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Jean-Paul Douliot (1788-1834), compagnon passant tailleur de pierre, professeur d’architecture et auteur du Cours élémentaire, pratique et théorique de construction.

Par Jean-Michel Mathonière

Texte non intégral de ma communication présentée lors du 2 e Congrès francophone d'histoire de la construction, Lyon, 29-30-31 janvier 2014, et publiée intégralement in Les temps de la construction. Processus, acteurs, matériaux, éditions Picard, 2016. Se reporter à l'édition papier pour les notes, les illustrations et la bibliographie détaillée des publications de J.-P. Douliot.

Jean-Paul Douliot (1788-1834), compagnon passant tailleur de pierre, professeur d’architecture et auteur du Cours élémentaire, pratique et théorique de construction.
Durant tout le Moyen Âge, " l'architecte " a généralement été le premier d'entre les tailleurs de pierre que son expérience avait amené à s'occuper de la conception de l'édifice et de la gestion du chantier. Au XVI e siècle encore, Philibert Delorme fait ses armes en travaillant sur les chantiers entrepris par son père, s'intéressant tout particulièrement à la stéréotomie. Si la fondation en 1671 de l'Académie royale d'architecture de Paris contribue à donner un fondement théorique et artistique à la profession d'architecte, c'est un phénomène parisien qui peine quelque peu à gagner la province, ancrée dans les traditions constructives des maîtres maçons, et il faut attendre le début du XIX e siècle pour voir la formation radicalement s'évader de cet enracinement dans l'exercice d'un métier manuel.

Parmi les vecteurs de cette transition, il n'y a pas seulement des théoriciens et des artistes : il y a encore des artisans soucieux d'une meilleure connaissance théorique et rationnelle de leurs métiers, élèves puis professeurs dans les nombreuses écoles mises en place tout au long des XVIII e et XIX e siècles pour améliorer les connaissances du monde ouvrier grâce à l'apprentissage du dessin (Lahalle, 2006 ; d'Enfert, 2003), ainsi que dans les écoles des Beaux-Arts, des Arts et Métiers, etc. Le cas le plus exemplaire reste celui de l'École royale gratuite de dessin qui, dès 1766, avait amorcé ce mouvement d'enseignement démocratique en offrant chaque jour à plusieurs centaines d'élèves, grâce à des cours également ouverts le soir, un enseignement de qualité (Leben, 2004).

Nous nous intéresserons ici à l'un de ces personnages charnières entre le monde traditionnel des artisans du bâtiment et le monde nouveau des ingénieurs et architectes, élève de cette École royale gratuite de dessin avant d'en devenir l'un des enseignants : Jean-Paul Douliot, compagnon passant tailleur de pierre, puis professeur d'architecture et théoricien.

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L'origine avignonnaise

Il est né le 23 février 1788 à Avignon, cité de pierre où s'était brillamment exprimée aux XVII e et XVIII e siècles la fascination des Franque et autres maîtres maçons et architectes locaux pour la stéréotomie. Son père, Pierre Douliot, était tailleur de pierre et entrepreneur en bâtiment, probablement lui aussi compagnon du Devoir. Le grand-père paternel était également tailleur de pierre. La consonance du nom de famille laisse à penser que leur origine était italienne.

Après une carrière parisienne, Jean-Paul Douliot revint mourir à Avignon, épuisé par le travail, âgé de 46 ans seulement, le 8 novembre 1834. Sa tombe indique qu'il était " professeur d'architecture et de construction à l'école de dessin de Paris ". Sur les côtés de ce petit monument érigé grâce à une souscription lancée auprès des Avignonnais, on trouve la liste de ses principales publications, selon des intitulés approximatifs : " Leçons de mathématiques ", " Traité de coupe des pierres ", " Traité de charpente ", " Stabilité des édifices ".

