L’avatar est la personnification en ligne de notre identité numérique. Il nous identifie et nous représente dans le cyberespace. En cela, peut-on penser des droits et des protections spécifiques qui y soient rattachées ?
L’identité est un des questionnements fondateurs de l’histoire de l’humanité. Insaisissable et mouvante, elle se donne en question sans jamais trouver de réponse. « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’Univers et les Dieux » disait Socrate. La révolution numérique et son irrésistible pouvoir d’abstraction entraîne avec elle un remodelage profond des techniques d’identification. En effet, l’identité dans le monde réel devient identité numérique dans les mondes virtuels. Dans le cyberespace, L’IP et nos données remplacent le corps et sont les traces de notre présence sur la toile. Cette nouvelle forme d’identité se manifeste selon Fanny Georges, dans son Approche sémantique et quantitative de l’emprise du web 2.0, de trois façons. D’abord, l’identité déclarative qui permet l’identification de la personne et qui est composée de données saisies directement par l’utilisateur et qui renseigne tout ou partie de son Etat civil. Ensuite, l’identité agissante qui regroupe toutes les traces issues de l’activité de l’utilisateur sur le Web, typiquement ses likes, ses préférences et ses commentaires. Enfin, l’identité calculée qui, elle « se manifeste par des variables quantifiées produites d’un calcul du système » comme le nombre d’amis, le nombre de groupes, c’est finalement un profil algorithmique global de la personne.
Toutes ces données laissées par l’utilisateur, mises ensemble en un tout compact, forment ce que l’on appelle l’identité numérique. Elle mêle donc stratégie de promotion et de valorisation marketing de soi et technique d’identification. Ce qui caractérise alors l’identité numérique et qui fait tout l’intérêt et la complexité de son statut c’est son caractère immatériel, impalpable et essentiellement dissolu. C’est avant tout un agrégat d’informations qui pourtant forme un tout unique. L’identité est avant toute chose ce qui reste identique à soi, invariant. Une des matérialisations la plus manifeste de l’identité numérique reste encore l’avatar. Le philosophe français Yves Michaux a consacré un ouvrage aux mutations en œuvres dans nos sociétés bouleversées par la révolution numérique en donnant « un portrait de notre époque, de ses changements, ou plutôt de ses basculements ». Son œuvre “Narcisse et ses avatars”, au titre éloquent, remplace un concept traditionnel par un nouveau, symbolisant alors les glissements sociétaux engendrés par le numérique. Pour lui, le concept d’avatar remplace celui d’identité. « La vie désormais n’est plus dans la machine, ni sur l’écran, ni dans le réel : elle est disséminée dans les avatars des individus » Mais qu’est ce qui définit concrètement l’avatar ?
Quel statut juridique pour l’avatar ?
Le terme avatar provient du sanskrit et désigne l’ « incarnation divine ». Un divin fantôme surgissant sur terre pour sauver le monde du désordre cosmique engendré par les démons. Un deus ex machina. C’est un peu le même fonctionnement qui est en œuvre aujourd’hui. L’homme surgit dans un monde virtuel et s’incarne dans un corps céleste, immatériel du moins, pour investir les réseaux du cyberespace. Il s’agit d’une mue, presque d’une numérisation : en photographie, en hologramme, en pseudonyme, en personnage de BD, en moi en un autre, en anonyme aussi. Si le terme d’avatar était originellement utilisé dans le secteur des jeux vidéo pour désigner l’identification d’un joueur avec son personnage fictif, le concept s’est étendu ensuite à toute forme de personnification de soi sur Internet.
Or si l’avatar est mon double numérique peut-il jouir des droits, des devoirs et de la personnalité juridique qui m’incombent ? C’est toute la question que pose l’émergence d’un droit des avatars. Car ces nouvelles formes de représentation de soi engendrent nécessairement des questionnements légitimes en termes d’éthique mais aussi de protection juridique et de propriété. Il n’existe pas encore aujourd’hui un statut proprement juridique de l’avatar. Selon Olivier Iteanu, avocat et professeur de droit à l’Université Paris I Sorbonne, l’avatar ne sera jamais l’homme mais uniquement son représentant. En cela, il est difficile de lui reconnaître une personnalité juridique propre. Pour autant, rien ne dit, selon lui, qu’il ne peut exister en soi de protection à venir. Il rappelle notamment que le droit à consacré un statut juridique propre à des entités fictives comme les personnes morales. La chair et la matérialité n’est donc pas la condition d’une telle requête. Catherine Chabert, avocate spécialisée en réalité virtuelle, assimile le traitement de l’avatar à la conception graphique et parle donc du droit de la propriété intellectuelle (l’avatar étant avant tout une création) et plus largement du droit des contrats. L’avatar appartient en premier lieu à son créateur, il est sous sa responsabilité si toutefois celui-ci ne l’a pas cédé, vendu ou donné à autrui en vertu du droit actuel des contrats.
