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Kendrick Lamar « DAMN. » @@@@

Publié le 14 avril 2017 par Sagittariushh @SagittariusHH
Kendrick Lamar « DAMN. » @@@@ - Hip-Hop/Rap

Kendrick Lamar « DAMN. » @@@@

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Alleluia, King Kendrick est revenu parmi nous avec son troisième album chez Aftermath. Dayumn! D’accord, le rendu final n’a pas la gueule de la tracklist inventée par un fan promettant un orgasme auditif avec des noms comme Kanye West, Q-Tip, Andre 3000, Thundercat et D’Angelo, aucun de ces noms n’y figure. Faut se l’avouer, cette hypothétique tracklist nous avant tous surexcités peu après l’extrait « Heart 4 » qui nous donnait un mystérieux rendez-vous le 7 Avril, rendez-vous qui fut ajourné au vendredi suivant.

Illustré par cette pochette semblable à une couv’ de magasine, DAMN. a été, le jour même de sa sortie, aussitôt sacralisé (le terme ‘classique’ était déjà lâché sur les RS) et fait l’objet de théories (pas si farfelues soit-dit en passant) autour d’un possible second album (parce que GOD/DAMN, DAMN/NATION), ce qui en soi n’a plus rien d’impossible en 2017. Pour mettre les choses au clair, l’intéressé a réfuté cette possibilité. Et tant qu’à mettre les choses au clair, ‘Damn’ ne se lit pas au sens du juron (« mince », NdT), il a fallu lire les récentes interviews de monsieur Lamar qui expliquait que la religion était l’élément central de ce nouvel opus pour comprendre que le titre se lit par « damné », « satané ». Être Kendrick, marcher sur ce destin extraordinaire, ce n’est pas simple.

Track par track

Le mieux pour décrire cet album, parce qu’il y a toujours beaucoup de choses à dire d’un album de Kendrick Lamar, c’est la stratégie du « morceau par morceau ». C’est peut-être une solution pour aller dans des détails qui pourraient manquer en étant synthétique, et pour essayer de décrypter le concept, le moins évident car chacun peut avoir son idée sur le sujet. Une autre raison sont les intituilés des pistes qui composent le tracklisting, formant comme des composantes de l’humanité de Kendrick : le sang/code génétique, le nom, la foi, les sentiments fondamentaux (amour et peur), des états d’esprit et ainsi de suite.

« BLOOD. » : Immédiatement, on comprend vite que l’atmosphère de cet album n’aura rien à voir avec les précédents, qu’on part sur des bases différentes, dès qu’on entend la voix de Bekon qui a ce quelque chose de folk. Kendrick évoque sur le flow de la narration et sur un instru pieux et sinistre comme un enterrement, la scène de sa mort, tué par ce qu’il voulait protéger.

« DNA. » : Seconde piste, second single. La prod de Mike Will Made-It donne un coup de semonce direct, idéal pour que Kendrick défende avec énergie la valeur de son héritage et sa culture. Le beat switche en milieu de partie avec un sample de voix et toujours ces méchantes basses. Hyper efficace et engagé à divers degrés.

« YAH. » : Surpris (dans le sens positif) d’entendre la voix du légendaire Kid Capri  scander ‘Kung Fu Kenny’ sur ce sample très ralenti. Sounwave et DJ Dahi sont sur le coup. Les premières rimes de ce morceau résume parfaitement la philosophie de ce disque: « I got so many theories and suspicionsI’m diagnosed with real nigga conditionsToday is the day I follow my intuitionKeep the family close—get money, fuck bitches ».

« ELEMENT. » : Nouvelle intervention de Kid Capri en ouverture. Voilà un élégant égotrip, sûrement truffé de rimes subliminales (ou pas du tout), et cette façon de chanter le refrain qui rappelle les trappeurs du moment (ou ceux qui les imitent), le tout sur un sample de voix bluesy à la Wu-Tang et un piano très morne, la touche de James Blake.

« FEEL. » : Autre downtempo au sample ralenti conçu par Sounwave. Thundercat réalise ici sa seule et très discrète prestation à la basse. Kendrick commence la majorité de ses phrases par « I feel like…« , énumérant une liste de sentiments et d’impressions divers et variés dans le désordre, tout ce qui lui traverse la tête à vitesse grand V.

