Magazine Culture

« L’histoire des droites de 1815 à nos jours » de Gilles Richard

Par Contrelitterature

Gilles Richard.jpg

Éditions Perrin, 636 pages, 27 €

En librairie ou en ligne : voir le site de l’éditeur.

  

______________________________


Une approche contextuelle

de l'histoire des droites

par Pierre le Vigan

  

    La droite, de Joseph de Maistre à Christian Estrosi : que de changements, dans l’importance donnée aux idées, dans les idées elles-mêmes, dans le contexte. Mais comprendre la droite – ou les droites – c’est encore une façon de comprendre la France, notre pays qui fut le pays des idées et qui devient le pays de Macron et des macronards, des hommes qui se mettent « au service des événements », selon l’expression de Talleyrand. La droite, comme la gauche, c’était, au début, tout le contraire de l’opportunisme, c’était l’attachement à des principes.
     Il y a, ainsi, deux façons de dépasser la droite et la gauche, par le haut, ou par le bas, par Bernanos, Emmanuel Mounier, Drieu, Charles de Gaulle, ou par le bas, en abolissant la France en même temps que les droites et les gauches, au profit de la gestion pseudo « efficace » des intérêts du capital. D’où la nécessité de revenir, avec l’historien Gilles Richard, sur un pan de notre histoire nationale, les droites.
     Il y a eu des histoires des droites en France en termes de généalogie politique, avec René Rémond (Les droites en France, 1982). On a pu lire aussi des histoires culturelles des droites, avec Jean–François Sirinelli comme maître d’œuvre (Histoire des droites en France, 2006). On a pu avoir sous la main les numéros droite et gauche de la revue Krisis dirigée par Alain de Benoist et Thibault Isabel, et, tout dernièrement, le livre sur la droite et la gauche de Michel Marmin et Eric Branca (Chronique Éditions, coll. Le tour de la question)
     L’historien Gilles Richard livre sa propre histoire des droites en France, de 1815 à nos jours. À la différence de René Rémond, il s’attache moins à la généalogie des courants politiques (Rémond en voyait trois : légitimistes, orléanistes-libéraux, bonapartistes) qu’aux contextes qui expliquent l’évolution des droites et l’apparition de droites nouvelles (qui n’ont rien à voir avec la Nouvelle droite). « Les hommes sont plus les fils de leur temps que de leurs pères », disait Marc Bloch. C’est le point de vue de Gilles Richard.
     C’est pour cela que l’auteur apporte une attention particulière à l’histoire des partis politiques qui sont, justement, le produit des contextes. Exemple : comment le RPR est devenu en 2002 l’UMP en dit long sur l’auto-immolation du néo-gaullisme et son absorption par la droite la plus classique.
   Les deux approches, celle de R. Rémond et de G. Richard, généalogique et contextuelle, ne s’excluent d’ailleurs pas l’une l’autre. Ainsi, le Front national de Marine Le Pen s’explique avant tout en utilisant une grille de lecture contextuelle, opposant les victimes de la mondialisation à ses promoteurs. Mais il n’est pour autant pas absurde de voir en lui une continuité avec le bonapartisme, voire le gaullisme, et sa reprise conjointe de thèmes dits de droite, comme l’ordre et la tranquillité publique, et de thèmes dits de gauche, comme la justice sociale, la protection des plus faibles, la lutte contre le pouvoir de l’argent.
     Reste à voir comment la prise en compte du contexte génère, à différentes époques, différentes droites. Gilles Richard distingue quatre périodes dans son histoire des droites.
     De 1815 à 1914, c’est pour lui une seule période (il la conçoit sans doute trop longue). Il s’agit alors pour les droites de se positionner face à la République. C’est la droite face aux institutions. La droite légitimiste, puis traditionnaliste (on peut encore l’appeler réactionnaire sans jugement de valeur : elle réagit contre l’esprit de la Révolution française) essaiera de déplacer sur le terrain social un combat quasiment impossible sur le plan des institutions (le symbole du drapeau blanc ne passe décidément pas et la sacralité des Bourbons est perdue à jamais depuis 1992-93). Les légitimistes ont ainsi été parmi les premiers à s’opposer à la mise en coupe réglée de l’homme par le libéralisme économique. Quant aux libéraux, orléanistes d’abord, puis « républicains modérés » ensuite, ils s’accommodent assez bien de la République, pourvu qu’elle ne soit surtout pas « la sociale ». En ce qui concerne la droite bonapartiste, autoritaire et « populiste » avant la lettre, elle sera pour une réforme de la République ou pour une République couronnée, mais pas hostile à ce régime. On le verra avec l’épisode du Général Boulanger qui, bien au-delà des limites personnelles du général, témoigne de l’apparition d’une droite nouvelle, populaire, sociale, non libérale, démocratique tout en étant critique du parlementarisme.
