Jeremy Coote explique dans cet article (et voir ma précédente note) que la seule collection des objets du premier voyage à être bien documentée est celle du Museum of Archeology and Anthropology de Cambridge, entrée en 1914, provenant du Trinity College et donnée par Lord Sandwich en 1771 (bien que certains objets seraient entrés probablement en 1775 et proviendraient du second voyage).
Ainsi en est-il par exemple d’une ceinture en lin d’homme maori (CUMAA Cambridge D914.49), des peignes de tatoueurs et les ornements d’oreilles que l’on peut admirer actuellement dans une vitrine du musée de Cambridge dédiée aux voyages de Cook, musée qui détient 215 artefacts de ces expéditions.
Lors de ses recherches, en tant que conservateur au Pitt Rivers Museum, Jeremy Coote a remarqué qu'il existait dans les collections de ce prestigieux musée, quelques objets tahitiens et maoris déposés originellement au Trinity College.
Se pourraient-ils qu'ils proviennent aussi de la première expédition ?
Il a donc remonté la piste de la biographie de Joseph Banks.
Ainsi, a-t-il découvert que ce dernier, alors étudiant à Oxford, avait été un grand ami de John Parsons. Celui-ci après ses études d'anatomie était resté à Oxford et était devenu "Lee’s reader", un poste qui avait été créé grâce au legs du Dr Mathew Lee. Parsons était notamment chargé de superviser l’achèvement et le fonctionnement du centre d’enseignement scientifique jusqu’à la création du musée de l’université.
Joseph Banks va revoir son ami en janvier 1768, soit sept mois avant son départ avec Cook. Malheureusement on ne connait pas la teneur de leurs entretiens. Quoiqu'il en soit, on retrouve Banks à Oxford le 21 novembre 1771 pour la remise de diplôme de son autre ami, Daniel Solander. Jeremy Coote émet l'hypothèse qu’à cette occasion Banks (et peut être aussi Solander) a commencé à songer à une donation pour son ancienne université et a sollicité Parsons sur ce point. La seule pièce tangible que possède Coote est une lettre datée du 16 janvier 1773 dans laquelle Thomas Falconer, un autre ami de Banks, affirme que ce dernier a effectué une donation à Christchurch.
Ces objets consistent en deux ensembles :
D’une part, 20 objets (12 artefacts tahitiens et 8 maoris) avaient déjà été prêtés dès 1884, date de la fondation du musée. Ils portent une étiquette avec la mention
« Dr Lee's Trustees Ch. Ch. ».
C’est cela qui a mis Jeremy Coote sur la piste puisque John Parsons, l’ « intermédiaire », occupait la fonction de "Lee’s Reader"… et le "Lee’s Trustees", en tant que doyen et chapitre de Christchurch, était responsable du "Lee Readership" et surtout des collections qui s’y rapportaient.
Quant au second ensemble, il comporte 5 objets maoris et 5 objets tahitiens qui ont été transférés de Christchurch au Pitt Rivers Museum en 1886.
À l'époque ils étaient catalogués sous provenance Nord américaine et semblaient être issus de la collection du Dr Charles A. Pope de Saint-Louis du Missouri suite à un don de son fils John O'Fallon Pope qui avait été étudiant à Christchurch de 1868 à 1871.
Henry Balfour, le premier conservateur du Pitt Rivers, s'était bien sûr rendu compte de l'erreur, mais de là à les attribuer à un voyage de Cook…
Pour Jeremy Coote, cela ne fait pas de doute : plusieurs points plaident en faveur de l'attribution de ces objets au premier voyage et à leur relation avec Joseph Banks dans l'histoire :
- Ils sont réalisés dans des matériaux travaillés avec des outils « pré-contact »,
- Une des pièces du second ensemble comporte de petites plumes noires qui se sont avérées être identiques à celles d'un des objets étiquetés "Dr Lee's Trustees" (peut-être enveloppés ensemble ?)
- Plus subjectivement, Coote pense que sans ce second ensemble d'objets, la collection serait incomplète. En effet, le tout fait sens du point de vue typologique : manteaux et ceintures de chaque type permettraient de montrer la variété des productions tahitiennes et maories.
Banks était réellement fasciné par le travail des étoffes et a bien documenté celui-ci. Plus collectivement, les membres d'équipage ont admiré vêtements et ornements des Tahitiens et des Maoris ; les dessins de Parkinson sont là pour nous rappeler cette magnificence mais aussi nous fournir des renseignements précieux. On notera les plumes et les pendants d’oreille, les manteaux, la flûte et les armes diverses dans le dessin ci-dessus représentant une pirogue de guerre.
La liste des objets de ces deux ensembles est disponible dans l’article de Jeremy Coote de 2004.
Dans la première liste, on remarquera un objet étonnant : l’écope de pirogue maorie (comportant l’étiquette sur laquelle on peut lire sur le manche la fameuse inscription Dr Lee's Trustees Ch. Ch). Sur le dessous, on trouve encore quatre réparations indigènes et un morceau d’étiquette où il y serait inscrit Scoop for bal[ing] out Can[oe].
Enfin, si la seconde liste nous fournit de nombreux manteaux et ceintures, la première comporte différentes armes maories fort intéressantes et qui ne manqueront pas de subjuguer notre jeune Monsieur Banks…
Mais revenons au portrait de Benjamin West…
Quelles sont les pensées de ce fringant jeune homme ?
Souhaite-t-il affirmer son autorité (il est drapé d’un manteau de chef polynésien) servant à sa propre renommée ?
Veut-il faire un « coup » publicitaire pour le commerce futur de ses objets ?
Ou témoigner de sa grande curiosité intellectuelle et admiration envers les peuples maoris ?…
La réalité est probablement à l’image de l’époque, le mélange d’un désir d’exotisme et d’une utopie de la Raison qui servira indifféremment le bien et le mal.
Ces voyages d’exploration, s’ils nous fascinent, ne sont-ils pas directement liés à l’appropriation du monde ?
Photo 1 : Détail d’une vitrine du MAA Cambridge © de l'auteure 2013.
Photo 2 : Pilon © Pitt Rivers Museum 1887.1.391 © de l'auteure 2016.
Photo 3 : Lame de hache tahitienne © Pitt Rivers Museum 1887.1.10 © de l'auteure 2016.
Photo 4 : Canoe de guerre, dessin de Sydney Parkinson, mars-avril 1770. © British Library.
Photos 5 et 6 : Ecope de pirogue © Pitt Rivers Museum 1887.1.381 © de l'auteure 2016 et dessous (site du Pitt Rivers).