Dans son ouvrage Reinventing Organizations, Frédéric Laloux partage les leçons tirées de ses observations d’organisations évolutives. Il s’étonne qu’aucune des 12 organisations qu’il a étudiées n’ait de plan stratégique à 3 ou 5 ans. En dépit de cette lacune ou grâce à elle, elles s’avèrent tout à fait capables de capter des signaux faibles et de s’organiser avec fluidité pour y répondre par des innovations. Point n’est besoin de passer par un quelconque plan « Ambition 2020 » !
Il l’a constaté au sein de Buurtzorg, une organisation hollandaise non lucrative dirigée par Jos de Blok, qui emploie 9 000 collaborateurs spécialisés dans les soins à domicile. Les infirmières de Buurtzorg sont loin du siège, constamment au contact des patients, dans leur univers quotidien. Elles ont réalisé qu’elles étaient idéalement placées pour sensibiliser leurs patients aux accidents domestiques qui occasionnent souvent des pertes d’autonomie. Elles ont capté ce signal faible et…
« Deux infirmières mirent en place un partenariat avec un kinésithérapeute et un ergothérapeute de leur quartier. Elles organisèrent des réunions pour présenter aux personnes âgées des moyens de minimiser les risques de chute. Et elles envoyèrent l’ergothérapeute chez leurs clients pour leur suggérer de changer un peu leurs habitudes et d’envisager des modifications de leur intérieur pour éviter les chutes. Ce programme a bien fonctionné et elles en ont parlé à Jos de Blok. (…) Si de Blok avait été un DG conventionnel, voici sans doute ce qu’il aurait fait. Il aurait créé une commission pour analyser cette opportunité et émettre une recommandation. Sur la base de cette recommandation, il aurait alors décidé « oui, on y va » ou « non, on n’y va pas ». Si c’était oui, il aurait alloué un budget et chargé quelqu’un de dresser un plan de déploiement : « Commençons par une région pilote et, tous les deux mois, on en démarrera une autre ».
La réponse de Jos de Block a été différente. Beaucoup plus humble, en un sens. Intuitivement, l’idée de faire de la prévention lui paraissait juste. Mais qui était-il pour savoir si c’était vraiment la chose à faire ? Il fait donc une suggestion à l’équipe : « Pourquoi ne pas publier sur notre réseau interne une courte histoire sur ce que vous avez fait. Nous verrons quel écho elle trouve chez les autres. Et si possible, donnez le mode d’emploi pour qu’ils puissent vous copier ».
De nombreuses équipes trouvèrent l’idée brillante, et, en peu de temps, la moitié d’entre elles devint Buurtzog+ (c’est-à-dire « Buurtzog + prévention »). Personne n’avait décidé que Buurtzorg se lancerait dans la prévention. C’est la dynamique interne de l’entreprise qui l’a conduite dans cette direction. (…) L’innovation ne résulte pas d’une initiative centralisée, planifiée, mais d’une adaptation permanente aux marges : un organisme capte un changement dans l’environnement et y cherche une réponse. »
Les collaborateurs sur le terrain sont souvent les plus susceptibles de percevoir les signaux faibles, par exemple de besoins non couverts. Pourtant, ces collaborateurs ne sont pas toujours entendus. Comment votre organisation peut-elle, dans un premier temps, mieux faire remonter les signaux captés aux marges, sans commission ni présentation PowerPoint ? Dans un second temps, comment pouvez-vous encourager la prise d’initiative de ces collaborateurs ?