     De 1914 à 1944, qui est la seconde période de Gilles Richard, les droites communient dans le nationalisme, souvent soucieux de mettre la France au diapason de la modernité, avec des personnalités comme André Tardieu ou Claude-Joseph Gignoux. L’histoire des droites est marquée avant la guerre de 1939 par la montée de ce qui fut peut-être le plus grand parti de masse français – en tout cas à droite – le Parti social français (PSF) du Lieutenant-Colonel de la Rocque (le maréchal Pétain empêcha qu’il ne devienne jamais colonel), inventeur de la devise « Travail-Famille-Patrie ». Le PSF était l’héritier des Croix de Feu, qui ne furent pas plus fascistes que lui, mais en eurent la réputation dans les représentations dominantes, celles de la gauche. Ce nationalisme se fracasse devant la réalité de l’isolement de la France face à l’Allemagne en 1940. L’Occupation brouille les pistes. La plupart des premiers résistants viennent de la droite nationaliste ou en tout cas patriote, mais la Révolution nationale reprend des thèmes de droite, tout autant que des thèmes transversaux, inspirés des non conformistes des années trente. Elle entraîne la droite dans son discrédit.
     La troisième période de l’histoire des droites s’étend de 1945 à 1974. Les années 1944-45, avec l’Épuration et les listes de proscriptions, sont évidemment le tournant majeur de l’histoire des droites. C’est la droite elle-même qui est condamnée dans ses fondements, accusée d’avoir soutenu Vichy ; et plus encore, identifiée à Vichy et à la Révolution nationale, balayée par l’idéologie « progressiste », incarnée par le PCF, la SFIO et le MRP. Tout anticommunisme est assimilé à des sympathies hitlériennes, ce qui met la droite dans une situation plus qu’inconfortable pour quelques années. Le tournant est majeur car la droite devient alors honteuse. Elle le restera jusqu’en 2007. Alors, avec Sarkozy, et sous l’influence de Patrick Buisson, la droite recommencera à s’assumer « de droite » (quelle que soit l’ambiguïté du contenu de cette notion).
     La période 1945-74 est marquée par l’opposition entre la droite gaulliste et la droite libérale (notamment le CNIP et ses avatars). Ce n’est pas une opposition absolue. Il y a aussi un jeu d’alliances : Giscard est ministre du général de Gaulle. Ces deux droites ont aussi en commun l’anticommunisme. Mais c’est la droite gaulliste qui domine jusqu’en 1974. Elle a une légitimité : le patriotisme.
     Fallait-il faire de 1974 la date de transition entre deux périodes, comme l’a pensé Gilles Richard ? Le découpage est discutable. 1974 est certes la fin du gaullisme, même sous la forme atténuée du pompidolisme. Mais on peut se demander si 1983 ou 1984 n’aurait pas été un moment plus significatif. Cette date est marquée par l’apparition d’une droite « infréquentable », hors du « cercle de la raison ». C’est bien entendu le Front national. 1974-1984 est en tout cas une période de transition avec l’apparition d’un néo-gaullisme autour de Chirac, créateur du RPR, un Chirac liquidateur, pourtant, avec l’ « appel des 43 » (les députés ralliés à Giscard en 1974) du gaullisme historique. Peu éloigné du populisme dans le style, le RPR est tiraillé entre une droite autoritaire, des technocrates libéraux, atlantistes, conformistes et qui ne retiennent du gaullisme que l’imagerie sans le fond (Alain Juppé) et le tout managé par un Chirac de plus en plus radical-socialiste. C’est surtout dans ce sens très modéré que le RPR évoluera.
     L’opposition entre libéraux et nationalistes est celle qui définit selon Gilles Richard la quatrième et dernière période de son histoire des droites (de 1974 à nos jours). Cette opposition est en tout cas beaucoup plus marquée à partir de 1984 que de 1974. G. Richard le note lui-même : « Depuis 1983, c’est la question nationale qui scinde la droite » (Le Point, 11 mars 2017). Cette question nationale prend du reste deux formes. Au plan intérieur, il s’agit de la question « identitaire » (l’identité n’est pas figée, comme l’a montré Paul Ricoeur, mais elle consiste dans la persistance d’un noyau, l’ipséité, qui fait que l’on peut changer en restant non pas le même, mais soi-même). Au plan extérieur, c’est la question de l’indépendance et plus encore de la pérennité de la France, acceptons-nous d’être noyé dans la fausse « Union européenne » de Bruxelles, c’est-à-dire un marchepied vers le mondialisme capitaliste et voulons-nous être un instrument docile, boutefeu, au service de l’atlantisme belliciste ? C’est le clivage qui devient déterminant à partir de 1984. Faut-il préciser que la droite qui a pouvoir et argent a choisi, bras dessus bras dessous avec la gauche d’argent, sa fausse ennemie de théâtre de boulevard, la soumission à l’atlantisme et à son bras, l’Union européenne de Bruxelles.
     De 1974 à 1984, le nationalisme est avant tout porté par la gauche, par le PCF et par Jean-Pierre Chevènement (il s’agit d’un nationalisme anti-américain, et anti-allemand dans le cas du PCF). Avec l’affaissement du communisme, en France dès 1981, avec sa normalisation sous Robert Hue (l’homme qui a liquidé le PC, et vient de se rallier, en 2017, au candidat de la haute finance Macron), et avec la chute du bloc de l’est en Europe en 1989, l’anticommunisme de la droite perd son objet, et c’est le clivage entre nationalistes et mondialistes (ou encore libéraux) qui devient essentiel. Ce n’est plus le clivage droite-gauche. « Le clivage structurant l’histoire de la République depuis ses débuts a aujourd’hui cessé d’organiser la vie politique française », note Gilles Richard.
     Une droite devient hostile à l’unilatéralisme américain, et c’est là encore le cas du FN, au rebours des autres droites mais aussi des gauches, ralliées au marché, au libre échangisme, à l’antiracisme comme succédané de la question sociale, à l’interventionnisme de la puissance impériale américaine, à l’exception de quelques groupes d’ultra-gauche.
     C’est à partir de ce moment-là que la question identitaire (qu’est-ce que notre peuple est et veut rester ?) apparaît à droite, et se manifeste par la poussée électorale du Front national. C’est aussi à partir de 1983-84 que la gauche se rallie au libéralisme économique, abandonnant à leur sort de victimes collatérales de la mondialisation et de la dérégulation économique les classes populaires. Entre moins d’État et moins de marché, la gauche a clairement choisi la première option. Ce sera moins d’État et toujours plus de marché.
     Certes, la droite libérale considère et considérera que ce n’est jamais assez quant au degré de libéralisme. Reste qu’elle n’en a plus le monopole. La gauche est désormais parfaitement compatible avec le marché. Elle mettra même l’idéologie du marché dans les mœurs. Et c’est ce que l’on appellera le libéralisme libertaire – autrement plus efficace et puissant que celui de M. Antoine Pinay. Avec le libertarisme sociétal, de Cohn-Bendit à Macron, la gauche met un turbo dans le moteur du libéralisme. Mais il y a bel et bien, pour cela même, la place, à droite, pour une autre droite qui, de son côté, critique l’abandon de la patrie et du peuple par la gauche. « Les malheureux n’ont que la patrie », disait Blanqui.  « À celui qui n’a plus rien, la patrie est son seul bien », concluait Jaurès. Cette autre droite – essentiellement le Front national – bien que libérale à l’origine (1974) sur le plan économique, devient vite favorable à une « troisième voie » –  c’est le titre d’un livre de Bruno Mégret en 1997 –  puis, avec l’effondrement du communisme, à une autre voie que le mondialisme. Cela culminera avec la « ligne Philippot », celle de l’État protecteur, adoptée par Marine Le Pen. C’est la revendication d’un État stratège face au mondialisme plutôt qu’un État accompagnant et encourageant cette mondialisation. Un élément de rupture avec la droite libérale.
     Dans le même temps, l’esquive de la question sociale est remplacée, à gauche, par l’antiracisme et le différentialisme culturel (au demeurant superficiel, car la gauche ne croit pas vraiment aux différences). C’est ce qui amène une partie de la droite à reprendre la question sociale à son compte, dans le cadre d’une critique de la mondialisation qui date des années 1990 au moins, mais devient centrale avec le FN de Marine Le Pen.
