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De la détection au diagnostic, le deep learning, super-assistant des médecins

Publié le 13 avril 2017 par Pnordey @latelier

Les techniques d’apprentissage profond permettent d’assister les professionnels de la santé dans l’analyse de l’imagerie médicale, afin de repérer les anomalies avec davantage de précision.

Lors de l'événement EmTech Digital, organisé par la MIT Technology Review à San Francisco, Gary Marcus, professeur en neuroscience à l’Université de New-York et fondateur de la start-up Geometric Intelligence (rachetée par Uber), a conclu une présentation plutôt circonspecte sur l’état actuel de l’intelligence artificielle par une note d’enthousiasme. Selon lui, il est un domaine dans lequel cette technologie est suffisamment mûre pour apporter des progrès significatifs : la médecine. « Prenez la recherche sur le cancer, par exemple. Nous avons en nous des milliers de gènes, des millions de protéines qui interagissent entre elles. Un cerveau humain ne peut pas gérer un tel niveau de complexité. En revanche, des machines capables de comprendre l’ensemble des intrications à l’oeuvre dans notre organisme et de raisonner à partir de celles-ci pourraient s’avérer révolutionnaires. L’intelligence artificielle nous permettrait ainsi d’améliorer notre compréhension de la médecine et de fournir de meilleurs traitements. Pour soigner le cancer, aujourd’hui, nous utilisons toujours la chimiothérapie, une technique vieille de cinquante ans. Peut-être que dans cent ans, nos descendants trouveront nos méthodes aussi primitives que les saignées que l’on employait autrefois. » Selon lui, il est un domaine, notamment, dans lequel l’intelligence artificielle est déjà en train de faciliter le travail des médecins, celui de l’imagerie médicale.

Ce n’est pas Kimberly Powell, également présente à Emtech Digital et chargée du développement des affaires chez Nvidia, qui lui donnera tort. Spécialisée dans la construction de processeurs graphiques, l’entreprise produit notamment du matériel utilisé dans les techniques d’apprentissage profond (« deep learning » en anglais). Cette branche de l’intelligence artificielle emploie des réseaux neuronaux, grossièrement inspirés par le fonctionnement du cerveau humain, pour permettre à un logiciel de s’améliorer tout seul en s’entraînant sur une large quantité de données. Kimberly Powell est ainsi amenée à travailler avec des professionnels de la santé mettant l’apprentissage profond au service de la recherche. Tout comme Gary Marcus, elle affirme que les possibilités sont particulièrement riches dans le domaine de l’imagerie médicale.

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Kimberly Powell

De la détection au diagnostic

Selon elle, l’apprentissage profond ouvre d’abord de nouvelles perspectives dans le repérage des maladies. « La détection est le premier pas de la prise en charge médicale, et l’on sait que plus tôt l’on détecte un cancer, plus grandes sont les chances de guérison. » Or, l’intelligence artificielle peut aider les médecins à détecter plus facilement les anomalies sur les radios des patients. « Une équipe de chercheurs du National Institutes of Health a entraîné un algorithme d’apprentissage profond sur une large base de données de radiographies, et celui-ci est rapidement devenue capable de détecter une anomalie avec la même assurance qu’un professionnel. » a-t-elle affirmé. L’algorithme est, selon Kimberly Powell, également capable d'annoter chaque image avec des informations contextuelles, indiquant au médecin l’emplacement exact de l’anomalie, ses caractéristiques, et la maladie qu’elle peut impliquer. Les radiologistes devant souvent observer des centaines de radiographies par jour, et prendre une décision en quelques secondes, une aide contextuelle et un second diagnostic apporté par la machine pourraient permettre de réduire considérablement le risque d’erreurs.

Passée la phase de détection vient celle du diagnostic. « Si la détection repose sur des techniques comme la radiologie ou les ultrasons, la pose d’un diagnostic s’appuie sur des technologies plus complexes, comme la tomodensitométrie ou l’IRM, qui riment avec un jeu de données plus complexe. » a-t-elle expliqué. « Les IRM modernes peuvent créer des images en quatre dimensions, qui sont des images en trois dimensions assorties d’une composante temporelle. Par exemple, une IRM du coeur propose une reproduction de ce dernier accompagnée des données concernant l’afflux sanguin. Face à ces images d’une grande complexité, un professionnel de la santé doit prendre en moyenne une vingtaine de minutes pour poser un diagnostic. La start-up Arcturus a mis en place un outil pour automatiser l’analyse de l’afflux sanguin, ce qui permet au médecin de gagner du temps. Celui-ci peut ensuite être mis à profit pour discuter avec le patient de son mode de vie, de son environnement et de son futur traitement. »