On connaît les grandes lignes de sa formation par l'évocation qu'en fait le directeur de l'École royale gratuite de dessin, le peintre Jean-Hilaire Belloc (1787-1866), dans un discours qui dresse un élogieux portrait de celui qu'il s'honore manifestement de compter non seulement parmi les excellents professeurs de l'école, mais aussi parmi ses amis. Ce portrait - qui fait pendant à une œuvre picturale anonyme que je lui attribuerai volontiers (fig. 1) -, est saisissant de vie et d'humanité : " Un jour, un appareilleur, praticien ingénieux, passa devant l'école, et entra dans la classe de mathématiques. Élevé dans les chantiers de construction que dirigeait son père, il avait, tout enfant, manié l'équerre et le marteau. Les compagnons l'appelaient la Pensée. Orphelin à quinze ans, employé bien jeune encore aux travaux de maçonnerie du Louvre, il venait prendre sa part des savantes leçons de l'excellent professeur Lavit : il venait demander à la science l'explication raisonnée des opérations qu'il faisait chaque jour. Il avait eu cette première éducation pratique que rien ne remplace, mais son esprit méditatif et profond éprouvait le besoin d'aller au-delà. Il entrevoyait déjà la possibilité de formuler en principes clairs et lucides, appuyés sur des calculs mathématiques, sur des dessins ingénieux, tout ce qu'avaient fait ses mains. Chargé par M. Caristie, ingénieur des ponts et chaussées, de conduire les travaux du pont d'Aigues, employé plus tard comme appareilleur par M. Hurtault, il travaillait à la construction du pont d'Iéna, et d'un des plus beaux hôtels de la rue de la Paix, alors même qu'il suivait les cours d'architecture et de mathématiques de l'école royale. Le soir, après de laborieuses journées, il prolongeait ses veilles, et consacrait une partie de ses nuits à de sévères et consciencieuses études. [...] "

Quelques sources documentaires permettent d'un peu cerner les années précédant l'installation à Paris. Il est toujours très difficile d'accéder aux archives compagnonniques, encore souvent tenues secrètes, mais, dans le cas des compagnons passants tailleurs de pierre d'Avignon, nous avons la chance exceptionnelle de disposer de deux importants fonds documentaires appartenant à des archives publiques (Bastard et Mathonière, 1996, p. 12-16).

Compagnonnage et Tour de France

Malgré leur richesse, ces fonds restent néanmoins lacunaires. Ainsi, la période durant laquelle Douliot a fréquenté, puis est entré chez les compagnons passants tailleurs de pierre, n'est pas couverte de manière continue et précise. Le registre des assemblés, tenu de manière chaotique, comporte le nom compagnonnique des membres présents aux assemblées mensuelles des années 1808, 1809 et, partiellement, 1810. Les années suivantes sont manquantes jusqu'en 1819. Un élément infirme la présence du jeune Jean-Paul en tant que compagnon reçu à ces dates : il y a en effet, présents dans ces listes, deux compagnons avignonnais portant le même nom compagnonnique que celui qu'il portera plus tard, " La Pensée d'Avignon ", et, de ce fait, séance après séance, le secrétaire a, exceptionnellement, ajouté leurs noms d'état civil afin de les distinguer - et aucun des deux ne se nomme Douliot (fig. 2).

Cette absence ne signifie pas pour autant qu'il n'est pas déjà en relation avec les Devoirants. Il existe en effet un état antérieur à celui de compagnon, celui d'aspirant, mais il ne faisait alors l'objet d'aucun statut justifiant d'en tenir une liste dans le registre des compagnons. Conformément aux usages compagnonniques des tailleurs de pierre, on doit faire l'hypothèse que le jeune Douliot était en rapport régulier avec eux depuis sa jeunesse, avant même le décès de son père.

