" La Justice ne saurait connaître de limites " clame le slogan accompagnant le titre sur la jaquette plus que racoleuse : en effet, à l'heure où les films sur la " légitime vengeance " refleurissent dans les cinémas, les distributeurs de ce DVD ont cru bon de nous le vendre avec en très gros le visage inquiet de Michael Douglas tenant un pistolet automatique (image qui n'apparaît JAMAIS dans le film). On pourrait de même gloser à foison sur le titre français qui nous rappelle le temps des épisodes des Mystères de l'Ouest (mais oui, ceux-là même qui commencent toujours par " la Nuit de... " !) ; je le trouve pourtant sympathique et, fait rare, sinon justifié, du moins attrayant. Le titre original, the Star Chamber, nous invite nettement plus à la réflexion à laquelle on veut nous convier.
Ce film avait laissé des traces. Son visionnage résulte d'un souhait de revoir une œuvre qui avait marqué les esprits en son temps et dont on ne savait si l'industrie du DVD l'avait placée dans ses catalogues : quelques clics plus tard, le film était commandé par le net, qui s'est avéré bien souvent un remarquable pourvoyeur de fantasmes... Mais le propos n'est pas là.
Dans nos souvenirs, le métrage de Hyams avait laissé cette impression d'une oeuvre austère et puissante, sans concession, tout en maintenant un habile suspense. Un film sans doute moins viscéral et primaire que les films de Charles Bronson dans la lignée de Death Wish/Un justicier dans la ville, mais doté d'arguments solides sur l'impuissance de Loi pour faire entendre la Justice.
Aujourd'hui, la Nuit des Juges étonne, encore. D'abord parce que, même si les images ont un traitement très particulier (j'y reviendrai) qui achèvent de le dater, si le propos semble moins virulent, si le jeu de Michael Douglas manque de subtilité (tout en demeurant plutôt convaincant), force est de reconnaître que le tout est diablement stimulant, quand bien même la partie finale avec son quart d'heure d'action arriverait comme un passage obligé. C'est que, lorsqu'on nous propose des crimes mettant en scène des enfants abusés, torturés, avilis, mutilés (NDLR. les âmes sensibles se rassureront de savoir qu'on ne voit quasiment rien des cadavres ni des meurtres), notre fibre paternelle - et simplement humaine - se voit contrainte de réagir ; la multiplication des affaires de pédophilie a prouvé que la réalité dépassait de bien loin la fiction, et même l'entendement. Alors quand on nous propose comme plat de résistance les coupables idéaux, deux brutes basses de plafond à l'affût d'un cambriolage, on ne peut que se réjouir de leur arrestation, et s'offusquer ensuite de leur libération à cause d'un policier trop zélé. D'autant que juste avant, un autre criminel venait d'être relâché pour encore moins que ça.
Des attitudes que dénoncera avec une finesse toute relative Paul Haggis dans (2004). Pour un jeune juge (encore) idéaliste comme Hardin, heureux père et mari, il y a de quoi n'en plus dormir la nuit. Surtout si le papa d'une des petites victimes vient vous causer de Justice, d'ééquité et que vous lui répondez que cela n'a rien à voir avec la Loi et le fonctionnement nébuleux des procès. Faut-il alors renier ses principes moraux pour continuer à suivre ses préceptes professionnels ? Dura lex sed lex me direz-vous : oui, mais si la loi n'est pas juste ? Ou simplement " insuffisante " ? Le cheminement de cet homme pris entre sa vocation et ses remords à qui l'on propose de se substituer à un système faillible est aussi logique que limpide (quoique un peu précipité). Le reste du film consistera d'ailleurs en l'application de nouvelles directives, jusqu'à ce que Hardin s'aperçoive que ce nouveau système ne pardonne aucune erreur d'appréciation. Et lorsqu'il s'agit de faire machine arrière, c'est une autre histoire, qu'il risque de payer au prix fort.
Reste la mise en scène de Hyams. Je le connaissais pour le très bon (et sous-estimé)
2010, l'année du premier contact mais aussi pour Outland, cette version d' Un train sifflera trois fois dans l'espace : deux réalisations qui datent de la même époque. Et cela se voit : car ces très nombreux plans baignés d'une lumière diffuse à travers un voile de brume, ça fait joli dans un décor de SF, mais ça nuit à l'impact de ce qui est après tout un honnête thriller mâtiné d'une intéressante réflexion sur la Justice et ses avatars. Les scènes nocturnes se multiplient, parfois sous la pluie, et les personnes se rencontrent dans des bars, voire des salons enfumés où de petites lampes ou de grandes baies peinent à percer les volutes exhalées par les habitués... L'impact du propos est donc à tout le moins altéré, presque faussé. Un choix artistique dommageable, à mon sens, même si l'histoire demeure suffisamment forte pour se soustraire à ces artifices.A voir, avant ou après le film similaire de Jodie Foster (A vif).