« LOYALTY. » : Un titre cross-over r&b qui utilise avec parcimonie un sample de Bruno Mars (la partie vocoder son single « 24k Magic« ), une idée de Terrace Martin. La présence de Rihanna complète à merveille pour un résultat optimal. « I’m a savage, I’m an asshole, I’m a king » prétend Kendrick. Oui, vous avez bien lu. Dire qu’on a failli avoir peur en voyant le nom de Rihanna alors qu’elle embrasse le flow de Kendrick sur cette prod sexy qui sert de matelas. Après tout, ça parle de relationnel.

« PRIDE. » : On retrouve dans l’intro la voix et les paroles de Bekon exactement dans le même style de « BLOOD.« . Le titre est très downtempo et religieux sur le fond, tandis que la voix de Kendrick se trouve modulée entre le grave et l’aigu, ce qui conjugué à son débit très calme, donne à la chanson un air folk-psychédélique. Steve Lacy (The Internet) et Anna Wise sont sur les refrains.

« HUMBLE. » : (« sit down! ») Le premier single. Un pur égotrip sur lequel Kendrick s’assoit sur son statut de GOAT (actuel). Avec une production de Mike Will aussi démoniaque que minimaliste (des notes de piano entêtantes avec ce tonnerre de basses), voilà un titre qui fait écho au « Backseat Freestyle« . Redoutable d’efficacité, le duo Kendrick/Mike Will fait des ravages. Ce titre a par ailleurs servi de bande-son pour les playoffs de la NBA.

« LUST. » : Probablement l’un des morceaux les plus travaillés et le plus sombre, où le beat est plus que ralenti, il est même inversé sur certaines parties. Co-produit par ces canailles de BadBadNotGood, on retrouve aussi des rôles à contre-emploi pour Kamasi Washington (mais pas au saxophone) et Kaytranada (dans les backs vocaux!). Mais qui chante avec un falsetto à la Curtis Mayfield? Pour ce qui est des paroles, les tourments de Kendrick prennent le pas, il ne vit pas sereinement le succès et ses tentations. Andre 3000 aurait pu faire un titre pareil.

« LOVE. » : Sans doute la chanson la plus radio-friendly (ou mainstream si vous voulez) du lot, avec une révélation en featuring : le très doux Zacari. La touche pop est apportée par un certain Greg Kurstin, producteur pour Lily Allen et Adele (*tilt*). L’intérêt de ce titre réside dans l’évocation de sa relation avec sa compagne, Whitney Alford, une femme dont il parle peu et qui n’est pas une personnalité publique.

« XXX. » : Ce morceau politique est séquencé en plusieurs parties, une première tendue (avec des scratches, vous vous souvenez, quand les DJs remuent des vinyles rapidement là) avec encore une intro de Bekon; une seconde qui fait course-poursuite avec la police et une troisième trip-hop/jazz, avec la voix de Bono des U2 qu’on entend peu finalement et qui se fond très bien dans l’ensemble. Ce n’est pas tout pop et encore moins rock, pas de raison de s’inquiéter (comme pour l’apparition d’Elton John le dernier album album des Tribe Called Quest).

« FEAR. » : Un morceau très bien écrit de la part de Kendrick autour de ses craintes et de leur évolution par décennie après décennie. Le premier couplet est question de l’éducation stricte par sa mère (les rimes commencent par « I beat yo ass…« ), le second la peur de mourir jeune du jour au lendemain comme un inconnu (« I’ll prolly die…« ), et le troisième couplet ses craintes dues aux bouleversement dans la vie provoqués par sa vie d’artiste à succès. Les longues minutes passent trop vite grâce à ce superbe  sample de diamant noir 24 carat déniché par Alchemist.

« GOD. » : morceau-clef qui étrangement provoque le moins d’accroche pour moi. Assez trap’n b matiné d’élans pop. Kendrick monte les marches vers les cieux. Mais Kendrick n’est pas Kanye West, et heureusement !

« DUCKWORTH. » : Ce dernier morceau porte le nom de famille de Kendrick. Normal, il est question de son père, le personnage principale de cette histoire racontée par Kendrick sur le fait que Top Dawg (le boss de son label) a failli tuer Ducky, son père. Le gamin de Compton avouera à 9th Wonder, qui produit ce titre incroyable, qu’il s’agit d’une histoire vraie… En parlant de 9th, il rappelle à quel point c’est un génie en utilisant trois mangnifiques samples différents. Du grand art.

