Magazine Ebusiness

Les wearables investissent doucement le monde industriel

Publié le 11 mai 2017 par Pnordey @latelier

Les fournisseurs d’objets connectés portables ou « wearables » lorgnent le marché professionnel, supposé plus porteur que son homologue grand public. Pour l’heure, les premiers usages se développent surtout dans les domaines de la maintenance sur site, de la logistique et de l’industrie manufacturière.

Les objets connectés peuplent notre vie quotidienne. Depuis trois ans, les fournisseurs de technologies, surfant sur la mode, introduisent des processeurs dans tous les éléments de la maison, de la brosse à dent aux chaussures en passant par les T-shirts ou les raquettes de tennis. Au cœur de cette tendance, les « wearables », ces objets connectés que l’on porte sur soi, figurent en bonne place. A l’image des capteurs d’activités, les bracelets enregistrant les déplacements de ceux qui surveillent leur forme.

Mais l’enthousiasme des débuts est quelque peu retombé. L’adoption de ces technologies par le consommateur n’est pas aussi évidente qu’espérée. Rares sont les objets connectés portables qui s'installent durablement dans les foyers. Beaucoup finissent au fond d’un tiroir quelques mois après leur achat. Même les ténors du marché Apple ou Samsung n’ont pas rencontré le succès escompté avec leurs montres connectées.

De fait, leur salut pourrait bien venir du monde de l’entreprise, moins versatile que celui des particuliers. Et l’avenir se situer du côté de la commercialisation d’offres professionnelles spécifiques. Une étude de la société Tractica estime ainsi que les ventes de « wearables » destinés aux entreprises et aux industriels passeront de 2,3 millions d’unités en 2015 à 66,4 millions d'ici 2021. Pour l’heure, ces solutions émergent surtout dans les domaines de l’intervention sur site, de la logistique et de l’industrie manufacturière.  

Les techniciens de maintenance, une des premières populations ciblées par les fournisseurs

En premier lieu, les entreprises équipent les travailleurs mobiles qui gèrent la maintenance et l’installation d’un équipement ou d’une machine. Le fabricant d’ascenseur Thyssenkrupp a ainsi présenté un projet d’utilisation de la réalité augmentée à Londres en octobre dernier. A l’aide des lunettes Hololens de Microsoft, les techniciens de maintenance préparent leurs interventions ou se forment directement dans les locaux de l’industriel grâce à la modélisation 3D.

Encore en phase expérimentale, le projet vise également à tester l’utilisation des lunettes de Microsoft en condition réelle, lors des interventions de maintenance. Grâce au dispositif, le technicien peut visualiser des documents techniques correspondant aux pièces à changer ou récupérer l’historique des interventions pour un ascenseur donné.

En cas de difficulté, il sollicite un entretien par Skype avec un ingénieur qui le guide sur place. Ce dernier n’a plus besoin de se déplacer et évite ainsi de perdre des heures précieuses dans les transports. L’expérimentation au Royaume-Uni s’inscrit dans l’objectif ambitieux de Thyssenkrupp de réduire de moitié les heures d’indisponibilités de son parc d’ascenseurs tout en conservant un contingent identique de 24 000 techniciens.

hololens et ascenseurs

Grâce au dispositif Hololens, le technicien de maintenance du fabricant d’ascenseur Thyssenkrupp visualise des documents techniques correspondant aux pièces à changer ou récupère l’historique des interventions pour un ascenseur donné

Des projets similaires d’utilisation des lunettes connectées par les techniciens de maintenance sont en cours en France, chez GRDF par exemple.  Des techniciens en formation y apprennent la technique de montage de conduits de gaz sous pression. Un processus long et critique qu’ils appréhendent désormais guidés par le système d’affichage Ora de la startup française Optinvent, adapté par la société Scalian.

Sur le terrain, des techniciens de GRDF utilisent également les lunettes Ora dans le cadre de leurs interventions. La société de services Scalian a intégré toute une palette d’outils qui offre aux opérateurs la possibilité de communiquer par la gestuelle ou des mouvements du corps et de la tête. « Les lunettes permettent par exemple de dialoguer par signes à distance avec un expert dans un environnement bruyant ou de valider des opérations de routine les mains gantés par simple mouvement du pouce » illustre Jean-Frédéric Real directeur marketing & innovation de la société Scalian.

