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(Note de lecture), Jean-Michel Maulpoix, "L’Hirondelle rouge", par Chantal Colomb

Par Florence Trocmé

Maulpoix hirondelleLe dernier recueil de poèmes en prose de Jean-Michel Maulpoix repose sur un paradoxe : il développe la thématique du deuil sur une Stimmung mélancolique tout en s’appuyant sur le chiffre neuf, car composé de neuf sections de neufs poèmes, chiffre qui symbolise la plénitude. Comment expliquer ce paradoxe ? Livre de deuil, le recueil s’ouvre sur la mort du père de l’auteur, une mort qui anéantit son lyrisme et provoque une identification douloureuse au père. On a du mal à faire coïncider le chantre du lyrisme critique avec celui qui ici écrit : « À jamais ridicule, cette fable antique du poète descendu chez les morts pour y chercher une ombre aimée. Il n’est pas de chant qui sauve, juste des paroles pour notre ici-bas ». Le lyrisme ne console pas. Le poète ne franchit pas le miroir qui, comme chez Cocteau, mènerait au royaume de la mort. Non, il voit son père dans ce miroir au lieu de sa propre image et s’écrie : « je ne suis plus de ce monde-ci ». S’identifiant à son propre père, il sent qu’il est celui qui va mourir aussi et se transporte dans l’univers paternel.
Celui-ci aimait peindre et c’est ainsi que s’introduit « l’hirondelle rouge » qui donne son titre au recueil : « De là me vient le goût du chevalet. Un désir d’hirondelles rouges, d’espace et de toile blanche ». La référence à « Hirondelle amour » de Miró est là implicite mais sera révélée dans la septième section du recueil : « Rouge sur fond de ciel excessivement bleu, c’est ainsi que Joan Miró a peint Hirondelle amour que l’on peut voir à Barcelone ». L’auteur d’Histoire de bleu ressurgit dès la sixième section du recueil qui laisse percevoir clairement la structure du livre composé comme un diptyque articulé autour d’une charnière, la cinquième section. L’hirondelle noire constitue le premier volet du diptyque et l’hirondelle rouge celui qui se replie sur elle. L’hirondelle noire est celle de la mort du père et de la mère, celle qui ne peut pas combler le « gouffre soudain qui s’ouvre dans la pensée, sous le corps et sous le pas ». Au centre du recueil « Cœur noir » avec une citation de Rilke, est un temps de méditation sur la mort, le retour au lyrisme, à la « poésie malgré tout ». « La poésie prospère sur fond de désolation : mer qui se retire par temps gris, ou ciel bleu sans prière, envol brisé vers l’idéal, connaissance précise de la finitude, flamme hésitante d’un feu où brûlent les paquets de feuilles et le petit bois de nos jours, mauvais sommeil, insomnie qui ronge, chambre à part et repas d’homme seul, beauté rêvée entre les pages de magazines et dont la perception peut être si vive qu’elle rend le regard douloureux, désir, désir encore, murmuré par ce qui nous reste de lèvres… » L’élan lyrique de Jean-Michel Maulpoix a toujours été un élan brisé, désenchanté. Il le définit lui-même lorsqu’il aspire à « un cœur d’hirondelle et de longues ailes coupantes pour cisailler le bleu. Un chant capable de tirer le jour de la nuit et de réveiller la terre sombre, engourdie dans l’hiver ». Le second diptyque sera lyrique, écrit de « ce poison noir d’où parfois s’écoule une encre transparente ». Car à l’hirondelle du deuil correspond une hirondelle de désir tout comme à la pulsion de mort survit la pulsion érotique.
Le paradoxe se résout dans le « chant ivre de dryade » de l’hirondelle : « Elle porte sur les ailes la vertu d’espérance ». Le chiffre neuf, symbole de plénitude, traduit cette espérance qui surgit de l’expérience du deuil, le plus douloureux soit-il. Finalement L’Hirondelle rouge « ne sera pas un livre de mélancolie mais de choses vues et de tristesse pensive. Un livre à tire-d’aile. Échappé du fond du puits ». Le poète s’est résigné à écrire dans le premier diptyque pour « Offrir à l’absence un bouquet de fleurs d’encre ». Mallarmé et Baudelaire sont là avec « l’absente de tous bouquets » et ces « fleurs » qu’il faut aller puiser dans ce qu’il y a de plus sombre. Baudelaire et Musset sont encore là lorsque l’hirondelle « vient faire oublier l’albatros, le cygne, le pélican et tous les autres oiseaux mélancoliques ». Les échos aux poètes du XIXème siècle sont nombreux mais cette hirondelle qui conduit le poète vers son désir délaisse l’Azur de Mallarmé pour se contenter de ce que la vie peut encore offrir au poète. Désir et pensée vont de pair et leur association explique cette plénitude que symbolise la référence constante au chiffre neuf. « Pareils à ces pas d’hirondelles, l’amour et la pensée ne laissent pas de trace, et pourtant ils vont selon la chair leur chemin, cherchant ce qui peut être sauvé… » Que l’on écoute les sonorités de cette ultime phrase du recueil et l’on entendra le chant de l’hirondelle.
Chantal Colomb

Jean-Michel Maulpoix, L’Hirondelle rouge, Mercure de France, 119 pages, 12 €.


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