Proposé à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2016, Mercenaire a su faire suffisamment le buzz pour décrocher le label Europa Cinéma avant d'être sélectionné au Festival du Film Francophone d'Angoulême. Son concepteur (réaliste et scénariste) Sacha Wolff s'adonnait pour la première fois à la fiction (il vient du documentaire) pour nous livrer un récit atypique sur la famille et le déracinement tout en le plongeant dans la mouvance sportive - sans pour autant en faire un film sur le sport. Il est disponible en vidéo depuis le mois dernier.
Plutôt ambitieux dans son approche, le métrage désarçonne très vite avec son tempo lent épousant le rythme de la vie wallisienne tout d'abord puis adopte les atours austères d'un docu-fiction maussade dès lors qu'on est en métropole. Scandé par des épisodes parfois franchement drôles (le contrôle anti-dopage) ou de petits drames, le film peine à passionner du fait d'une forme de morosité qui imprègne constamment l'histoire. Malgré les rivages enchanteurs de Wallis et Futuna et le climat reposant du Sud-Ouest, on a constamment la sensation d'être oppressé par une tension impalpable et l'angoisse de la vacuité des existences. Puis, étrangement, on se laisse porté par ce destin qui nous semble peu commun, celui d'un garçon un peu balourd renié par son père et qui se retrouve à devoir trouver un club en France pour y pratiquer la seule chose qu'il est capable de faire : le rugby. De trahisons en coups de pot, Soane va vaguement s'en sortir : il a connu la misère (mais la misère au soleil océanique) et il n'est guère exigeant. Sa naïveté agaceront les uns et séduiront les autres, dont une jeune femme qui trouvera en lui le réconfort qu'elle espérait depuis des lustres.
Ceux qui attendaient un film sur le rugby avec l'irrésistible ascension d'un héros en seront pour leurs frais : Soane est bon, certes, car il bénéficie du physique hors normes hexagonales des garçons de son pays d'origine, mais il n'a rien d'un Jonah Lomu ou d'un Vakatawa. Cela dit, il saura se faire indispensable dans son premier club d'adoption et trouvera dans ces petites victoires sur le terrain les ressources mentales nécessaires lorsque son passé le rattrapera et qu'il devra régler des comptes. De fait, les séquences rugbystiques sont assez rares, ce qui peut légitimement frustrer les amateurs. Mais on aura le plaisir de voir un peu des dessous de ce monde de l'Ovalie, avec ses bizutages, son rapport douteux avec le dopage, ses tractations entre clubs et ses échanges de bons procédés. Perdu dans cette métropole présentée comme un paradis pour réussir, Soane trouvera parfois quelques pairs déracinés, comme ce Géorgien qui le qualifiera de " Mercenaire " d'où le titre du film : proposer son savoir-faire au plus offrant, et tant pis pour l'esprit d'équipe. Ces gens-là, davantage que de s'exprimer sur un terrain, ne cherchent après tout qu'à survivre, gagner de l'argent pour gagner le respect et le confort nécessaire pour faire vivre leur famille. Les fans trouveront cependant leur compte dans un très beau et impressionnant haka en point d'orgue.
Sacha Wolff a donc décidé de procéder par petites touches, tournant ses
scènes très vite avec des acteurs à majorité non professionnels. Les dialogues manquent souvent de punch mais offrent quelques moments d'un réalisme agréable, comme pris sur le vif. Frustrant sur le strict plan sportif, Mercenaire déçoit également sur celui de la tragédie familiale, même si la construction académique du finale parvient à instiller un peu d'émotion dans la dramaturgie. On manque de repères et d'éléments locaux pour vraiment parvenir à se plonger dans les tourments de Soane, de son père violent et de son petit frère abandonné - et ce ne sont pas les quelques plans de plage de sable ou de funérailles rituelles qui nous en diront plus sur le mode de vie wallisien, qui aurait gagné à être développé. Il faut tout de même saluer toute cette synthèse de tentatives de raconter ce qui se déroule même et surtout dans les petits clubs et ce par quoi vont passer les jeunes sportifs désœuvrés qu'on va chercher ailleurs et à qui on promet la Lune. L'impression de désenchantement est d'ailleurs la plus grande réussite de ce film singulier et méritoire.