Partager la publication "[Critique] I AM NOT YOUR NEGRO"
Titre original : I Am Not Your Negro
Note:
Origine : États-Unis/Suisse/France/Belgique
Réalisateur : Raoul Peck
Distribution voix : Samuel L. Jackson (narration)
Genre : Documentaire
Date de sortie : 10 mai 2017
Le Pitch :
1979 : l’écrivain James Baldwin travaille sur un livre centré sur l’existence et les assassinats de trois de ses amis, à savoir Martin Luther King, Malcolm X et Medgar Evers, un illustre membre de la National Association For The Advancement Of Colored People. Malheureusement, Baldwin n’a pas le temps de terminer son projet, dont le manuscrit inachevé tombe entre les mains de Raoul Peck. Le cinéaste qui se décide à le porter à l’écran, en racontant en filigrane, à travers les mots de l’écrivain, la lutte des Noirs pour les Droits Civiques aux États-Unis, tout en soulignant la recrudescence des actes racistes ces dernières années…
La Critique de I Am Not Your Negro :
Nommé à l’Oscar 2017 du meilleur documentaire, I Am Not Your Negro sort dans les salles françaises auréolé d’une solide réputation et s’avère aussi puissant qu’annoncé. Porté par les mots de James Baldwin, qui trouvent un vibrant écho dans la voix de Samuel L. Jackson (la version française a fait appel à JoeyStarr), le film revient donc sur des décennies de persécutions, en s’intéressant au parcours de Martin Luther King Jr., Malcolm X et Medgar Evers, mais dénote aussi d’un désir de la part de Raoul Peck d’adapter le discours de Baldwin aux luttes actuelles, en se focalisant notamment sur le mouvement Black Lives Matter et sur des événements comme le passage à tabac de Rodney King par la police…
Le combat de Raoul Peck
Raoul Peck fut Ministre de la Culture de la République d’Haïti de 1995 et 1997. Homme engagé, fervent défenseur des Droits de l’Homme, il collectionne les casquettes. Journaliste, producteur, enseignant et réalisateur, il lutte à travers son œuvre pour éveiller les consciences face à des problématiques dont il s’est fait l’un des porte-drapeaux les plus investis, comme le montre notamment son film Lumumba, qui était centré sur Patrice Lumumba et l’indépendance du Congo. Œuvrant au sein même de son pays, Haïti, mais aussi à l’étranger, comme le montre son impressionnant parcours, Raoul Peck ne pouvait qu’offrir aux mots et aux idées de James Baldwin, une résonance qui fait, dans I Am Not Your Negro, des ravages, à l’heure où il n’a jamais été aussi crucial de rappeler à la société la primordiale importance de ne pas répéter les tragédies du passé pour avancer ensemble dans l’avenir et assurer notre pérennité. Et si il s’efface de manière admirable derrière la passion de Baldwin, mettant son talent à disposition d’une idéologie révoltée et soucieuse de bâtir une paix durable, il parvient aussi à imprimer, par la pertinence de son approche et par la puissance de ses convictions, une œuvre indispensable à plus d’un titre.
The Colour Purple
Remarquablement construit et rythmé, le film de Raoul Peck est riche en extraits. On voit James Baldwin parler à différentes tribunes, sur des plateaux télé, face à des hommes peu conscients des horreurs qui se jouent alors qu’ils entretiennent sans même sembler s’en rendre compte l’idée d’un racisme ordinaire, tandis que se déroule le récit d’une vie. Une existence au sein de laquelle se croisent Martin Luther King Jr., Malcolm X et Medgar Evers, tous les trois assassinés pour avoir osé se dresser devant des institutions qui se réclament parfois de l’héritage de Lincoln, tout en piétinant sans vergogne les valeurs qu’il a défendu avec tant de fougue. Mais I Am Not Your Negro s’intéresse aussi à la culture. À ces films portant en eux les germes qui ont entretenu l’idée que Noirs et Blancs évoluaient à deux niveaux différents. On parle par exemple de la carrière de Sydney Poitier, le premier acteur afro-américain a avoir reçu un Oscar (en 1964), avec des films comme Dans la Chaleur de la Nuit. Ce qui permet à Raoul Peck de mettre en exergue les idées de James Baldwin avec une réalité en accord ou en opposition avec une culture déjà engagée.
Histoire de la lutte
James Baldwin n’a jamais retenu ses coups. Il n’a jamais éludé les questions les plus sensibles ni esquivé quoi que ce soit qui aurait pu lui attirer des ennuis. En cela, son nom n’est pas assez connu. Une autre chose que tente de réparer Raoul Peck. Réhabiliter auprès des jeunes générations notamment, le travail et les luttes d’un homme qui n’a peut-être pas eu la même célébrité que ses amis Luther King et Malcolm X, mais dont la vie fut dédiée au prolongement de leurs idées. Ainsi, I Am Not Your Negro se présente comme une sorte de biopic conté, duquel émergent des thématiques relatives à la souffrance d’une partie de la communauté face à un racisme tenace et bien ancré. Pour rendre justice à Baldwin, Peck ne s’est pas économisé et n’a rien voulu cacher. Fort, incisif, son pamphlet possède une puissance évocatrice rare, tandis qu’il se fait également le réceptacle d’une émotion de plus en plus prégnante. L’approche du réalisateur est pleine de bon sens. I Am Not Your Negro est un documentaire visuellement très soigné, ni prétentieux, ni manichéen ou démagogique. Et surtout, il se fait le porteur d’un véritable espoir. D’une résilience terrible face à la haine et au pouvoir en place. Surtout alors qu’aujourd’hui, certaines idées malsaines refont surface au plus haut niveau de l’état. Il nous rappelle qu’il est de notre devoir de ne pas nourrir cette violence et ces préjugés, qui tout en faisant du mal à ceux qui en sont les victimes, creusent aussi en nous très profondément pour permettre la croissance d’une gangrène amenée à nous ronger.
En Bref…
Film d’utilité publique, touchant, tragique, plein de lyrisme, de vérité et de force, I Am Not Your Negro est remarquable. Une œuvre sincère et concernée, et douloureuse, qui marque durablement et dont les mots résonnent longtemps après la projection.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Sophie Dulac Distribution