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Quand Mathieu Weiler joue avec le feu

Publié le 09 avril 2017 par Pantalaskas @chapeau_noir

« Demande à la poussière »

Quand Mathieu Weiler joue avec le feu
L’attrait pour le feu se retrouve dans l’oeuvre de certains artistes contemporains. Des  «Ombres de brûlis » de Christian Jaccard aux « Tableaux feu » de Bernard Aubertin, des pianos calcinés d’Arman jusqu’à certaines toiles de Claude Viallat pour ne prendre que ces quelques exemples, la fascination pour le feu s’affirme comme une constante. L’artiste belge Mathieu Weiler qui expose « Demande à la poussière » à la galerie Laure Roynette à Paris prend d’ailleurs comme référence historique Yves Klein qui sert de point de départ à son exposition : «Attendu que j’ai sculpté le feu et l’eau et que, du feu et de l’eau, j’ai tiré des peintures» phrase extraite du Manifeste de l’Hôtel Chelsea (1961).
Mathieu Weiler soumet pour sa part « L’Histoire de l’Art » d’Ernst H. Gombrich à l’épreuve du feu :  » La série Histoire de l’Art est un projet constitué d’une vidéo où l’ouvrage de H. Gombrich se consume et d’un ensemble de neuf dessins où figurent les traces de la combustion des œuvres présentes dans le livre. »
Comme, par ailleurs, « Le Capital » de Karl Marx subit le même sort, on en peut pas évacuer l’évocation de l’autodafé.
« Depuis 50 ans je brûle des livres pour faire table rase des liens du passé » déclarait Bernard Aubertin pour expliquer son esthétique de l’autodafé. L’acte de brûler les livres reste attaché à une histoire douloureuse. L’artiste allemand n’ignorait pas ce passé terrible: le 10 mai 1933, Goebbels  préside un autodafé sur l’Opernplatz de Berlin : vingt mille livres sont jetés au feu, la manifestation est retransmise en direct à la radio, scandée par des slogans édifiants :
Quand Mathieu Weiler joue avec le feu

– « Contre la lutte des classes et le matérialisme, pour la communauté du peuple et les idéaux de vie, je livre aux flammes les oeuvres de Marx, Freud, Tucholsky et Ossietzky,
Heinrich Mann et Erick Kästner»   Outre Berlin, dix-sept villes universitaires organisent les bûchers.
Mathieu Weiler fonde son propos sur le mythe de Prométhée offrant à l’homme le feu, symbole du savoir, de la connaissance. « Le livre est également un objet de connaissance. Dans sa rencontre avec le feu s’accomplit une sorte de tautologie, un choc entre deux savoirs pour en produire un nouveau. » Yves Klein dans son Manifeste de l’Hôtel Chelsea soulignait la symbolique du feu comme matrice de la civilisation, en expliquant sa volonté d’enregistrer la trace de ce qui précisément avait engendré cette même civilisation, c’est-à-dire celle du feu.
Mathieu Weiler semble donc situer son acte pyromane a mi chemin entre la destruction totale organisée par l’autodafé et la consumation rédemptrice d’une culture renaissant de ses cendres.  « L’Histoire de l’Art » d’Ernst H. Gombrich ainsi ressuscitée offre aux témoins du cataclysme  quelques repères de la civilisation : Mondrian, Brancusi, Munch …
Avec le groupe Zéro Bernard Aubertin justifiait le feu pour faire table rase de toute forme de création  passée. Yves Klein, après sa propre expérience du feu se sentait attiré par le vide, celui de l’atelier débarrassé de toutes ses oeuvres et celui dans lequel il se voyait se précipiter.  Mathieu Weiler entre le trop plein de la culture et le trop vide de la table rase maintient l’espoir d’une renaissance jaillie de la poussière après avoir quelque peu joué avec le feu.

Photos : Galerie Laure Roynette

Mathieu Weiler
« Demande à la poussière »
16 mars – 30 avril 2017
Galerie Laure Roynette
20 Rue de Thorigny
75003 Paris


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