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(Anthologie permanente) Olivier Domerg, "Rhônéo-Rodéo"

Par Florence Trocmé

Domerg 2Olivier Domerg publie Rhônéo-Rodéo, poème-fleuve, aux éditions Un comptoir d’édition.

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Dans le bain moussant
de la métaphore
Passer les arbres, le rideau d'arbres. Trouver une sente récente, disons récemment défrichée. Un passage pratiqué dans les taillis par les pêcheurs ou les employés de la Compagnie. Descendre de quelques mètres, entre les espèces arbustives, et aussi, les ronces, les fleurs, les orties, les invasives. Être tout près, être au bord, suivre des yeux les mouvements du fleuve. Être fleuve, écrire serré, en plans serrés et en gros plans. Tailler dans la masse fuyante. Suivre le mouvement. Être le mouvement, c'est-à-dire, n'être rien que ce qui fuit, que ce qui vit, que la fuite avant, que la suite toujours réamorcée de l'instant, des instants passants. Être dans le bain, le bain des sens et l'immersion complète du poème. Fixer la surface bleu-vert, piquée d'écume minuscule. La surface, l'effet de surface. Son relief mouvant en constante formation, déformation et reformation. Forcer sans succès l'opacité relative, hormis à faible distance et profondeur. Être fleuve, c'est-à-dire, à cet instant et en cet endroit, irisations, stries éphémères, irritations et bulles passagères, éclosions contiguës et continues de métamorphoses, aussitôt absorbées, disparues, évanescentes. Relief lié, délié, dévié, en permanente recomposition. Être fleuve, ondoiements, vaguelettes multiples à multiples facettes, qui s'effacent, s'entrechoquent, disparaissent, au fur et à mesure que d'autres apparaissent, s'effacent et réapparaissent ; s'effacent et réapparaissent constamment, continûment ; dans l'agitation sans fin du flux qui va, va de l'avant, va, plein d'allant ; du flux et de la bande passante, et tremblotante, et chuchoteuse, et murmurante ! Car tout cela n'est pas seulement frais, cinétique et visuel, mais aussi, sonore et sensoriel ! Car tout cela, le courant, l'eau qui court, le cours d'eau, s'accompagne aussi, et dans le même temps, de déplacements d'air, de fines gouttelettes en suspension, qui se diffusent et retombent, alors que tout recommence, alors que tout toujours recommence. Car cette agitation est aussi une cogitation, une pensée qui se pense, et qui se pensant, passe à la pensée suivante, et encore, à la suivante, qui jamais ne s'épuise. Car un fleuve est un flux, comme son nom l'édicte, le dévide, le dis­tille, un flux ininterrompu d'eau, et de « sensation de l'eau », et de trémulations de l'eau dans l'eau, et de perpétuation de l'eau par l'eau : l'indéfini du flux infini ! Car un fleuve est un flux qui se dissout dans le flux et dans le mot FLEUVE et dans le RHÔNE et dans son nom.
Olivier Domerg, Rhônéo-Rodéo, poème-fleuve, éditions Un comptoir d’édition, 2017, 144 pages, dont un cahier de 15 photographies de Brigitte Palaggi, 15€.


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