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(Anthologie permanente) Friederike Mayröcker, extraits de "Scardanelli"

Par Florence Trocmé

Mayrocker  Scardanelliavec Scardanelli

au fond de ta bouche, à l’époque
quand l’hirondelle sait-elle que le printemps
vient de nuit en pluie tu perds tes aiguilles contre ma fenêtre je
suis allongée éveillée je pense aux après-midis aux
minuits enlacés, il y a bien des années ces boules de jardin les
brebis sur la plaine sombre du ciel
19.1.08
/
À EJ

il m’invite à dîner c’était déjà le printemps nous étions
unis et je ressentais la plénitude de son esprit il a bu
1 verre de vin rouge et plus, je le regardais longuement saisis
sa main le temps ne passait pas encore aussi vite que
qu’aujourd’hui il était au courant j’étais protégée retient en
laisse comme enfants et dupe l’âme
Hölderlin
citrons verts à savoir sanctifiés dans le carton KONSUM déchiré
citrons verts à savoir où le ciel du sud. Nous étions gais
une gaieté sereine j’étais ah sans savoir et
midi annonçant le printemps, son mouchoir (à carreaux) sur la table du
restaurant le BOURCHON (non, pas BOURGEON) de Ponge —
l’énervement la danse et dans le feuillage où nous étions assis son
cœur (son ombre) qui battait pour moi, chaque recoin de
la terre chaque haie pente fleur du poète : chaude
cendre
1 sachet de thé est INRI 1 p. crâne d’oiseau sur notre lit
24.2.08
/
j’ouvre la porte en pleurant cela vient me prendre : me vient
à l’esprit L’HUMILITÉ et sur le seuil de la porte les eaux nues
Höld. drave printanière mon cœur courbé : battant de tièdes
ondées comme jadis à D., pâle suis désormais et toujours
mon désir tendu, tandis que le ciel pâle à la fenêtre, humble
même soumise pas une once de fierté en moi, oisive et
calme parmi les montagnes où s’offrent à la soif les fleurs printanières, ou
le jour en larmes (le jour se lève le matin dont l’âme
sauvage) enfermée dans ma chambre tandis que dehors le printemps
avec ses calices qui puissamment pointent, parce qu’il dupe notre âme
Höld. tandis que dans les bras de la mère : des oiseaux qui passent en
trombe à ma fenêtre : pressens seulement leur nature, sur les pelouses les
blancs matelas de mille muguets blanches étendues de mu-
guets sur les pelouses (de telles moufles : 1 erreur de lecture) du
Wienerwald à savoir les funérailles des fleurs blanches
ta main noire et ses 2 ailes comme passant devant la porte du « p. café »
Place des Franciscains dans la pénombre tu (manteau noir), je
traverse 1 carte postale arbres doués (cette douceur : latin
lover
serveur smart café Tirolerhof avec affection et ardent jeune
homme à la bouche noire / l’énervement et la danse)
suis complètement innocente, les ovaires en sommeil, dit Edith S. mon âme
est malade, St. onanisme suis complètement innocente sur la pelouse demeurent les
moutons
suis complètement innocente rapide la nature change ses TRAITS = TEMPS
elle est hors d’elle-même hors d’haleine, je la vois qui transforme les flocons de
neige en hirondelles les fleurs de glace en jeunes pétales, ce murmure ébouriffé du
1er calice de tulipe
dans la nuit profonde la proximité de ta voix dans la nuit profonde de deuil
de ton cœur je vois les violettes délicates dans tes yeux, ainsi
tu saisis ma main tandis que comme 1 feu follet Kandisky « oiseaux exo-
tique » de 1915. La poitrine ardente des strophes appuyée contre la
colline tandis qu’un lierre vif vert
29.2.08
/
alors tout soudain s’arrête l’alouette narcisse le
rossignol qui a l’air de rien dans le toit de feuilles que je ne vis jamais
n’entendis jamais, les hirondelles villageoises en flèche leur bec rouge
ouvert : maintenant elles ont 80 ans elles vivront longtemps et aussi les roses
pivoines dans les jardins étrangers, les moineaux taupes campagnols qui habitent
les monticules qui recouvrent les tombes. Alors ma langue se
perd : disparaît, la lune dont elle emporta il y a longtemps déjà le
secret, les 1ères cerises, les pâquerettes le pavot le p.
pissenlit, aubépine et julienne des dames, le fardeau de ma conscience la
petit boîte avec la cendre des derniers parents tout perdu ar-
raché de mon cœur effacé plus aucun souvenir de
cette terre : gloire Monde
(trouvai ce matin le parapluie de l’ami tout poussiéreux
et tordu en ces 8 ans où on l’avait oublié..)
« love me love my umbrella », James Joyce

avec précaution cligner des yeux (vers moi) et choyer et
embrasser mon dernier poème : tout juste achevé le tout
dernier poème et comme les larmes roulent dessus les lignes
se confondent à savoir 1 modulation que plus personne n’entend etc
19.5.08
Friederike Mayröcker, Scardanelli, traduction Lucie Taïeb), Atelier de l’Agneau, 2017, 81 p., 17€, pp. 16, 24, 25/26 et 43.
Lire la note de lecture de Jean-Pascal Dubost sur ce livre. Jean-Pascal Dubost qui a effectué ce choix de poème et les a tapés pour Poezibao.


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