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(Note de lecture) Perrine Le Querrec, "Ruines", par Tristan Felix

Par Florence Trocmé


(Note de lecture) Perrine Le Querrec, Ruines. N'y entendez-vous nuire et unir ? et puis l'identité martelée de La secrète et la discrète, La ficelée et l'échevelée Nora Berta Unica Ruth, comme aussi Ruth (Henry), son amie qui traduisit Sombre Printemps et L'homme-Jasmin. Eclats d'anagrammes dans l'urne d' Unica Zürn, cette écrivain artiste allemande qui jonglait de façon obsessionnelle avec les anagrammes, nouant et dénouant à l'infini le corps d'une langue hallucinée tout comme les fils extravagants de ses dessins, avant de se défenestrer depuis la chambre de l'ami Hans Bellmer, l'homme à la poupée, celui qui l'avait initiée aux anagrammes et se servait d'elle pour ses photographies de bondage. Nuire-unir, désarticuler pour aimer... Le titre et toute la laisse poétique, justifiée seulement à droite, comme une suite de respirations à l'envers ou des salves in extremis jetées à rebours du temps, égrènent leurs runes, ces signes germaniques cabalistiques gravés sur pierre, sur bois (sur ce fameux plancher de Jeannot (1), désormais exposé devant l'hôpital Sainte-Anne), sur écorce ou sur os, non supports d'un langage ordonné, fût-ce au service d'une biographie effondrée, mais réminiscence de pratiques magiques, offrandes vaticinées à la poésie des mystères. D'abord importunée par les raturages - effets à la mode - et les caviardages - agressifs - qui lézardent le texte, nous y avons ensuite consenti, songeant à Orphée, dans le film de Jean Cocteau, qui de retour de sa descente aux Enfers, se réfugie dans son automobile pour communiquer par radio avec les puissances de l'Ombre, tandis qu'Eurydice, réduite à l'état d'objet interdit au regard, est devenue prétexte à inspiration : grâce à sa " mort " vive, le poète peut fantasmer sur un au-delà transgressif qui, entres des silences ou des ondes mortes, lui révèle des phrases inouïes qu'il eût été incapable d'écrire. Perrine Le Querrec, entre ses tracés noirs et les liens qui ligotent le corps du texte, articule l'essentiel des ruines d'une vie, presque en apnée :

Et lorsqu'elle s'échappe, franchit les limites
Du lasso de son encre la ramène vers lui

[...]
Unica voudrait être seule, voudrait couper les fils
Qui la retiennent encore à Hans

Ardente plume tendue de la rive d'une vivante vers celle d'une morte, elle est une chercheuse empathique, une passeuse, une nochère qui rend ce service au lecteur de pouvoir communiquer avec les morts. La littérature est psychopompe en ce qu'elle incarne et réincarne - pour Unica je vois [...] / Pour Hans je vois [...] - faisant corps avec la langue de l'autre, incisive, lapidaire, clinique, feuilletant les archives de vies en runes, celle de Jeannot, celle d'Unica Zürn, celle de l'auteure elle-même, en transparence. Exercice de voyance que celui de la poésie - sans cela, amuse-gueule.
Nous savons gré à la poète, par ailleurs romancière et nouvelliste, de subtilement rappeler ce dont la mémoire parfois s'offusque pour préserver les célébrités et le bon goût. Aussi, ravivant les senteurs menaçantes du printemps, du jasmin, de semer le trouble entre une vie et un poème.
Tristan Felix

Perrine Le Querrec, Ruines, éd. Tinbad, 64 p., 12 €
1. Lire, de la même auteure, Le Plancher, éd. Les doigts dans la prose, 2013.


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