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(Note de lecture) Jacques Lèbre, "L’immensité du ciel", par Antoine Emaz

Par Florence Trocmé

LèbreAprès quelques années de presque silence, même si son écriture demeurait présente à travers notes et travaux critiques, Jacques Lèbre propose un nouveau livre de poèmes, qui montre à la fois la constance d’une quête et son approfondissement. La poésie de Lèbre est volontiers pensive, méditative, sans jamais perdre le contact avec le plus quotidien du réel, on connaît sa prédilection pour les oiseaux, par exemple, mais plus largement les animaux, la nature. Dans ce dernier livre, il poursuit un questionnement sur la mort, initié dans La mort lumineuse (L’Escampette, 2004) et continué dans la section Une suite à la mort lumineuse (in Sous les frissons de l’air, l’Escampette, 2009). Le présent livre, s’il est plus court que les deux précédents, est complètement centré sur le thème, avec trois ensembles de poèmes dont la succession indique une sorte de trajet, ou de parcours. Le premier ensemble, intitulé « Le vent », constitue comme une approche, ou une saisie assez générale de la question, servie par un vers libre long, au rythme assez proche de celui de la prose. La seconde partie, « Réduit, désormais, à l’immensité du ciel », nous confronte directement à une mort précise, dans sa violence vécue, immédiate ; le vers se raccourcit et le poème se segmente en brèves séquences séparées par des blancs. Dans le dernier ensemble, « Une nécropole, des chardonnerets », retour au vers libre long, fluide, volontiers enjambant, et distance prise vis-à-vis du thème, apaisement, libération ; l’accord semble de nouveau trouvé avec la vie, la beauté du monde. L’expérience décisive du livre, très présente dans la première partie (pp 13,15,17,20,28,29…), dominant toute la deuxième, et présente (par son absence signifiante) dans la troisième, est celle de la mort brutale du père. On en suit le déroulement dans la seconde section, à travers le regard, les réactions, les interrogations du poète, directement et précisément, mais avec retenue et sans pathétique : agonie, exposition du corps, crémation. Cette disparition lève une série de questions, à commencer par celle-ci, simple : qu’est-ce qui reste d’une vie ? Pour les proches, une mémoire, qu’incarne des objets usuels que le poète retrouve dans la maison familiale (p.15) et qui lui rappellent son père comme jardinier, bricoleur, pêcheur à la ligne. Plus profondément, en dessous de ces souvenirs, il y a la conscience d’une dette filiale ; « Père, tu m’as appris l’infinie patience / du pêcheur à la ligne et peut-être, peut-être / ( mais j’ai un peu honte de le dire, / toi qui l’hiver fabriquais des paniers d’osier ) / en reste-t-il quelque chose dans mes poèmes ? » (p.28). Mais au-delà ? Y-a-t-il une survie quelconque, une forme de vie éternelle, une âme ? Jacques Lèbre aborde à plusieurs reprises cette question, sans lui apporter de réponse définitive et sortir de « l’inquiétude » (p.11). Il écrivait déjà à ce propos, dans Sous les frissons de l’air : « Mais les poèmes, jusque dans leurs affirmations, ne sont jamais que des tâtonnements devant ce qui nous laisse totalement désarmés. » (p.56). Désarroi que l’on retrouve face à la mort du père : « Des larmes autour / comme la corde qui s’effiloche / à l’endroit cassé // et mettre des mots là-dessus ? » (p 41). Au-delà de la mémoire, vive pour un temps, des proches, la grande niveleuse fait son travail. Le poète songe, sans y croire, à la métempsychose (p 9), ou bien, avec humour, à une résurrection de la chair qui poserait tout de même « des problèmes de place » (p 16), mais l’évidence s’impose, mélancolique : il ne reste rien. Sinon des tombes sur lesquelles des noms sont encore lisibles, mais dont les occupants sont déjà visiblement abandonnés à l’oubli : « Maintenant, de l’herbe drue pousse sur votre absence / et ce que fut votre vie n’a pas plus de poids / que le souffle du vent qui vient la faire frissonner, / tendre peau verte atteinte de chair de poule. » (p15). Ou bien, mais de même, avec un peu plus de temps, des restes humains parfaitement anonymes, comme « ce squelette qui a peut-être mille ans » en train d’être dégagé par la fouille d’une nécropole, « sous le soleil matinal d’août », devant une petite église de Saintonge, alors qu’« A côté , c’est le brouhaha du marché couvert, / viandes, fromages, vins, fruits et légumes. » (p 47).
Au bout du livre, les poèmes nous ont fait traverser « l’inquiétude » humaine sans la dénouer ; la question reste sans réponse, mais elle est devenue malgré tout moins puissante que l’évidence du bonheur possible d’être vivant dans un monde simple, paisible : « Les plantes arrosées, l’eau du bassin diminue. / Le soir, des chardonnerets viennent y boire. » (p 56).
Antoine Emaz

Jacques Lèbre, L’immensité du ciel, Editions La Nouvelle Escampette, 66 pages – 13€


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