La difficile mise en place d’une responsabilité juridique.
Si le statut juridique des avatars est encore flou, leur responsabilité elle se précise. Car puisque les hommes les pilotent, les avatars peuvent être le moyen de perpétuer de mauvaises actions en ligne, sous couvert le plus souvent d’anonymat. Les avatars peuvent en effet être usurpés, revendus et détournés avec des conséquences concrètes dans la vie réelle. C’est le cas des avatars criminels ou espions. Les dérives en la matière ne sont pas des faits isolés. Les différents scandales du monde virtuel Second Life, monde virtuel immersif conçu comme un miroir du réel, démontre toute l’importance de définir un statut juridique pour l’avatar. En l’espèce, le scandale Second Life a mis en lumière l’utilisation d’avatars, et plus largement des mondes virtuels, pour mettre en place des économies parallèles, pour espionner ou s’adonner à tout genre d’activités illégales comme la pédopornographie ou autres cyber-harcèlements. L’avatar agit ici comme un rempart et une cape d’invisibilité. Alors comment garantir qu’il représente l’identité réelle de l’utilisateur. Et quelle responsabilité lui attribuer ?
Eric Barbry, avocat spécialisé dans le droit numérique, dessine sur le site de son cabinet les contours de cette responsabilité. « Pour être responsable, à savoir tenu de répondre des dommages que l’on cause à autrui et de les réparer, il convient à tout le moins d’être doté d’une personnalité juridique, ainsi que d’une capacité de discernement suffisante. ». Or, nous l’avons vu, l’avatar ne jouit d’aucune personnalité juridique et ne peut en soi se voir conférer aucun droit ni aucune obligation donc aucune responsabilité en tant que telle. L’avatar n’est donc qu’un moyen dont l’humain est la fin. Il convient donc, selon lui, d’appliquer les responsabilités civiles, délictuelles, contractuelles et pénales aux hommes qui sont dissimulés derrière eux.
Un droit spécial des avatars ?
Toutefois, si le droit français n’a pas encore ouvert un droit spécifique à l’avatar, cela ne veut pas pour autant dire qu’aucune initiative de responsabilisation n’existe. Eric Barbry explique donc qu’ « au sein des mondes virtuels, les avatars apparaissent de plus en plus autonomes à l’égard de leurs utilisateurs et sont ainsi capables de réagir seuls face à l’environnement virtuel dans lequel ils évoluent et d’interagir avec les autres avatars, que leurs utilisateurs soient connectés ou non. ». Cela ouvre donc la voie à une reconnaissance, par le législateur, ou du moins par les concepteurs de mondes virtuels, d’une « responsabilité virtuelle des avatars », c’est-à-dire des actions des avatars au sein des mondes virtuels. Un droit spécifique pour un monde spécifique par un prisme spécifique. Certains créateurs de mondes virtuels, comme Second Life, ont posé des bases, à la valeur juridique non contraignante, d’une telle responsabilité dans ses conditions générales d’utilisation. Eric Barbry considère ainsi que « les conditions générales d’utilisation établiraient la liste des comportements des avatars considérés comme étant illicites au sein de l’univers virtuel ainsi que des sanctions applicables à ces derniers ». Il s’agirait donc de créer plus largement un droit des mondes virtuels, sorte de miroir parallèle de la réalité. Un droit virtuel jugé dans des tribunaux virtuels renvoyant dans des prisons virtuelles.
Si cela peut sembler quelque peu délirant, Eric Barbry considère qu’ « il serait opportun de s’interroger sur un cadre légal spécifique aux avatars afin de leur attribuer une personnalité juridique et faire de ces êtres virtuels, des êtres responsables juridiquement. ». Raphael Koster, créateur de jeu en ligne, a d’ailleurs rédigé sa propre Declaration des droits des avatars, un véritable manifeste pour la création d’un droit propre aux univers virtuels. Il défend notamment l’idée selon laquelle les mondes virtuels sont organisés de façon tout à fait indépendante du monde réel, il s’agit d’un univers propre dont les communautés doivent être protégées. Pour lui, « Quand de nouveaux concepts engendrent des interactions sociales et des sociétés indépendamment de la volonté de leurs créateurs et au moment où les dites communautés et espaces croissent en popularité et sont largement exploitées commercialement, il incombe à ceux y évoluant d’affirmer et déclarer les droits inaliénables des membres desdites communautés ». Ecrit en 2000, la vision de son auteur raisonne plus fort encore aujourd’hui. Comme la régulation des systèmes d’intelligence artificielle, la prise en compte juridique des avatars n’est pas pour tout de suite.