éteins, en moi se diluent les
cendres, je flotte, me condense, suinte, … » 

Ce débordement méritait que l’on s’y arrête, ne serait-ce que pour voir comment c’était écrit. Et le livre ne déçoit pas. Parfois les textes y remplissent les pages, récit d’une aventure partant de Qaanaaq à bord d’un véhicule dont la marque a aujourd’hui disparu, puis d’un canot de survie qui dérive et aborde une terre qui n’est pas la fin prévue du voyage où la « chasseuse-cueilleuse » voulait « rejoindre her love ». Parce que la fonte des glaces du Pôle Nord modifie les courants, modifie les étendues d’eau, menace et tue, sépare les continents, sépare celle et celui, le môme, qui veillaient l’un sur l’autre. Parfois, comme dans la séquence de l’eau qui déborde, les textes sont écrits en une suite de courts poèmes, laissant du vide sur les pages, et faisant revenir un refrain : 

« le seuil dont le coeur est la force,
son débit, sa douceur et sa rage
écoutés, tout se noue et s’emporte,
me hèle, dans nos marches les jours passent, »

Des photos, des dessins occupent certaines pages, et un document, intitulé « Notebook », accompagne le récit. On navigue donc dans ce livre entre une narration puissante, étrange et douloureuse, et des propos, citations donnant à l’aventure une profondeur insondable : quelles sont donc les relations entre la chasseuse-cueilleuse et le môme ? Quelle est leur langue ? Le présent est-il soluble dans l’avenir ? Qu’est-il advenu de Dzeta, une chienne dont le nom est emprunté à l’alphabet grec ?