Ce type de lunettes intéresse plus largement tout opérateur qui a besoin d’interagir tout en gardant les mains libres. Tel le personnel sur les chaînes de production. Le fabricant allemand Bosch fait par exemple usage de la solution ORA dans le cadre dun processus de contrôle de fabrication où le technicien valide en fin de ligne de production, via une checklist, la conformité du matériel électrique. Les « checklists » papier ont été remplacées par onze points de validation sous forme d’images diffusées dans l’afficheur et de bandes son : l’opérateur valide chaque étape en frôlant le « touchpad » situé sur la branche de la lunette ou par simple mouvement de tête.

L’américain Daqri, mise, quant à lui, sur un casque de chantier intelligent, intégrant la réalité augmentée et une caméra thermique en prime. Celle-ci distingue les différences de température et détecte des fuites potentiellement dangereuses pour le technicien. En France, il a été adapté par la société Actemium, la marque de Vinci Energies dédiée au processus industriels. Le casque est destiné aux techniciens de maintenance qui, par son entremise, accèdent aux informations technique sur les installations en cours d'entretien.

Autre usage possible, dans l’univers du bâtiment cette fois, la réalité augmentée aide les ingénieurs à mieux comprendre comment chaque élément doit être agencé et à anticiper les problèmes. Dans le cadre de la construction d’un centre médical spécialisé à Minneapolis dans le Minnesota, les équipes de l’entreprise américaine de construction Mortenson testent des casques intelligents Daqri, couplés à la solution cloud BIM360 d’Autodesk, pour visualiser des modèles 3D des différentes infrastructures (climatisation, réseau électrique, plomberie…) du futur bâtiment durant sa construction.

casques chantiers bis

Chaussées de casques de chantier intelligents Daqri,  les équipes de l’entreprise américaine de construction Mortenson visualisent des modèles 3D des différentes infrastructures (climatisation, réseau électrique, plomberie…) du futur bâtiment durant sa construction

Des opérateurs logistiques augmentés

La logistique s’avère un autre terrain de jeu privilégié pour les objets connectés portables. Sur le site du constructeur automobile allemand Audi à Ingolstadt, les manutentionnaires portent des gants scanners connectés ProGlove pour lire les codes-barres. Ils déclenchent la numérisation en appuyant simultanément sur le pouce et l’index, tout en conservant les mains libres.

Rien de surprenant à ce que l’entrepôt soit une des premières zones d’expérimentation des wearables. Après tout, les manutentionnaires ou « pickers » se servent depuis longtemps déjà de téléphones main libres avec casques, sorte d’ancêtres des objets connectés portables, afin de préparer les commandes ou pour être guidés dans l’entrepôt par téléphone. Certaines entreprises tentent d’ailleurs de dépasser ce dispositif en utilisant la réalité augmentée.

L’été dernier, le transporteur allemand DHL a ainsi annoncé l’extension de son programme «Vision Picking», un système de réalité augmentée qui simplifie la recherche d’articles et le dépôt des livraisons.  Ce dernier a été testé avec succès aux Pays-Bas, à la fois par Ricoh et DHL.  Concrètement, les « pickers » chaussés des lunettes intelligentes Vuzix visualisent le chemin vers les items à prendre, leur nombre et l’endroit où les placer sur le chariot de livraison. Avec cet outil, ils remplissent leur mission à un rythme plus rapide pour un taux d'erreur réduit, selon la société DHL. Selon le même principe, le prestataire informatique allemand Bechtle teste  l’utilisation de lunettes  intelligentes Vuzix et Epson comme alternative aux scanners portables dans ses entrepôts.

Le marché prometteur de la sécurité des salariés

Avec l’introduction de capteurs dans les équipements de protection individuelle, un champ d’application immense s’ouvre pour la protection et le confort des travailleurs exposés au risque : 60 millions d’équipements de protection individuelle sont commercialisés chaque année en Europe et aux États-Unis.