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Les recherches de Google

Martin Stumpe, chercheur chez Google, a également présenté les travaux de son entreprise dans l’application de l’intelligence artificielle aux diagnostics médicaux. « La biopsie est une étape cruciale, elle permet d’établir un diagnostic et de statuer sur un traitement. Elle doit donc être parfaitement fiable. Malheureusement, aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Ainsi, aux États-Unis, un cancer du sein sur douze est mal diagnostiqué, à cause d’une mauvaise interprétation de la biopsie. Dans le cas du cancer de la prostate, il s’agit d’un cas sur sept. Comment expliquer ce taux d’erreur ? D’abord, les médecins doivent repérer des motifs minuscules sur des images de très grande taille : poser un diagnostic revient ainsi souvent à chercher une aiguille dans une botte de foin. Ensuite, certains motifs ressemblent énormément à ceux qui indiquent la présence d’une tumeur, mais sont en revanche totalement bénins. Il est donc très facile de se tromper. »

Tout comme l’équipe de National Institutes of Health, les chercheurs de Google ont entraîné un algorithme de reconnaissance d’images à repérer les motifs indiquant la présence d’un cancer, avec des résultats très prometteurs. Les chercheurs affirment ainsi que leur algorithme, appliqué au cancer du sein, parvient à détecter 92,4% des tumeurs, contre 73,2% pour un professionnel. Martin Stumpe a également présenté une technique similaire appliquée à la détection de la rétinopathie diabétique. Cette maladie est, elle aussi, souvent mal diagnostiquée, avec des conséquences tragiques, puisqu’elle peut entraîner la cécité si elle n’est pas détectée. Là encore, l’algorithme de Google a obtenu des résultats prometteurs : 90% de précision, contre 60% pour un ophtalmologiste. La technique est actuellement testée dans plusieurs hôpitaux indiens, pays qui connaît un important déficit d’ophtalmologistes.

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Un large éventail de possibles

Selon Kimberly Powell, l’intelligence artificielle pourrait même, à terme, permettre de se passer de la biopsie. « Prenons le cas d’une tumeur au cerveau. Une fois qu’elle est repérée, une biopsie est aujourd’hui nécessaire pour trouver le bon traitement, qu’il s’agisse d’une chimiothérapie, d’une radiothérapie ou encore d’une opération pour la retirer. La biopsie permet de statuer sur l’agressivité du cancer, ses caractéristiques génétiques et génomiques. Or, le professeur Bradley Erickson, de la Mayo Clinic, utilise l’intelligence artificielle pour rassembler ces informations à partir d’une IRM. L’algorithme est capable de repérer certaines textures sur la tumeur, qu’il est ensuite capable de corréler à certains biomarqueurs spécifiques pour déterminer le meilleur traitement possible. L’intelligence artificielle rend ainsi visible l’invisible. » a-t-elle détaillé.

Mais les possibilités offertes par l’intelligence artificielle vont encore au-delà. « Prenons les dossiers de santé électroniques, par exemple. Chaque patient en a un, et les données attachées demeurent inaccessibles depuis trop longtemps. Des chercheurs du Mount Sinai ont créé une application, baptisée Deep Patient, afin de prédire les maladies susceptibles d’affecter les patients, en fonction des données issues des dossiers de santé électroniques. Autre domaine prometteur : l’étude du génome, caractérisée par des données extrêmement complexes, un grand nombre de variations possibles, qui rendent les travaux très difficiles. Il s’agit pourtant de la clef ouvrant la porte de la médecine de précision. La start-up Deep Genomics utilise aujourd’hui l’apprentissage machine pour effectuer des prédictions en fonction des variations génétiques. Enfin, les progrès de l’intelligence artificielle sont aussi porteurs d’espoir dans de nombreux pays en développement frappés par un déficit de moyens. Des initiatives comme Butterfly Network permettent ainsi de démocratiser l’imagerie médicale dans les zones défavorisées… » a conclu Kimberly Powell.

Gary Marcus, quant à lui, rêve d’ordinateurs suffisamment intelligents pour lire la littérature médicale et en déduire de nouvelles idées de traitements. « Nous devons construire des machines capables d’aller au-delà de la simple mémorisation, dotées de véritables capacités de raisonnement. Imaginez une intelligence artificielle capable de lire en un clin d’oeil toutes les publications scientifiques récentes sur un type de cancer en particulier, d’en tirer une synthèse et de suggérer de nouvelles techniques pour en venir à bout… »

 

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