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(Anthologie permanente) Jean-Pierre Verheggen, "car on cafouille, on s'embourbe, on marécage"

Par Florence Trocmé

VerheggenOublitude

On oublie, on s'oublie, n'est-ce pas ?
Comme l'écrivait notre Père à tous - Louis Scutenaire :
«je perds souvent la tête mais personne ne me la rapporte » !
Eh oui, cher Poète, c'est la maladie d'Alzheiper.
on y perd tous ses repères ! On dégénère
On est tantôt dans le cirage, tantôt dans le brouillard !
On est comme un amant du théâtre de boulevard
qu'on aurait oublié dans l'placard! Hébété. Hagard !
Dans le noir !
Comme si un calamar irascible avait lâché sa sépia
dans notre mémoire pour y obscurcir nos facultés cognitives
On voudrait bien se souvenir - on s'y efforce
visiblement ! - mais on ne se souvient pas
de qui ou de quoi on devrait savoir ou pouvoir se souvenir !
Voilà, c'est aussi clair que ça !
Pire, on n'arrive plus à répéter ce qu'on vient de nous demander
et pour se déplacer on a besoin d'un rémora,
qu'on pourrait appeler dans notre cas un « remémora »,
qui nous serve de poisson-pilote pour guider nos pas
et accompagner, vaille que vaille, nos séances d'inutiles rattrapages !
Car on cafouille, on s'embourbe, on marécage,
on s'embrouille, on va droit dans le mur de l'embrouilla-papy
— ou mamy! —, on va jusqu'à ne plus reconnaître nos enfants,
petits ou grands ! On leur sourit cependant, béatement !
Y compris quand on s'oublie sous soi et qu'on a oublié
de signaler qu'on avait oublié de nous langer ! C'est qu'on
a pris un sérieux coup de bambou sur le carafon, on est
dans l'trou, de plus en plus bas du plafond. Notre ciboulot
est sur la touche zéro ! D'ailleurs, notre monitoring intérieur
émet d'inquiétants toc toc, pour ne pas dire d'explicites
tocards sur tocards ! On est devenu une vraie passoire !
Mais trop tard !
Trop tard ! Il est déjà beaucoup trop tard, docteur Mémoire
/
Oursitude

C'est vrai, je l'admets ! Comme le camarade Maïakovski
je m'oursifie, de plus en plus, moi aussi. Suis-je dérangé ou
contrarié par qui ou quoi que ce soit ? Je leur bats froid
ou en fais tout un tintouin ! Je m'échauffe pour un rien !
La plus ridicule petite chose m'indispose !
Vient-on m'importuner ? Je refoule les casse-pieds en
leur parlant du groin comme d'autres du nez quand
ils sont enrhumés ! La paix ! La paix ! J'y suis attaché
comme une bernique à son rocher ! Pour le reste,
je défends, bec et ongle, ma forteresse quand bien
ai-je souvent le moral dans les chaussettes, j'en suis
le hallebardier ! J'en veux et m'en prends au monde entier !
Je ronchonne, je bougonne puis — stop là soudain ! —
me renfrogne dans un mutisme souverain absolu !
Le plantigrade que je suis devenu se transforme
alors en planti-garde-chiourme de son empire casanier !
Qu'on se taise ! Qu'on se taise ! Qu'on me laisse traîner
mes charentaises toute la sainte journée ! Je popote,
vivote et chipote à mon aise ! Je pote au feu !
Suis-je plus heureux ? Je n'oserais pas l'affirmer
mais, en tout cas, si Tanguy n'arrive pas à quitter
ses vieux, moi Teddy, je fuis tous les Tanguy et
autres neveux, chouchous de leur mamy !
Cela dit, mes ourseries restent bien plus discrètes
que celles — plus tordues ! — de Fabrice Lucchini
dans Alceste à bicyclette ! C'est déjà ça !
C'est déjà ça !
Encore que lui, c'est sur l'île de Ré (un sacré bel endroit!)
qu'il fait son cinéma !
Jean-Pierre Verheggen, Ma petite poésie ne connaît pas la crise, Gallimard, 2017, 120 pages, 14,50€
Sur le site de l’éditeur


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