Consciente du potentiel de ce marché, la société aixoise Intellinium a lancé une chaussure connectée dans le but d’améliorer la sécurité des travailleurs isolés. Celle-ci vibre instantanément en cas de comportement ou de manipulation à risque sur un chantier, de chute ou perte de connaissance. Une solution que la start-up expérimente actuellement auprès de deux équipes du gestionnaire des réseaux électriques en France Enedis (ex-ERDF). La société Scalian a elle aussi développé une chaussure de sécurité connectée en association avec le fabricant de chaussure Parade, filiale du groupe Eram. Celle-ci intègre un dispositif d’identification (via transaction radio en champ proche NFC, RFID), des fonctions de géolocalisation qui permettent à la chaussure de vibrer en cas de franchissement d’une zone interdite ou dangereuse et un système de détection de chute.

Les wearables investissent doucement le monde industriel

Chaussure de sécurité connectée, casque de chantier avec afficheur de réalité virtuelle et caméra, la société Scalian transforme les équipements de protection individuelle en objets connectés

Pour limiter les accidents du travail, la jeune pousse 3ZA Intech propose le dispositif « Risk-Monitoring » qui combine capteurs et technologie réseau afin de vérifier le respect des conditions de sécurité par l’ouvrier. Le système constate par exemple le port effectif des équipements de protection individuelle, comme le casque ou les gants identifiés par des étiquettes RFID. S’ils font défaut, l’anomalie est notifiée aux responsables. Le dispositif s’assure également que le salarié a bien les habilitations nécessaires à sa fonction. Des données qui sont intégrées dans un badge ou tout autre objet communicant de type smartphone ou bracelet. D’autres systèmes portables ciblent la pénibilité au travail, à l’instar du bracelet Havwear de la société britannique Reactec qui mesure l’exposition des ouvriers aux vibrations.

L’adoption de certains dispositifs freinée par les réticences des utilisateurs

A l’heure actuelle, l’utilisation de ces objets portatifs communicants reste néanmoins limitée. La plupart des projets demeurent au stade du prototype ou, au mieux, du pilote (expérimentation sur quelques unités). Les fournisseurs se retrouvent parfois confrontés aux réticences des salariés à porter ces dispositifs des heures durant, les lunettes particulièrement. « Nous excluons les scénarios où l’usage des lunettes connectées dépasse une dizaine de minutes" souligne, pragmatique, Jean-Frédéric Real “ Au-delà, non seulement les dispositifs ne sont pas encore assez matures mais on se retrouve confrontés aux facteurs humains ».

En clair, tout un tas d’interrogations légitimes sont alors soulevées par les salariés telle la nocivité des émissions radio afférentes à un usage sur une longue durée, ou l’inconfort d’un affichage en surimpression. «  On voit beaucoup d’industriels présentant des casques de réalité augmentée pour les opérationnels sur les lignes de production mais peu sont réellement déployés. Le dispositif n’est pas très agréable à porter à la longue. Certains employés n’aiment pas avoir des pixels sous les yeux et le temps de latence entre les mouvements de tête et l’actualisation de l’affichage, s’il est acceptable pour un test, l’est moins sur la durée » appuie Thibaud Prouveur directeur de Visian (Business Unit de la société Neurones-IT). Pour une utilisation de longue durée, gants et chaussures connectés ne soulèvent pas les mêmes réticences en raison de leur éloignement par rapport au cerveau. Ces équipements représentent donc des choix technologiques plus naturels dans le cadre d’un usage permanent.

Au-delà des considérations de santé, l’ergonomie et l’intégration naturelle du « wearable » dans le processus habituel est un point crucial soulevé par les salariés. Si l’utilisation du dispositif augmente la durée de l’opération ou s’il complique les manipulations à réaliser, il y a peu de chances que l’opérateur se l’approprie. Enfin, le coût prohibitif du déploiement à grande échelle explique fréquemment que certains projets ne dépassent pas le stade expérimental.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Pnordey 18702 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte