Toute une panoplie de solutions de plus en plus perfectionnées a fait irruption auprès du recruteur ces dernières années. Certains logiciels dits de « recrutement prédictif » se targuent même d’être plus fiables que l’humain pour sélectionner des candidats. Loin d’être une menace, ils permettent au recruteur de passer moins de temps en présélection de profils au profit de la relation avec les candidats.
C’est une étude qui a fait grand bruit. En 2014, deux chercheurs psychologues de l’université du Minnesota ont affirmé dans la Harvard Business Review qu’en matière de recrutement «une équation simple surpasse les choix humains». En clair, les recruteurs seraient très forts pour définir les besoins d'un poste et extraire des informations à partir des profils des candidats. Mais ils sont aussi très mauvais pour en pondérer les résultats car « facilement distraits par des facteurs dont la pertinence s’avère mineure » signale l’étude. Suggérant là que la machine serait supérieure à l’homme à l’heure de sélectionner le profil adéquat pour un poste. La conclusion est sans doute exagérée. Il n’empêche. Les progrès réalisés en matière d’intelligence des programmes modifient profondément le travail du recruteur.
Dans l'entreprise, l'usage des algorithmes complexes et du « big data » a longtemps été réservé au marketing et à la finance. Désormais, c’est la fonction ressources humaines - notamment le recrutement - qui saute donc le pas. Des outils existent pour accompagner le recruteur dans toutes les démarches qui vont le conduire à la découverte du postulant idéal. A commencer par la pêche aux candidats, baptisée « sourcing » dans le langage des recruteurs.
Certains, à l’instar de celui de la start-up française Yatedo ou de l’américain Entelo , assurent ainsi la fonction d’agrégateurs de profil. Il s’agit de moteurs de recherche où l’on tape le nom de la personne recherchée, et qui relèvent ensuite les données la concernant dans les CVthèques, mais aussi partout où elle a laissé des traces sur le web : les réseaux sociaux professionnels comme Linkedin ou Viadeo, les forums, les blogs, etc… Une fois ces informations agrégées le moteur les met en forme de façon standardisée.
Beaucoup d’acteurs intègrent des technologies de vérification de CV
Mais le gros du bataillon des logiciels œuvrent dans le domaine chronophage de la vérification de CV. Basés sur le principe des sites de rencontres, les sites dits de « matching » ont ainsi envahi le secteur du recrutement ces dernières années. Ils analysent les curriculum vitae, écartent les candidatures trop éloignées et hiérarchisent les profils à l’intention des recruteurs. « Des questions au candidat sont introduites à chaque fois pondérées. Un score est attribué à la fin qui permet au recruteur de hiérarchiser les candidatures » indique Céline Memmi consultante, experte des sujets RH au sein du cabinet Mc2i Groupe. L’explication de leur essor est simple : la nécessité d’automatiser le premier tri des CV que ce soit pour les recrutements de masse ou pour les sociétés qui croulent sous les candidatures spontanées.
Sur ce marché, les start-up Qapa et Meteojob font figure de pionnières. Mais on y rencontre aussi des poids lourds du secteur du recrutement comme les sites d’emploi Monster, Cadremploi (avec CVaden ) ou encore le réseau professionnel Linkedin, qui ont investi dans ce genre de technologie. Sans oublier les logiciels traditionnels de recrutement comme Taleo qui intègrent cette fonction.
Certains à l’instar de Monkey Tie vont encore plus loin en cernant la personnalité du candidat. Ils l’invitent ainsi à remplir un test complémentaire qui permet d’affiner son profil en y incorporant des éléments de caractère et de comportement. Une façon d’évaluer ses qualités intrinsèques et ses motivations, des éléments rarement présents sur un CV. « Tous ces outils sont une aide au « sourcing » mais ne remplaceront jamais la « matière grise ». Surtout ils ne sont pas assez aboutis pour l’instant. Notamment si, comme notre cabinet, le recruteur se positionne sur la population de cadres » tempère Henri de La Roque directeur général du cabinet de recrutement Fyte, en pointe sur l’innovation dans ce secteur. En clair, s’ils se défendent lorsqu’il s’agit de comparer les qualités humaines des candidats (les « soft skills »), les outils de matching montrent clairement leurs limites par rapport à l’œil humain lorsqu’il s’agit d’aborder leur expertise technique ou leurs antécédents professionnels.
Le « recrutement prédictif » suscite le plus d’espoir et de fantasme aujourd’hui
Se concentrer sur la personnalité du candidat, c’est aussi le crédo des logiciels dits de « recrutement prédictif ». La dernière tendance en vogue. Encore plus perfectionnés, ces derniers identifient les candidats dont les compétences, mais surtout les qualités humaines, colleront le mieux aux attentes de leur futur employeur en étudiant les facteurs de réussite à un poste donné. Les éditeurs Talentoday ou AssessFirst popularisent cette approche.
