L'an dernier les Faux British avaient fait sensation avec leurs costumes. Julie Depardieu avait enchanté les photographes en brandissant une poule, une vraie. Et beaucoup de vedettes avaient excité les photographes des magazines.
L'ambiance était digne, les remerciements souvent conventionnels peut-être parce qu'il y eu moins de lauréats que les années précédentes. Il est certain qu'au bout du 5ème Molière on a déjà tout dit.
Et pus les intermittents, pour une fois, ne sont pas montés sur scène pour faire diversion. Il y eut bien ce soir quelques pas de danse des Sea girls décidées à jouer les Pom Pom Girls de service, mais il est serait excessif de relater qu'Emmanuelle Devos a enflammé le photo call. Elle aura davantage de succès tout à l'heure en imperméable, portant des sacs (de marque) à bout de bras.
D'ailleurs à en juger par le nombre réduit de robes longues il n'y eut guère qu'Isabelle Huppert pour être la reine de la soirée. Et on peut dire qu'elle aura mis le temps pour obtenir la statuette !
C'est sans doute un travers professionnel que j'ai gardé de l'époque où je travaillais dans les statistiques mais j'aime me livrer à quelques calculs. Figurez-vous que l'actrice a été nominée 7 fois entre 1989 et 2016 et que jamais elle ne fut récompensée. En 1989 pour Un mois à la campagne, 1994 Orlando, 1995 pour la même pièce, 2001 Médée, 2005 Hedda Gabler, 2014 pour Les Fausses confidences, et encore en 2016 pour Phèdre(s) dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski à l'Odéon.Même lorsqu'elle ne figurait pas dans les moliérisables son nom était cité dès les premières minutes de la soirée ... Je me souviens d'une soirée où Nicolas Bedos qui officiait (déjà) lançait la cérémonie en demandant d'applaudir l'impériale photo d'Isabelle Huppert, lui prédisant le Molière de la meilleure actrice pour son rôle à l'Odéon dans les Fausses confidences, et dans la foulée (je le cite encore) elle gagnera deux Molières d'Honneur, celui de la révélation féminine ET masculine, et Anne Hidalgo rebaptisera les Champs Elysées Boulevard Isabelle Huppert.
Valérie Dreville obtint cette année-là la statuette pour son rôle dans les Revenants. Par contre ... c'est bien Isabelle Huppert qui revient ce soir et qui cette fois est assurée du Molière puisqu'il sera d'honneur. Comme quoi l'obstination paie. Preuve qu'il faut considérer l'échec comme une réussite ... différée. Malgré le talent dont elle fait preuve au théâtre comme au cinéma cette décision est malgré tout ... étonnante.
Si on applique ce même principe égalitairement aux autres comédiens, x fois nominés et autant de fois déçus il va falloir consacrer une cérémonie entière à la remise des trophées honorifiques.
Cette même année 2015, Alexis Michalik était nominé deux fois dans la même soirée. Comme meilleur auteur francophone vivant et meilleur metteur en scène de Théâtre privé pour le Porteur d'histoire, et pour le Cercle des Illusionnistes. Double réussi.
Ce soir ce seront 5 statuettes qu'il obtiendra. Si on les additionne aux 3 des Damnés et aux 2 des Femmes Savantes, on constate que seulement 3 spectacles truste la moitié des récompenses. (11 spectacles différents honorés cette année contre 17 l'an dernier)
Outre le fait que ce sont trois grands succès (qui d'une certaine façon n'ont pas "besoin" de plus de reconnaissance) on peut regretter que l'Académie des Molières ait comme des oeillères. La création théâtrale est bien autre chose que limitée à une poignée d'heureux élus, quasiment toujours les mêmes.
Il me semble urgent qu'elle réfléchisse à un rafraichissement de sa formule qui permette de débusquer les talents de demain, aussi bien du coté des auteurs, que de la mise en scène et des interprètes. Au rythme où c'est parti vous imaginez combien de statuettes Alexis Michalik va engranger dans les quarante prochaines années ? Sans du tout remettre son talent en question (j'ai adoré sa dernière création, Intra Muros que beaucoup ont d'ailleurs vilipendé).
Pour clore cette analyse globale et au risque de choquer il faudrait que l'Académie des Molières fasse surtout en sorte que les choix de pièces et les votes soient faits par des personnes qui vont réellement au théâtre. je garde mes contremarques et je vous parie la quantité de champagne que vous voulez, de la marque que vous voulez que très peu de jurés pourraient en produire autant que moi, par exemple, qui ne suit pas du sérail.
Quand je discute avec des comédiens je suis effarée de leur peu de connaissance de ce qui se passe au théâtre. Ils y vont peu, soit parce qu'ils jouent et qu'ils n'ont donc pas la disponibilité, soit parce qu'ils ont leurs habitudes et ne se risquent pas dans les lieux où ils ne sont pas eux-mêmes connus. Il y a certes des exceptions, mais elles sont par nature ... rares. On vote plus par sympathie pour les copains que par conviction. Cela se sent au moment des remises des statuettes d'ailleurs.
Il n'empêche qu'on est heureux que cette soirée consacrée au théâtre soit de nouveau régulière, et retransmise sur France 2, même en seconde partie de soirée ... après cette année Fleur de cactus qui d'ailleurs a été évincée l'an dernier des trois trophées de meilleure comédie, metteur en scène, et meilleur comédien. J'ai vérifié : Michel Fau, multi nominé, n'a jamais reçu de statuette (c'était Catherine Frot comme meilleure comédienne). Une nouvelle fois l'échec annonce une future réussite.
On comprend encore moins cette programmation alors qu'il y avait de formidables spectacles dans la sélection de l'an dernier, comme Maligne ou Amok, qui auraient constitués un début de soirée remarquable.
J'espère de tout coeur que France 2, appliquera néanmoins le même principe l'an prochain en programmant Ensemble du si talentueux auteur contemporain (et acteur, et metteur en scène) Fabio Marra en début de soirée puisque Catherine Arditi y décroche la palme de Meilleure comédienne de théâtre privé. On prend le pari ?
En tout cas la soirée n'a pas manqué d'émotion puisque c'est Pierre Arditi qui remis le trophée à sa soeur alors que lui-même, nominé, n'en reçut pas. L'actrice dont c'est le second Molière de sa carrière a dédié celui-ci à son fils dont c'est l'anniversaire ce soir. Elle a surtout remercié Fabio Marra de lui avoir donné un si beau rôle. Ce sera un nouveau succès en Avignon cet été.
Ne votez pas pour Michalik ! lance Nicolas Bedos avec le nez de Cyrano. Après un an de pause, l'humoriste revient avec son humour grinçant en tant que maitre de cérémonie, rôle où il excelle en parvenant à dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas et sans jamais vexer. Chapeau ! Tenir plus de 2 heures sans jamais être ridicule n'est pas donné à tout le monde. Et commencer par de (faux) meilleurs échecs de la saison, il faut oser ...
Je ne vais pas vous donner le palmarès dans l'ordre de remise; il me semble plus judicieux de le faire en regroupant les récompenses. Ce sera plus vite fait.
Je commencerai par un Molière cher à mon coeur, celui du jeune public car ce sont les spectateurs de demain. Il a été remis par des enfants, Vladimir et Chiara. C'est
le très beau et fabuleusement onirique Dormir 100 ans de Pauline Bureau qui l'a reçu . il m'avait enchantée au Paris Villette et il va être en tournée toute l'année prochaine. Et je signale que la jeune femme a aussi cet hiver signé la remarquable mise en scène de Mon coeur sur le scandale du Mediator ... qui aurait grandement mérité un Molière d'auteur car à la différence d'Alexis Michalik qui a reconnu Pauline a tout écrit.L'humour est essentiel. Deux copains, partageant le même producteur, étaient en compétition : Gaspard Proust, que j'avais vu à Fontenay-aux-Roses et Vincent Dedienne qui est à l'affiche au théâtre de l'Atelier du 13 au 17 juin.Vincent a fait un discours sensible en hommage à ses parents adoptifs qui lui ont donné la possibilité d'aimer la vie et à son deuxième papa et metteur en scène François Rollin.
Molière du Seul(e) en scène pour Emmanuel Noblet dans Réparer les vivants; je ne peux rien dire, ayant vu la pièce dans une autre mise en scène. Les comédiennes et humoristes Camille Cottin et Camille Chamoux (nominées dans cette même catégorie) avaient eu un rôle de consolation en interprétant le sketch des actrices âgées, à croire que les résultats sont connus d'avance et que la soirée est bâtie en conséquence. On pourra dire que c'est "pratique" d'utiliser les nominés pour assurer le show puisque de toute façon ils sont sur place. Comme plus tard Isabelle Carré qui assurera un très bel intermède, lui valant de forts applaudissements.
Anna Cervinka Molière de la Révélation féminine pour Les Enfants du Silence de Mark Medoff mise en scène Anne-Marie Étienne / Théâtre du Vieux Colombier - Comédie-Française.
On pouvait attendre comme Molière du comédien dans un spectacle du Théâtre public Patrick Catalifo pour sa prestation dans Timon d'Athènes au Théâtre de la Tempête, ou Denis Podalydès pour Les Damnés. Nicolas Bedos avait anticipé en rédigeant un faux discours de remerciement. Comme le dit Stéphane Hillel dans le catalogue, le plus important d'est d'être dans les nominations ... ce que me confirmera Pierre Notte, pas malheureux de ne pas monter sur le podium alors qu'il aura conçu trois pièces cette année.
Ce fut Philippe Caubère, couronnépour Le Bac 68 et qui a tenu à exprimer sa colère de ne pas voir Une chambre en Inde, le spectacle d’Ariane Mnouchkine, (dont on se souvient qu'il appartint à sa troupe) parmi les nominés, pour une idiote histoire de fiche de renseignement non reçue.
Le spectacle musical qui a eu la faveur des votes est Ivo Livi ou le destin d'Yves Montand et le Théâtre Tristan Bernard devra bientôt agrandir ses vitrines pour contenir les trophées. La déception des Sea Girls faisait peine à voir.
James Thierrée a rendu hommage à sa nouvelle équipe pour les deux Molières, du meilleur spectacle de théâtre public ET comme meilleur metteur en scène d'un spectacle de théâtre public (pour lequel j'aurais donné comme favori Karamazov d'après Dostoïevski, dans la mise en scène de Jean Bellorini au TGP de Saint-Denis, mais ce jeune metteur en scène ne peut pas gagner un Molière pour chacune de ses créations ... ni comme Joël Pommerat ... un an sur deux). évidemment le double prix est cohérent mais n'apporte rien .. au public en tout cas.
James Thierrée revient au Rond-Point à partir du 21 juin avec le Cirque invisible.
Pour preuve que la guerre entre public et privé étaient éteinte, le livret-programme avait tout bonnement oublié ces deux récompenses. Si le public fut accordé le premier, en toute logique on garda le Molière du théâtre privé pour la fin. Quant à Bigre (Molière de la Comédie) Pierre Guillois a eu raison d'insister, sur ce spectacle de la catastrophe, né dans le public (théâtre du Rond-Point) et joué finalement dans le privé (théâtre Tristan Bernard). Il a demandé à Françoise Nyssen, la nouvelle ministre de la culture de créer un théâtre national qui serait dédié à la comédie contemporaine.
Personne ne s'est interrogé sur le nom que cette Comédie pourrait adopter... Française peut-être ?
Et ce fut, sans aucun suspense Alexis Michalak qui ouvrit encore les bras pour le recevoir. Edmond était en compétition avec Bigre (qui avait eu comme consolation le Molière de la Comédie, et de deux donc ce soir pour Tristan Bernard), et avec les Femmes savantes mises en scène par Catherine Hiégel (dont la pièce aura tout de même deux autres récompenses) : Molière de la Comédienne dans un second rôle pour Evelyne Buyle et Molière du Comédien de théâtre privé pour Jean-Pierre Bacri. A juste titre Catherine remerciera le public d'avoir bravé le plan Vigipirate pour venir au théâtre. Alors que Francis Perrin décerne à Molière un trophée symbolique pour les Femmes savantes, dans son spectacle Molière malgré moi, il était logique que Catherine Hiegel soit elle aussi récompensée, même de façon indirecte. La pièce a toujours du potentiel.
Aucun trophée pour La garçonnière, nominé dans plusieurs catégories dont la beauté et la fonctionnalité du décor aurait au moins mérité d'être salué. Ni pour Silence on tourne ! dont l'équipe a anticipé la déception en se faisant photographier au grand complet avant la cérémonie.
Edmond, grand gagnant avec 5 statuettes à seulement 34 ans : Pierre Forest, Molière du second rôle (ci-dessus), Guillaume Sentou, Molière de la Révélation masculine (je cherchais le rôle de ma vie et je l'ai eu dit-il avec émotion), et Alexis Michalik personnellement comme meilleur spectacle privé, metteur en scène d'un spectacle de théâtre privé et auteur francophone vivant (ce qui est quasiment un comble comme il le fera lui-même remarquer avec gêne, en tenant à le partager avec Rostand, qui est le meilleur auteur francophone non vivant) même si on reconnaitra qu'il a su donner un souffle magistral à cette oeuvre romantique ... Bizarre qu'il n'ait pas eu aussi celui de la Comédie et de la Création visuelle car la pièce était nominée dans 7 catégories, soit un tiers du palmarès.
En tout cas il a raison de se réjouir que les rêves peuvent se réaliser puisqu'il avait fait le pari, alors très audacieux il y a dix ans de raconter cette aventure au cinéma avant d'opter pour le théâtre, bien lui en a pris. Voir tous les comédiens radieux sur la scène à la fin de la cérémonie était réjouissant.
334 ans après la mort de Molière, le théâtre démontre qu'il est toujours bien vivant disait Isabelle Adjani tout en s'interrogeant sur le sens de la récompense : un Molière d'honneur tire vers le passé alors que moi je suis tournée vers l'avenir. Au-delà de l'anecdote il faut entendre cette remarque et souhaiter que l'an prochain la cérémonie nous donne davantage d'aller découvrir des pièces qu'on a loupées plutôt que d'être confronté dans des certitudes de succès courus d'avance.
Bref, encore du pain sur les planches pour le Président du Conseil d'administration des Molières, Jean-Marc Dumontet qui, toujours à l'écoute, est venu faire un petit tour dans les coulisses avant le lever de rideau.
Souhaitons que se vérifie l'an prochain sa déclaration d'ouverture : ce soir nous ne récompensons pas quelques-uns mais nous célébrons le théâtre (... en encourageant) la création sous toutes ses formes. D'ailleurs tout le monde semble d'accord puisque Delphine Ernotte Cunci, PDG de France Télévisions veut montrer de la richesse et de la diversité de la création théâtrale en France. Et Pascal Rogard, directeur général de la SACD, promet de faire souffler un vent nouveau.
On a parfois l'impression que les discours sont écrits en dehors du contexte, donnant raison à Jouvet qui écrivait qu’au théâtre tout le monde ment sauf le texte.
On gardera de la soirée le souvenir d'un dernier moment de tendresse quand Fanny Ardant en pyjama de soie vient chanter avec Nicolas Bedos que nous nous reverrons un jour ou l'autre.