On ignore aussi s'il a accompli ou non un Tour de France avant la date à laquelle il viendra s'installer à Paris, fin 1813. En effet, contrairement à une idée reçue, ce voyage n'était pas, à cette date, le préalable indispensable à l'obtention du titre de compagnon : sous l'Ancien Régime, c'était l'entrée dans le Devoir qui permettait à l'artisan souhaitant " voyager la France " de bénéficier du réseau de solidarité fraternelle. L'état d'aspirant ne durait que quelques semaines ; ce n'est qu'à partir du début du XIX e siècle qu'il tendra à se rallonger, jusqu'à atteindre plusieurs années et devenir un statut à part entière.

En admettant qu'il n'ait pas accompli un Tour de France auparavant, il est probable que Douliot aura été reçu compagnon du Devoir à Avignon avant son départ pour Paris, courant 1813, à l'âge de 25 ans, après les travaux sur le pont d'Orange. Au plus tard, il aura été reçu à Paris peu après son arrivée. On trouve en effet " La Pensée d'Avignon " sur le Rôle de Paris à une date non précisée mais que, grâce aux autres noms de compagnons qui l'entourent, on peut situer vers le milieu des années 1810, l'usage étant de signer le Rôle soit lors de son arrivée dans la ville, en tant que Compagnon déjà reçu, soit au moment de sa réception.

Ce qui est certain, c'est que chez les tailleurs de pierre d'alors, l'accès au rang de compagnon du Devoir ne passait pas par la réalisation d'un " chef-d'œuvre ", mais par la présentation d'une ou plusieurs pièces de " trait ", c'est-à-dire d'épures de stéréotomie, ou encore de dessins d'architecture, par exemple le projet d'un bâtiment ou de l'une de ses parties remarquables (Bastard et Mathonière, 1996).

Ce qu'il est important de retenir de cette affiliation au compagnonnage, c'est que c'est dans ce cadre que Douliot a acquis les bases du savoir stéréotomique et constructif.

La carrière professionnelle

Les premières années parisiennes

Revenons à cette expérience du chantier. Belloc commet une erreur lorsqu'il rapporte que Douliot travailla à des travaux de maçonnerie au Louvre. Comme il l'évoque en même temps que les travaux d'un hôtel particulier rue de la Paix sous la direction de l'architecte Hurtault (1765-1824), je pense que l'on peut déduire des quelques lignes de recommandation que ce dernier porta sur une demande de place (fig. 3), par Douliot, d'inspecteur des travaux de la ville de Paris, le 26 mai 1823, que Belloc a commis une confusion entre le Louvre et le château de Fontainebleau : " M. Douliot a travaillé pendant 6 années sous ma direction, au château de Fontainebleau, en qualité d'appareilleur, il a suivi des travaux de restauration de voûtes qui présentaient beaucoup de difficultés stéréotomiques qu'il a vaincus de la manière la plus satisfaisante ; sa conduite a toujours été honorable, & je le crois sous tous les rapports, bien capable de remplir l'emploi qu'il sollicite de Monsieur le Directeur des travaux de Paris [...] "

Au demeurant, Douliot lui-même résume ainsi sa carrière dans un autre courrier de candidature qu'il adresse en décembre 1823 au Vicomte Héricart de Thury, directeur général des travaux de Paris : " J'ai été chargé par le Gouvernement de plusieurs travaux, notamment dans le département de Vaucluse, & au Château Royal de Fontainebleau. "

Ces six années de travaux sous la direction de Hurtault doivent correspondre aux années 1814-1819, les deux dernières années coïncidant avec le moment où Douliot entra comme professeur à l'École royale gratuite de Dessin.

D'après Belloc, Douliot avait commencé par fréquenter les cours du soir de mathématiques, donnés par Jean-Baptiste Omer Lavit (1771-1836). Comme le suggère son nom " La Pensée ", sa curiosité intellectuelle le poussait à fréquenter ces cours du soir. C'est au demeurant là une attitude cultivée chez les compagnons d'alors, ainsi qu'en témoigne, une dizaine d'années plus tard, cet autre célèbre avignonnais, Agricol Perdiguier, qui, ainsi qu'il le rapporte dans ses Mémoires d'un Compagnon, ne rate jamais une occasion durant son Tour de France d'approfondir ses connaissances en matière de " trait ".