Par contre, quel casse-tête pour trouver le fil conducteur de DAMN., alors cela sautait aux yeux (ou aux oreilles plutôt) sur Good Kid M.a.a.d City et To Pimp a Butterfly. Comme l’impression d’écouter un album dans le désordre, que toutes les chansons sont interconnectées. « BLOOD. » mène (bio-)logiquement à « DNA.« , « DNA. » à « LOYALTY« , « LOYALTY. » à « HUMBLE.« , « LOVE. » est l’autre face de « LUST. », « PRIDE » se connecte à « LOVE » et à la fois à « HUMBLE.« , « FEAR. » est lié à « GOD.« , puis enfin « DUCKWORTH. » rembobine pour relancer « DNA.« . Les liens sont parfois implicites ou ténus, le schéma n’est pas complet. S’y ajoute la récurrence des apparitions de Bekon et de Kid Capri (« what happen on Earth stays on Earth », « nobody pray for me »), pour cimenter le tout.

On pourrait se demander pourquoi pas de « MONEY. » comme morceau, mais l’argent n’est pas une composante humaine en tant que telle. Cela a tout de même son importance dans la vie  de Kendrick depuis qu’il est devenu une star du rap, et l’évoque de différentes manières comme sur « LUST » quand il décrit sa vie de star, ou encore sur « ELEMENT » et « LOVE« .

Less is more

Il est clair que DAMN. est plus minimaliste que ses prédécesseurs, sur quasi tous les plans. Ce quatrième album solo est musicalement moins léché, moins « westcoast » que Good Kid, M.a.a.D City, moins fourni et organique par rapport à To Pimp a Butterfly, qui était construit autour d’une vraie troupe de musiciens (Thundercat, Terrace Martin et j’en passe). Ici, l’élément le plus important est Sounwave, producteur-maison de chez TDE dont il en est le noyau, avec Top Dawg si besoin. Puis à ses côtés, les DJ Dahi, Cardo, Mike Will en renfort (et bien plus monstrueux que pour son Ransom 2), et après des Terrace Martin ou Thundercat dont les rôles sont mineurs, BadBadNotGood et James Blake, qui s’articulent tous autour de Sounwave (sauf Mike Will sur les deux singles comme on a pu le voir). On valide absolument les les choix d’Alchemist et 9th Wonder (leur seconde collaboration connue), en tant que producteurs et pour les beats qu’ils proposent, c’est-à-dire de véritables bijoux. Preuve que l’art du sampling a encore des années devant lui face à tous ces albums mainstreams sur-produits.

A ce propos, Kendrick Lamar a simplifié la structure des pistes, pas de « deux morceaux en un » par exemple, ni de longs interludes ou encore de ‘extended version’ qui font dépasser la barre des 6 minutes (excepté « FEAR. » qui joue volontairement sur la longueur). Le rappeur, qui passe maintenant du statut de ‘king’ à ‘GOAT’ actuel, est le seul à allier intelligence avec instinct dans ses écrits, ses concepts et son flow, pour donner une vue de la complexité de son âme. On pourra déplorer l’absence des membres des Black Hippy (pour un remix bientôt?) au profit de Rihanna et U2, mais comme on a pu l’entendre, la chanteuse épouse parfaitement l’atmosphère de « LOYALTY. » et le passage de Bono est dépersonnalisé au possible. Rien de pop, rien à craindre, contrairement à « GOD. » ou « LOVE. » qui en possèdent les codes.

Et Dr Dre dans tout ça? Rien, ou pas grand chose. Le doc regarde faire, il fait confiance à son poulain, il se content de ce rôle discret mais primordial de producteur exécutif.

« Que @@@@? »

L’écoute de DAMN. est solennelle. Elle ne sera pas forcément du goût de tout le monde et n’aura pas non plus fini de révéler tous ses mystères. C’est toujours une expérience d’écouter un album de Kendrick, DAMN. est un vrai putain d’album, que moins grandiose musicalement, dont je trouve que le rappeur s’est moins trituré la tête par rapport à GKMC et TPAB. Pourtant je fais exactement comme sur l’outro de « DUCKWORTH.« , je reviens automatique sur « DNA. » et c’est reparti pour un tour. Et que Kenny reprenne également ses droits dans les charts en battant Drake (avec More Life) est une excellente nouvelle.


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