Mirrors avait attiré mon attention par une de ces bandes-annonces savamment montées, axées sur la brutalité des scènes et la violence de la bande-son ; et puis, Kiefer Sutherland, il faut l'admettre, a acquis chez moi un certain charisme depuis 24 et son excellente - quoique discrète - prestation dans
Je ne connaissais pas cette filiation avec le film coréen. Il faut reconnaître à la production son honnêteté, qui a l'a mentionnée en toutes lettres dans le défilant du générique.
Quant au film, je dirais pour résumer qu'il a plutôt satisfait mon envie d'être secoué. Les films d'horreur récents ont la désagréable habitude de se passer d'une ambiance poisseuse, de thèmes dérangeants pour se concentrer sur des effets tonitruants fondés sur une acuité performante du montage image/son. Ici, on sait qu'on est plus proche de la version moderne de Haunted que de son illustre (et tellement supérieur) ancêtre de Wise. Je suis conscient, avant même que cela ne débute, que je vais moins avoir peur que sursauter. Je joue le jeu, un brin désabusé, mais soucieux d'en avoir pour mon argent (que je n'ai pas dépensé, c'était une façon de parler...). Après tout, sur ce principe, avec un peu de malice et beaucoup de savoir-faire, j'ai pu apprécier Evidemment, j'aimerais tellement qu'à nouveau on me propose quelque chose qui prend aux tripes, qui fiche la trouille, qui instaure le malaise ou instille l'angoisse. Dorothy, sans verser dans l'horrifique, n'était pas très loin de ce que je recherche.
Evidemment, j'ai préféré mettre sous l'éteignoir ma précédente expérience de la Colline a des yeux : si le premier remake était satisfaisant, le second fleurait bon le navet ; gore, certes, mais manquant cruellement de consistance, et incapable d'entretenir la peur.
Ici, Alexandre Aja s'appuie sur un scénario minimal reprenant beaucoup de principes des Freddy : l'intervention plus ou moins directe de forces émanant d' un autre monde, parallèle/adjacent au nôtre. Il m'a fait penser à deux films sur les ombres et les créatures qui les peuplent : un ancien dont je ne connais pas le nom, dont la dernière scène m'avait bien terrifié, et un récent vu sur Canal +. Ici, à la place des ombres, on a affaire à des reflets.
Sacrifiant la cohérence à l'efficacité, l'histoire est menée, il faut le dire, de main de maître par le metteur en scène français. Les décors sont impressionnants (cette bâtisse profondément gothique en plein New-York, dont la façade est constamment montrée en contre-plongée, est une réussite visuelle) et l'utilisation de la bande son est faite avec une certaine intelligence (voire malice). On notera aussi que, pour captiver davantage l'auditoire, Aja s'applique à resserrer l'intrigue sur un petit nombre de personnages : Ben Carson, dur au mal, hargneux mais à la psyché fragilisée (joué par un Sutherland toujours monolithique et appliqué, mais moins convaincant qu'en agent de la CTU), sa sœur et sa femme (interprétées par deux bombes qui nous permettent de gratifier le spectateur mâle de quelques plans où leur plastique éclipse presque la tension), ses enfants.
On sursaute beaucoup même quand on s'y attend, c'est sanglant et parfois violent. J'avoue m'être fait piéger avec délice par des séquences honteusement téléphonées : le jeu avec l'attente du spectateur est ici constant, Aja sait qu'il ne fait pas dans la dentelle et appuie là où ça fera forcément réagir. Il est vrai que, très vite, la moindre présence d'une zone réfléchissante (miroir, bien sûr, et autres rétroviseurs, mais aussi la surface d'une eau claire, celle d'un meuble métallique) suscite l'appréhension : le danger est permanent, l'horreur frappera, venant de partout, quand le reflet cessera d'être le double inversé de celui qui se mire, quand le miroir se transformera en fenêtre sur le passé ou qu'il révèlera l'invisible, l'impensable - l'indicible.
Les qualités et défauts d'un bon Freddy, en somme: l'idée est flippante, inconfortable car elle vient taquiner nos peurs les plus obscures, rappelant ces terreurs nocturnes qu'on n'osait affronter lorsque nous étions enfant. Mirrors ne fait pas appel aux cauchemars, à ces contrées oniriques qui parfois s'immiscent dans le réel, mais joue sur un principe similaire, sur l'Autre Côté, ce monde mitoyen du nôtre où se terrent les démons, où les lois de notre physique cèdent le pas à la magie noire et à l'inexpliqué. On évoque également les très nombreux manga, souvent réussis, où des humains clairvoyants luttent contre les forces démoniaques cherchant à pénétrer notre univers (comme la Cité interdite/Yôjû toshi de Kawajiri).
Mirrors, toutefois, ne joue pas sur l'universel : pas de pacte avec les Ténèbres, pas d'agents gouvernementaux, juste un lieu maléfique qui sue le Mal et dont il faut trouver l'origine afin de rompre son emprise sur le monde. Mais les limites sont trop fluctuantes entre le reflet et la réalité. On ne sait pas vraiment jusqu'où "ce qu'il y a de l'autre côté du miroir" peut interagir avec notre réalité : parfois, le reflet ne peut que forcer l'original à copier son geste (scène d'introduction, excellente) ; d'autre fois, il duplique l'original mais sans pouvoir intervenir ; d'autre fois encore, il fait passer d'un monde à l'autre. Bref, dès qu'on creuse, ça devient incohérent. Le pouvoir de ce qui est celé derrière les glaces indestructibles de ce grand magasin maudit est tel qu'on a du mal à croire qu'il se cantonne à lancer des avertissements à quelques êtres choisis, pour une mission qui n'apparaît pas vraiment crédible mais permet d'enrichir le côté " enquête " - après tout, Carson est policier. Ce qui avait failli flinguer la franchise Freddy, c'est quand, dans le deuxième volet, le croquemitaine se mettait à apparaître dans la réalité : ici, par moments, j'ai eu cette même impression de flou diégétique.
Mais c'est vachement bien foutu. Dans une salle où le volume sonore est poussé sans qu'il soit insupportable, le spectacle est efficace.
Avec le recul, j'en viens à reconnaître certaines critiques lues par ailleurs : Aja ne saist
pas vraiment instaurer le malaise, l'angoisse, il connaît en revanche très bien les
codes du genre, soigne son cadrage et son montage en lorgnant du côté de Peckinpah et compense généreusement le manque de tension palpable avec une bande son réglée au millimètre. C'est très peu crédible mais il y a du rythme, de l'allant - et puis, même quand la séquence en montage alterné de sa femme aux prises avec le reflet de son fils traîne manifestement en longueur, on se permet de se complaire en admirant ses formes bien mises en valeur par un chemisier trempé en permanence. Ensuite, j'ai décroché à cause d'incohérences flagrantes et d'un manque de parti-pris sur la nature même du pouvoir des miroirs : on est constamment entre le surnaturel mauvais, tendance démoniaque et le fantastique un peu gothique. Le climax du finale répond également aux mêmes principes savamment étudiés, évite de peu le grand-guignolesque et se permet une chute loin d'être originale mais habilement amenée.
Pas de quoi éviter de se raser les matins devant sa glace. Mais quelques bonnes montées d'adrénaline.