Eh non, je ne tomberai pas dans le macabre (ni le morbide), ni vous avouerai ma nécrophagie, mais je vous parlerai aujourd’hui d’un jeu collectif inventé en 1925 par les surréalistes et nommé « cadavre exquis ». Il s’agit en fait d’un jeu dans lequel les participants composent une phrase ou un dessin à plusieurs mains sans qu’ils puissent connaître le contenu des collaborations de leurs camarades de jeu. Simple activité ludique au début de son invention, le cadavre exquis est vite devenu pour les surréalistes un divertissement enrichissant. Voici la règle du jeu : chaque joueur inscrit à tour de rôle sur un papier, un tronçon de phrase en suivant l’ordre : sujet/ verbe/complément et sans regarder ce que le précédent y a écrit. Marcel Duhamel, Jacques Prévert et Yves Tanguy furent les premiers à s’y essayer et la première phrase qui résulta de leur amusement fut « Le cadavre – exquis – boira – le vin – nouveau ». Vous comprenez maintenant pourquoi, le jeu littéraire porte ce nom !
Plusieurs autres grands noms de la littérature et des arts participèrent à ce jeu où le concept d’inconscient cher aux surréalistes avait un grand rôle. Citons entre autres parmi les joueurs ; Pierre Reverdy, André Breton, Max Ernst, Frida Kahlo, Max Morise, Joan Miró, Man Ray, René Char, Paul Éluard, et Robert Desnos. Certains romans policiers se sont inspirés de ce jeu en faisant écrire à plusieurs auteurs les différents chapitres. Ceux-ci rédigent un chapitre sans connaitre les causes et les conclusions d’une affaire. Ils se retrouvent dans la situation d’une enquête réelle. « L’Amiral flottant » (The Floating Admiral, 1931) est l’œuvre de douze auteurs ; G. K. Chesterton fut chargé d’écrire le premier chapitre et suivirent V. L. Whitechurch, G. D. H. et Margaret Cole, Henry Wade, Agatha Christie, John Rode, Milward Kennedy, Freeman Wills Crofts, Edgar Jepson, Clemence Dane. C’est Anthony Berkeley qui fut chargé de conclure l’enquête sur la mort de l’amiral Pennistone.
Appliqué dans le domaine du dessin, le cadavre exquis a pour objectif de réaliser un tableau à plusieurs sur le même support. Le premier dessinateur trace les premiers traits ans que les autres ne l’observent, puis il replie la feuille en ne laissant dépasser qu’une toute petite partie du dessin, et passe au suivant. Quand tous les participants ont fait leur dessin, l’œuvre est dévoilée !