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Bajazet au Français : beaucoup de chaussures sans être le pied

Publié le 07 avril 2017 par Morduedetheatre @_MDT_

Bajazet au Français : beaucoup de chaussures sans être le pied

Critique de Bajazet, de Jean Racine, vu le 6 avril 2017 au Vieux-Colombier
Avec Alain Lenglet, Denis Podalydès, Clotilde de Bayser, Laurent Natrella, Anna Cervinka, et Rebecca Marder, dans une mise en scène d’Éric Ruf

Bajazet n’était initialement pas à l’affiche de la saison. C’est suite à « des difficultés insurmontables dans le montage de la production » (cf article du Monde à ce sujet) de La Cruche Cassée que devait mettre en scène Jacques Lassalle que, dans l’urgence, Eric Ruf décide de reprendre les rênes et de monter l’une des pièces les moins jouées de Racine – qui n’en reste pas moins sublime, il va sans dire. Quelle erreur ! Comment l’administrateur du Premier Théâtre de France a-t-il pu croire qu’il pouvait mettre en scène cette grande tragédie en quelques semaines seulement ? On ne monte pas Racine à l’arrache

Déjà, ce n’est pas le Racine le plus simple qu’on puisse trouver. Bajazet, frère du sultan Amurat, est depuis longtemps enfermé par sa faute. Alors que le sultan siège à Babylone, il a confié le contrôle du sérail à sa favorite, Roxane. Celle-ci voudrait épouser Bajazet dont elle est tombée amoureuse, et lui propose l’hymen en échange du trône dont il a longtemps été écarté. Mais Bajazet aime Atalide et ne semble pas envisager l’engagement que lui propose la sultane – qui, bien sûr, n’est pas au courant de l’amour que se portent les deux jeunes amants.

J’ai essayé de résumer grossièrement l’intrigue de l’oeuvre. Grossièrement, c’est un peu l’adverbe qui me vient lorsque je repense au spectacle. C’est comme s’il avait simplement été dégrossi. Les acteurs semblent avoir travaillé les vers et leur diction, mais ne maîtrisent pas totalement leurs personnages. Quelques idées de mise en scène sont éparpillées ici ou là, mais aucune unité ne semble réellement se dégager. Au contraire, certaines idées semblent même faire contresens : que le suicide d’Atalide soit orchestré au moyen de lacets de chaussures est totalement ridicule. Ce n’est qu’une manière assez maladroite de justifier la présence de ces chaussures lors du premier acte de la pièce : cela permet à la mise en scène de retomber sur ses pieds – si vous me passez l’expression. Mais ça ne sert en rien le texte de Racine.

Les acteurs semblent un peu perdus. Pauvre Rebecca Marder, totalement écrasée par son rôle d’Atalide. La jeune comédienne n’a pas l’expérience ni les épaules pour porter un tel rôle. Elle parle bien trop vite, si bien qu’elle ne semble pas percevoir toujours le sens des vers qu’elle récite… et nous perd en même temps qu’elle. Elle crie trop, mais où est la douleur ? Où est la passion ? Crier ne sert à rien si l’âme n’y est pas. Ni les constants hochements de tête, qu’elle semble avoir adopté comme principale gestuelle. Léonie Simaga m’a beaucoup manqué, ce soir. Elle aurait fait une merveilleuse Atalide. Quand bien même, des actrices plus confirmées auraient pu donner du corps à ce rôle : je pense notamment à Suliane Brahim ou Georgia Scalliet… Aux côtés de la jeune comédienne, Clotilde de Bayser prouve sans effort sa plus longue expérience de la scène : les vers sont admirablement dits, les attitudes réfléchies et élégantes. Mais je découvre en Roxane un texte d’une cruauté monstrueuse, et la comédienne reste très en surface. Pourtant, j’aurais pu croire qu’elle avait la carrure pour incarner une grande Roxane.

J’aime beaucoup Laurent Natrella, mais comme ses camarades il a peine à se trouver une place sur la scène. Il faut dire que de base, Bajazet n’est pas le rôle sexy par excellence. Il est un peu insipide. Mais son arrivée en chemise de nuit n’était pas forcément la meilleure idée pour le mettre en valeur… Finalement, de toute la distribution, c’est Denis Podalydès qui s’en sort le mieux. Et c’est un euphémisme. Le comédien est magistral, dans ce rôle un peu ingrat du vieux politique qui reste en dehors des passions. Mais… mais ce n’est pas normal. Ce n’est pas normal que chez Racine, ce soit le personnage carré qui l’emporte ! Il devrait être le contrepoint, et se retrouve au centre. Mais où est la passion ? Où est l’émotion ? Bien loin du Vieux-Colombier, ce soir-là.

En s’accrochant, on parvient tout de même à entendre un très beau texte, trop rare sur les planches. La déception est d’autant plus grande que le Français nous avait habitués à mieux, ces derniers temps. 

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