Parce que sa grand-mère lui demande un livre qu’elle pourra apprendre par coeur avant d’être complètement aveugle, Tiago Rodrigues écrit à Georges Steiner dont il a écouté plusieurs fois l’entretien intitulé « De la beauté et de la consolation », et dans lequel le philosophe raconte comment Boris Pasternak, dans un Congrès d’écrivains soviétiques, s’est levé, lançant à l’assemblée le chiffre 30, et comment dans cette assemblée 2000 personnes se sont levées et ont récité le Sonnet 30 de Shakespeare, traduit en russe par Pasternak. « Ça voulait dire, indique Georges Steiner : "Vous ne pouvez pas nous toucher, vous ne pouvez pas détruire la langue russe, vous ne pouvez pas détruire Shakespeare". » La mémoire sera aussi à l’oeuvre quand Nadejda Mandelstam apprendra les poèmes de son mari, les partagera avec dix personnes qui transmettront à dix personnes, multipliant les chances de les sauver de l’oubli. Elle sera aussi à l’oeuvre quand un bibliothécaire, dans le camp de Birkenau, récitera les livres qu’il a mémorisés aux déportés dont il partage la condition. Et, tout en racontant ces histoires, Tiago Rodrigues apprend à dix volontaires du public, assis sur des chaises toutes différentes les unes des autres, le Sonnet 30 de Shakespeare, traduit en alexandrins au début du XXe siècle par Charles-Marie Garnier. Et la prouesse, ce sera que dix personnes sauront par coeur ce texte, et que les spectateurs partiront avec en tête la mélodie sur laquelle les mots du sonnet (donné à chacun-e à la sortie) viendront se poser.
Au-delà de cette expérience, Tiago Rodrigues nous parle de résistance, et de résistance collective. Comme on la voit dans le roman de Ray Bradbury, Fahrenheit 451, où quelques hommes se réunissent pour apprendre par coeur les livres que les pompiers sont chargés de détruire par le feu.
Et que dit le Sonnet 30 de Shakespeare ? Que l’oubli et la mort nous mènent au malheur, et que, si la mémoire réveille le souvenir, la peine prend fin.
J'ai vu ce spectacle dans le cadre du Focus Effervescence, au (!POC!) d'Alfortville (94).
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