     Si chaque période du livre de G. Richard est caractérisée par une problématique centrale, il y a des superpositions de thèmes. 1815-1914 est marqué pour la droite par la question du régime, des institutions mais aussi par la question de l’alliance avec l’Église – une Église qui ne veut pas être prise en otage par la droite (et réciproquement du reste). Mais la question sociale est présente dès les débuts de la monarchie de Juillet, et la droite n’y est pas indifférente dans ses composantes non-libérales, pour ceux qui, à droite, ne se sentent pas héritiers des « grands principes » de 1789, et notamment de l’individualisme ennemi des toutes les associations et corporations.
     Dans la période 1914-1944, des thèmes apparaissent comme la nécessité de combler le retard industriel, technologique, démographique et social par rapport à l’Allemagne. L’idée d’endiguer le retour des nationalismes par une coopération accrue en Europe (ou une alliance ? ou une fédération ?) est présente à droite. « Genève ou Moscou ? », s’interroge Drieu la Rochelle en 1928.
     Entre 1944 et 1974, les droites partagent un anticommunisme sans concessions, mais se déchirent sur la question algérienne. Les franges dites « extrêmes » de la droite sont favorables, à front renversé, à une assimilation de l’Algérie à la France, dans la droite ligne de l’universalisme de gauche, celui de Jules Ferry et de Léon Blum, un universalisme du reste condescendant. Quant aux fractions « modérées », ou simplement réalistes de la droite, elles sont, avec Raymond Aron et le général de Gaulle, favorables à l’indépendance de l’Algérie, celle-ci vue comme inassimilable, et aussi comme un boulet, un morceau de tiers-monde accroché aux basques de la France. Ce sont les nationalistes, à qui la gauche reprochera plus tard de défendre une France « rancie ou « moisie » qui rêvent alors d’une « plus grande France », l’Algérie étant une nouvelle Californie. Là encore, le contexte génère ses propres rêves. Les idées créent leurs propres images.
     La période actuelle, que Gilles Richard fait remonter à 1974, et qui est marquée par le choc de deux droites, nationaliste-populiste d’une part, et libérale-mondialiste d’autre part, se prépare sans doute dès ce moment voire avant, mais ne se développe qu’à partie de 1983-84. La droite se trouve alors devant la nécessité d’un choix. Elle a longtemps été le parti du conservatisme social et du conservatisme des mœurs. Mais, dans cette dernière période, il apparaît de plus en plus clairement que c’est le libéralisme économique qui est le premier obstacle à ce conservatisme sociétal et « moral », au sens de la permanence de certaines mœurs, coutumes, façons de faire et façons de vivre (Alain Soral a appelé cela « droite des valeurs »). C’est ce libéralisme qui amène à la destruction des traditions, des communautés de métiers, des villages et des petites villes, de la patrie. Le conservatisme ne s’oppose plus à un communisme disparu ou moribond (Robert Hue, 3 % des voix en 2002, s’est rallié à Emmanuel Macron, Marie-Georges Buffet a fait moins de 2 % en 2007). Le conservatisme s’oppose au « bougisme », représenté par le libéralisme et le mondialisme, à la dérégulation, à la déréglementation, à l’idéologie de la libre circulation des hommes et des marchandises, qui légitime toutes les immigrations et toutes les délocalisations. Le conservatisme s’oppose à la « société liquide » qui est la pente naturelle du libéralisme sans-frontièriste et illimité. C’est pourquoi la droite ne peut plus juxtaposer des composantes libérales et des composantes conservatrices qui auraient vocation à s’allier ou se rejoindre pour « faire barrage à la gauche ». L’union des droites pour faire barrage à une gauche elle-même ultra libérale est un non-sens. L’un, le conservatisme, s’oppose à l’autre, le libéralisme. Le conservatisme inclut les valeurs, mais aussi le souci de conserver à la France une vocation productive, industrielle et paysanne. La France, du point de vue conservateur, n’a pas vocation à devenir un parc à thèmes, peuplé de différentes « tribus ethniques » vivant côte à côte sans faire un peuple. Le conservatisme des valeurs ne peut que s’opposer au libéralisme. Les droites sont à la croisée des chemins.

(Pierre Le Vigan, l'auteur de cet article, a publié de nombreux ouvrages et articles. Son dernier livre,  Soudain la postmodernité, est paru aux éditions La barque d’or.)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Contrelitterature 1013 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines