Magazine Culture

(Anthologie permanente) en hommage à Joseph-Julien Guglielmi

Par Florence Trocmé

Guglielmi 2 petitePoezibao rappelle la disparition, ce 21 juin, du poète Joseph Julien Guglielmi.
Et remercie Christian Tarting qui a choisi dans sa bibliothèque ces poèmes pour rendre hommage au poète. Poezibao rappelle qu’une réunion se tiendra demain vendredi 30 juin à 15h30 à la Coupole du cimetière du Père Lachaise à Paris.  Entrée située au 71 rue des Rondeaux 75020 Paris.

wu
Vous regardez le monde… C’est un arbre dans le soleil, la ville luisante de pluie, des silhouettes, des ombres qui passent… des images, des bruits…
Vous vous mettez à écrire… Comme un vertige, alors, vous saisit devant la page blanche… En effet, les mots ne sont pas les choses et les lignes de la poésie déforment l’impression première... Que vous le vouliez ou non, dans la mise en mots, le monde change.
Ce qui a été tenté ici, c’est de montrer ce passage de l’impression à l’expression. Et pourquoi la référence chinoise ? Parce que dans cette langue, depuis toujours, les poètes, à partir d’une vue directe du réel, à partir de constatations immédiates, opèrent comme un renversement. Les images, les sentiments les plus simples, les plus élémentaires y sont toujours à l’origine du poème. Ici, ce sont les oiseaux qui ont quitté la montagne, là, les blancs nuages qui s’enfuient infiniment, ailleurs, c’est un bateau qui vogue vers une île… la brume du matin…
Mais il y a toujours quelque chose qui survient dans le cours du poème et le sauve de la banalité, le détourne de la plate reproduction. Quelque chose comme un sentiment d’éveil à une autre dimension de l’écrit, comme l’apparition d’un signe plus fort, parfois même insolite : la lune est suspendue comme une épingle à cheveux, lit-on, par exemple, dans un morceau du xe siècle !
Ce qui est tenté ici, c’est de montrer cette rupture dans le langage, cet éveil (wu) à une autre forme expressive à partir du quotidien, cette brisure du sceau du familier dont parle Bertolt Brecht…
Le livre double en ses lignes brisées ne renferme rien que le surgissement de cette différence avec la langue de tous les jours, cette différence se joue, peut-être, la poésie ?
*
   matin
   ou crépuscule
   et  l’arbre  à  plumes
   illuminé
*
c’est  blanc
et  vide
   avec
   un  écueil
   blanc
*
   vent
   léger
à  dos  d’oiseau ;
   sa  forme
dans  le  contour
   des  branches
*
le  voyage
   est  ici
au  bas  de  la  page
   transparent
*
   le  profil
du  je
   innombrable
Joseph-Julien Guglielmi, L’Éveil (“Wu suivi de Lignes ”), Paris, Les Éditeurs français réunis, coll. “Petite Sirène”, 1977, pp. 9-10, 13, 14, 20, 23, 31.
Guglielmi 3 petite***

winter dance
avec ce soleil est comme du sel
je n’écris que ce que je ressens
en vérité ce que je lis :
toute célébration est destruction
ou prairie mentale
ô !
Là où la montagne du ciel
commence toujours plus
loin et couve-la de feuilles
et que j’en sois heureux moi
signe vertical verbeux et la plage
bleue bleue déserte bleue
avec le rire peut-être du jour
*
Chemin d’hiver
l’amour a les mêmes lèvres
Portail différent
Bondissent sans un mot
avec le fard des yeux
la force d’une syllabe
la peau et le froid
et que c’est le printemps, l’avant
sommeil que c’en est terrible
comme la maladie ou vie
les plaies ouvertes
Souvenez-vous, nous écrivons
de par l’image du fleuve
l’eau comme draps
ou femme seule son ombre bougée
Joseph-Julien Guglielmi, Winter Dance, Paris, Portail, 1984, n. p.
Jo Guglielmi ph. famille***
das, la mort