AssessFirst est à l’origine une société qui effectue des enquêtes de personnalité basées sur des tests psychotechniques. Avec l’émergence du big data, elle a adossé cette expertise à des technologies capables d’établir un pronostic détaillé quant aux chances de succès d’un candidat à un poste. « Trois questionnaires de dix minutes suffisent à cerner trois aspects : les capacités intellectuelles du candidat, ses motivations et sa personnalité » indique David Bernard dirigeant de AssessFirst. Le logiciel rapproche ensuite ce profil d’une grille de « réussite » propre à chaque entreprise. Cette grille, qui résume les facteurs de succès à un poste précis, s’appuie sur l’historique des données accumulées par l’entreprise sur ses employés : tests techniques et tests de personnalité, comptes rendus d’entretiens d’évaluation etc…
Avantage de la méthode selon ses promoteurs : le résultat serait plus fiable car s‘appuyant sur une multitude de facteurs objectifs brassés par l’algorithme plutôt que sur l’intuition ou l’humeur du futur employeur. « Quand on observe les résultats de recrutement : 46% de ceux réalisés de façon traditionnelle avec la subjectivité humaine échouent au bout de 18 mois. Quand le choix est défini par un algorithme qui assure une homogénéité de traitement de l’information, ce chiffre tombe à 15% » assure David Bernard. Cette méthode faisant fi des préjugés quant au diplôme, l’origine sociale, le lieu du domicile au profit de critères pertinents comme la personnalité, le comportement, la motivation réduirait également les discriminations à l’embauche.
Le secteur du recrutement n’échappe pas à la mode des chatbots
Mieux, le recrutement prédictif donnerait parfois des résultats surprenants. Et le dirigeant d’AssesFirst d’évoquer un fleuriste devenu une des bonnes pioches parmi les vendeurs de l’entreprise d’outillage Berner. Dénicher des profils non conventionnels ? Certains affichent leur scepticisme. « Encore faut-il en amont avoir trouvé le profil de la personne et l’avoir mis dans la boucle d’analyse. La base de donnée d’AssessFirst n’est à ce jour pas suffisamment large pour faire des recherches de candidats, du sourcing comme on dit dans notre jargon, systématiquement dans leur outil » relève Diana Bannholtzer en charge de la solution AssessFirst au cabinet Fyte. « De plus, certains métiers comme celui de vendeur où la prise en compte des motivations et de la personnalité est prépondérante, se prêtent davantage à ce genre de résultat. C’est moins le cas dans les domaines de la paie, du juridique ou du contrôle de gestion où les critères de compétences techniques sont incontournables ».
Enfin, le secteur du recrutement n’échappe pas à la mode des « chatbots », ces logiciels capables de dialoguer avec un individu. L’entreprise First Job, par exemple, a développé Mya , un assistant au recrutement. Ce chatbot effectue une pré-sélection des candidats au poste proposé et élimine les profils non pertinents. Les chatbots développés par les sociétés Do You Dream up , ou Inbenta servent pour l’instant à répondre aux questions des salariés en poste portant sur le comité d'entreprise, l'entretien annuel, les congés payés ou encore la convention collective. Mais ils pourraient très bien à l’avenir aiguiller le candidat à l’embauche dans son parcours administratif.
Quels changements pour le métier de recruteur ?
Loin d’être une menace pour le recruteur, ces logiciels basés sur des algorithmes complexes sont des assistants précieux à la présélection des candidats. L’automatisation fait gagner un temps fou aux « chasseurs de tête » dont le quotidien une dizaine d’années plus tôt s’apparentait à un travail de fourmi.
De toute façon, personne n’imagine pour l’instant confier le choix d’un candidat entièrement à une machine. Y compris à des solutions aussi évoluées que les logiciels de recrutement prédictif. « Le recrutement prédictif n’apporte qu’une indication supplémentaire pour sélectionner le bon profil» souligne Henri de La Roque, directeur général et associé du cabinet de recrutement FYTE.
Point positif, cette palette de logiciels décuple les capacités du recruteur. Libéré des tâches chronophages et rébarbatives, ce dernier peut mieux se concentrer sur l’humain et son rôle de conseil. « La connaissance de l’écosystème, la négociation, la présentation du poste au candidat, raconter l’histoire de l’entreprise ... le consultant en recrutement est un rouage essentiel dans la relation employeur-candidat » rappelle Henri de La Roque. Et ce rouage sera difficilement remplaçable par un robot aussi perfectionné soit-il.