Douliot professeur de coupe des pierres, de charpente et d'architecture.

Douliot est engagé comme professeur de coupe des pierres à l'École royale gratuite de Dessin en avril 1818, en remplacement de l'architecte Jacques Étienne Thierry. Il donne tout d'abord des cours du soir pour cette seule discipline, débordant peu à peu sur la charpente, la construction et l'architecture proprement dite. Ce n'est qu'en 1823 qu'il devient officiellement titulaire de la chaire d'architecture. Renaud d'Enfert résume ainsi son apport à l'École royale de dessin : " Depuis l'origine, la formation architecturale dispensée à l'École accorde une place importante à l'étude des ordres d'architecture, même si les questions relatives à la coupe des pierres ne sont pas négligées. Dès la Restauration cependant, l'évolution des techniques de construction et la volonté de populariser les méthodes graphiques de la géométrie descriptive conduisent à une réévaluation des contenus du cours d'architecture. [...] Douliot opère un premier ajustement au profit de connaissances scientifiques théoriques et des techniques constructives ressortissant au cadre du chantier. Il met en place un cours de construction comprenant, outre la géométrie descriptive et la coupe des pierres et des charpentes, une série de leçons sur la stabilité des édifices ainsi que des notions sur les matériaux et sur les procédés pour les extraire, les préparer et les employer. Décédé prématurément en 1834, Douliot n'a pas le temps de mener à bien l'ensemble de son projet. [...] " (d'Enfert, 2004, p. 95).

Notre Compagnon est un excellent professeur, doté non seulement d'un grand savoir mais aussi d'une profonde humanité, comme en témoigne avec éloquence Belloc : " Cet homme, Messieurs, doué d'un amour si passionné pour la science, d'une modestie si sincère et si profonde qu'elle allait jusqu'à l'abnégation, vous l'avez tous nommé, c'était Jean-Paul Douliot, votre bon, votre cher professeur, votre ami, votre guide, celui dont la mort prématurée nous a tous consterné, dont l'irréparable perte nous plonge dans un deuil de famille. Il y a un an qu'il était là, parmi nous, avec cette attitude calme et grave qui commandait le respect, avec cette physionomie intelligente et douce qui appelait la sympathie. Personne ne savait mieux que lui aplanir les difficultés de l'étude, passer des démonstrations les plus simples aux plus hautes questions de l'art. Toujours préoccupé de l'importance de l'enseignement qui lui était confié, de l'immense utilité qu'il y avait à populariser la connaissance des parties les plus essentielles et malheureusement les plus négligées de l'architecture, il s'était surtout attaché à démonter la théorie de la stabilité des édifices. Son cours de construction, unique à Paris, était une des gloires de notre école, et un de ses plus beaux titres à la reconnaissance publique. "

Dans un courrier adressé en 1845 aux élus avignonnais pour solliciter une aide pécuniaire, sa veuve complète ce portrait sensible : " [...] arrivé aux importantes fonctions de l'enseignement public, il n'oublia jamais qu'il avait été ouvrier comme l'étaient la plupart de ses élèves ; il leur distribua l'instruction non seulement avec cette clarté de démonstration qui caractérise la vraie science, mais encore avec cette patiente sollicitude qu'un père puise dans son cœur. Il aimait à s'environner des Avignonnais qui suivaient ses leçons. Il s'informait de leur position et de leurs besoins, les guidaient par ses sages avis, procuraient du travail à ceux qui en manquaient, et secourait de sa personne et de sa bourse ceux qui se trouvaient malades ou dans l'embarras. "

Ces allusions aux Avignonnais suivant ses cours et au travail qu'il leur procurait, renvoient à cette fraternité dont les compagnons tailleurs de pierre font une règle fondamentale du Devoir.

Cette générosité ne se fondait pas sur la fortune : durant toute sa carrière, Douliot tirera le diable par la queue. De fait, on le voit à partir de 1823 adresser de nombreuses lettres de candidature au Vicomte Héricart de Thury, directeur général des travaux de Paris, afin d'obtenir de lui une place d'inspecteur ou même de sous-inspecteur des travaux de l'église de la Madeleine, ou une quelconque place parisienne à la mesure de ses capacités. Les archives montrent qu'hélas ! les promesses n'engagent que ceux qui y croient, et que, quelque soit l'intérêt qu'avait manifesté le Vicomte à Douliot lors d'une première rencontre, il ne parvint jamais à lui procurer la place tant rêvée qui lui aurait permis de correctement gagner sa vie, tout en poursuivant son activité de professeur.

Le programme intégral du Cours élémentaire, pratique et théorique de construction.

Tout le travail de préparation des cours servira de base à un Cours élémentaire, pratique et théorique de construction.

L'introduction du premier volume, celui consacré aux mathématiques, c'est-à-dire essentiellement à la géométrie, paru en 1826, commence par définir la construction comme étant la " science qui sert de base et de lien à toutes les branches de l'architecture, et [qui] a pour objet la théorie et le perfectionnement des arts qui concourent à l'exécution de toutes les espèces de monumens ". Douliot indique ensuite le programme complet du Cours :

" Nous diviserons cette science [de la construction] en six parties principales : la première, qui servira de hase à toutes les autres, sera purement mathématique, et comprendra 1°. l'Arithmétique, 2°. les élémens d'Algèbre, jusques et y compris les équations des degrés supérieurs, qui se résolvent à la manière de celles du second, et les logarithmes, et 3°. la Géométrie plane et celle à trois dimensions, où il sera traité des courbes et des surfaces du second ordre, ainsi que de la trigonométrie rectiligne.

La seconde partie traitera des lois de l'équilibre et du mouvement, tant des corps solides que des liquides ; de la théorie de la résistance des solides ; des lois de la stabilité, etc.

La troisième aura pour objet toutes les espèces d'ouvrages de charpente, tels que les pans de bois, les planchers, les combles, les voûtes et les escaliers en bois, les échafaudages, les étayemens, les machines pour transporter et élever de grands fardeaux, le pilotage, les ponts, etc.

La quatrième partie traitera de tout ce qui est relatif à la maçonnerie, c'est-à-dire des constructions en terre, en briques, en moëlons, etc. ; quant aux constructions en pierre de taille, nous ne nous en occuperons que sous le rapport de la théorie, attendu que notre Traité spécial de Coupe des pierres renferme tout ce qui peut offrir quelque difficulté sur ce sujet dans la pratique.

La cinquième aura pour objet la Serrurerie de bâtiments, et la Charpente en fer, c'est-à-dire les planchers, les combles, les voûtes et les ponts en fer.

Enfin, la sixième et dernière partie traitera de la Menuiserie de bâtimens, avec tout le détail que ce sujet comporte. "

En réalité, la seconde partie annoncée trouvera partiellement place en quatrième position, seul le volume sur la Théorie de la stabilité des édifices étant publié, inachevé, quelques mois après le décès de Douliot. La troisième partie annoncée, la charpente en bois, sera quant à elle publiée en tant que second volume, tandis que la quatrième partie annoncée occupera pour sa part la troisième place théorique, le Traité spécial sur la coupe des pierres (publié en tout premier en 1825) n'étant pas complété par un traité général sur la maçonnerie. Nous ignorons si Douliot avait ou non commencé à rédiger les deux dernières parties, la menuiserie en bâtiment et la serrurerie (à laquelle il rattache la charpente métallique). En fait, par rapport à l'ambitieux programme initial, seules les mathématiques et la charpente en bois auront donc été traitées en totalité.

De tous ces ouvrages, c'est le Traité spécial de coupe des pierres qui rencontrera le plus grand succès. Il sera traduit et publié en allemand dès 1826. Il faudra toutefois attendre 1847 pour que soit publié une seconde édition française (fig. 4), par les soins du successeur de Douliot à l'École royale de dessin, Jaÿ, puis 1862 pour une troisième et dernière édition (désignée à tort par l'éditeur comme étant la deuxième). Cela reste un classique toujours très apprécié des tailleurs de pierre.