Poids sauvage du souvenir
à vous qui attendez sur votre
ventre ce hiver de viande,
cet hiver la viande sera
bleue la mer et grecque la
l’île, parole croisée sur
Le feu, la clef dont les pleurs,
ainsi les foules attendent
L’hiver, l’hiver limonaire
la découpe versillante
où il n’y a plus de maison,
Légère, basse à la nuit.
L’humide saison des plantes,
l’ignorant one so nice song
Tantôt rouge et tantôt verte
Che un’anima malviva
stessa nel suo diapason,
Trouve modus moriendi,
Au point où tu abandonnes
cet astre fait pour mémoire
Une écaille indifférente,
sauf une parole incante.
Comme d’un trait noir debout
et cela ne pense pas.
Giroux : un LIEU est ici
ici et je ne suis pas là :
Je ne parle pas je parle.
Oublier toute naissance
le
   vers maintient LA DÉCHIRURE
oui la maison au fur du ciel,
Dehors, les murs imités
que ce fut l’œuvre du hasard
du poëte-procuration
du poëte-délégation
La procura, la delega
celui qui n’a jamais choisi ;
Never choisi entre deux vies.
Choisi le rythme avant la phrase,
le silence et la solitude,
L’écoute longtemps sans répondre.
Sucer le son avant le mot,
Jamais de plan
   écrire avant
de mettre à nu le modèleux,
accueillir les répétitions.
Und la trouvaille ist poésie,
Acrobatie de la syllepse,
poésie
   naît de l’hypallage
comme d’
   une larme nubienne
*
Sans parler d’identité
ô ciel fenêtre de plâtre,
Tu sembles venir du monde
que j’ai doucement rêvé.
Un matin de ruines joie,
Rose tuerait ses pétales
allumée par la distance,
la noire forêt des mots
laisse passer sa lumière
*
Un dimanche et en octobre,
son désespoir confortable,
la bouche avec le prépuce,
hiatus ou trou de mémoire,
repos sur le dos de cochon
mangeant la jambe-culotte
She is laying on piggy back
knickerleg like money spiders :
citizen suçant la chance,
à voix basse jour et nuit :
Das, Mort au pied d’écriture,
la bale que chasse le vent
*
Déjà, vivre est une mort
Et la mort une autre vie
Joseph-Julien Guglielmi, Das, la mort, Marseille, Parenthèses, coll “Chemin de ronde”, 1987, pp. 11-12, 24, 61, 62.
***

the arrows of desire

Et toi
beauté bariolée
pied beauty
tu suivras
la poitrine nue
le dernier frisson d’un
Hopkins
ou la démesure hantée d’un
Blake
l’enchanteur
au trou de bête bariolé
Et
sois adorée
parmi les hommes
sois adorée
*
mort
inachevée
filling the brain
par
les espaces trompeurs et abstraits
quand la mythologie
multipliée
pliée par le désir
s’effondre
rassemble
la mémoire
la déploie
ce qui
fait
le poème
pour découvrir vos membres
ainsi que les images
n’ont pas besoin
de lumière
car
elles sont
lumière
*
Ici où le silence
s’associe au plaisir
silence sky
on whose deep nakedness
death most believes
perpetual lovers marching to love
whose
bodies
kiss us
with the act
of life
“rien n’est inter   dit”
pensait-il
“rien n’est vrai”
Sperme fait
chair
dans
la suite
inco
hérente
fait mémoire
ôtant
le souvenir
au souvenir
Joseph-Julien Guglielmi, The Arrows of Desire, Gérardmer, coll."Voix de chants", Æncrages & Co, 2004, n. p. (Dessins de Robert Groborne.)
Photos ©François Figlarz, transmises à Poezibao par la famille de Joseph-Julien Guglielmi.
Choix des textes Christian Tarting.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines