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(Note de lecture) Elisabeth Jacquet, "Mon mari et moi", par Véronique Pittolo

Par Florence Trocmé

JacquetA l’heure du Mariage pour tous et de la Manif pour tous, le Pour tous est devenu une formule passe-partout, une patate chaude qui rassemble, paradoxalement, les réactionnaires et les progressistes. Les homosexuels adoptent des enfants, se marient, les cathos intégristes rejettent l’IVG. Lorsque les deux tendances défileront sous la même bannière, la société aura vraiment muté. Il n’en est rien pour le moment. Un pas en arrière (cathos) pour deux pas en avant (homos), comment s’y retrouver ?
Dans un panorama électoral fébrile, à rebours des revendications identitaires, genrées, parentales, ce petit livre résonne comme un appel d’air. L’auteure flirte avec la norme bourgeoise comme avec la syntaxe post-moderne (Perec, Barthes, Gertrude Stein). Mon mari et moi est un pari risqué autant qu’une exploration ludique : que se passe-t-il lorsqu’un individu qui s’appelle Benoît ou Bertrand (Pierre, Paul, Jacques), devient du jour au lendemain mon mari ?
Non seulement mon mari ne l’a pas toujours été, mais l’étant il n’a en plus jamais cessé d’être en majorité Autre Chose.
Dans le mariage, on quitte son patronyme pour devenir un statut (rôle, fonction). On vit désormais en couple, on a des enfants, un emploi du temps. Elisabeth Jacquet interroge la vie mode d’emploi de la vie domestique, dans une vision joueuse, édulcorée, suave, de la vie à deux. Elle relève l’étrangeté de la personne qui vit à nos côtés jour et nuit.
Avec qui d’autre aussi longtemps partager les sanitaires, bruits odeurs et rituels de nos corps sans cesse à proximité ?
Comme un prolongement de soi. Une greffe protectrice. Les aspects sombres sont évités, passés sous silence, et du mariage nous n’aurons pas l’envers, le dysfonctionnement, la doublure inquiétante (amant, adultère, divorce). L’analyse est sage, modérée, bienfaisante. Le bonheur conjugal agit sur le lecteur comme un baume. À une époque où les valeurs volent en éclats sous la langue de bois des politiques et des médias, on se sent aimé et protégé.
Ce mini traité de l’intime ouvre l’imaginaire à de possibles prolongements (utopies de l’amour éternel, uchronies désinvoltes) : si Clovis n’avait pas épousé Clotilde, que serions-nous devenus ? Plus sauvages ou moins bourgeois ? Seulement à moitié français ? En cette veille d’élections*, entre solidarité et rejet, les adeptes du grand roman national identitaire devraient se calmer, lire et relire ce livre d’amour courtois.
Véronique Pittolo

*note reçue par Poezibao en avril 2017
Elisabeth Jacquet, Mon mari et moi, éditions Serge Safran, 2017, 144 pages, 14,90€. Sur le site de l’éditeur (où l’on peut feuilleter le livre et lire des extraits)


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