Les autres publications

Le Cours de dessin industriel

Douliot participera également, en compagnie de l'architecte et graveur Charles Normand et de Krafft, architecte spécialisé en charpente, à la réalisation du Cours de dessin industriel à l'usage des écoles élémentaires et des ouvriers, qui connaîtra trois éditions de 1833 à 1857. Douliot commente et signe les planches de géométrie pratique du compas, celles de géométrie descriptive, celles de coupe des pierres et enfin celles de perspective.

Une communication à l'Académie des sciences

Par ailleurs, après avoir rappelé que les volumes composant le Cours de construction, " ont, pour ainsi dire, créé une science qui n'existait pas avant lui, ou qui du moins flottait dans le vague ", Belloc indique qu'en 1833, Douliot " présenta à l'Académie des sciences, sous le titre d'Essai d'une théorie rationnelle sur l'Écoulement des liquides, un mémoire plein d'aperçus neufs et profond. " Cet opuscule a été en 1835 intégré à la Stabilité des édifices.

Ainsi que le rappelle sa veuve en 1846, Douliot " a en outre publié plusieurs Mémoires dans les Revues scientifiques de l'époque et concouru à la rédaction du Recueil industriel, par M. de Moléon. " Je ne suis pas encore parvenu à lister toutes ces contributions plus modestes (voir la bibliographie en annexe). Une importante partie consiste en fait dans les leçons sur la stabilité des édifices, qui formeront après son décès l'ouvrage éponyme et qui ont été publiées mensuellement en 1832 et 1833 par la revue L'Architecte.

C'est dire combien le compagnon tailleur de pierre avait largement dépassé les limites intellectuelles de sa profession première et portait au plus haut les connaissances de sa profession d'architecte et de professeur d'architecture et de construction - discipline à la laquelle, parmi les tout premiers, il apporta de solides fondations.

En conclusion, l'exemple de Douliot incite à réévaluer en profondeur la question du savoir des compagnons tailleurs de pierre à la fin de l'Ancien Régime. Il apparaît en effet que nombre d'entre eux exerçaient la profession d'architecte ou d'ingénieur, et qu'au-delà de leurs grandes connaissances en matière de stéréotomie, leurs préoccupations s'étendaient, en principe si ce n'est en réalité, à toute l'architecture (fig. 5) - selon une perspective qui n'est pas sans évoquer l'architecte idéal selon Vitruve, idée reprise encore au XVI e siècle par Philibert Delorme (Mathonière, 2001, p. 68-71).

Annexe : Bibliographie des travaux publiés par Jean-Paul Douliot

L. Bastard, J.-M. Mathonière, Travail et Honneur. Les compagnons passants tailleurs de pierre en Avignon aux XVIIIe et XIXe siècles, Dieulefit, La Nef de Salomon, 1996.

R. d'Enfert, L'Enseignement du dessin de France. Figure humaine et dessin géométrique (1750-1850), Paris, Belin, 2003.

R. d'Enfert, " De l'École royale gratuite de dessin à l'École nationale des arts décoratifs (1806-1877) ", p. 64-107, Histoire de l'École nationale supérieure des Arts décoratifs 1766-1941, Paris, ENSAD, 2004.

A. Lahalle, Les Écoles de dessin au XVIIIe siècle. Entre arts libéraux et arts mécaniques, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2006.

U. Leben, " La fondation de l'École royale gratuite de dessin de Paris (1767-1815) ", p. 6-63, Histoire de l'École nationale supérieure des Arts décoratifs 1766-1941, Paris, ENSAD, 2004.

J.-M. Mathonière, Le serpent compatissant. Iconographie et symbolique du blason des Compagnons tailleurs de pierre, Dieulefit, La Nef de Salomon, 2001.


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