Dans votre quotidien professionnel, il vous est peut-être déjà arrivé de voir votre idée refusée par un comité de validation ou torpillée par tel autre département qui préfèrerait que vous restiez sagement dans votre périmètre. C’est décourageant et frustrant. Vous pourriez vous en tenir là et choisir d’abandonner votre idée ou d’aller la développer ailleurs.
Il existe pourtant une autre option, celle de poursuivre votre idée au sein de votre entreprise, en vous positionnant volontairement hors des processus et silos. Dans leur ouvrage Makestorming, Stéphanie Bacquere et Marie-Noéline Viguié parlent de « hacker le système », c’est-à-dire de s’affranchir des limites imposées pour faire avancer son idée dans un esprit positif. Elles ont recueilli cet exemple chez Salomon. L’aventure commence dans les années 2000, alors que la pratique sportive évolue : les coureurs à pied explorent de plus en plus les courses en nature, les raids en montagne, sur des terrains accidentés et instables.
« Chef de projet chez Salomon, Frédéric Crétinon cherche alors la chaussure idéale pour ces nouveaux aventuriers. Il interroge des athlètes, et fait une découverte : tous mettent en avant l’importance primordiale de la stabilité dans la chaussure, alors que tous les fabricants mettaient jusqu’ici l’accent sur sa capacité amortissante. Les ingénieurs se mettent alors au travail pour concevoir une chaussure qui répondrait à cette exigence. Oui mais voilà : Adidas rachète Salomon en 2002 et la marque a elle aussi son projet pour ce marché prometteur. Impossible de mener deux projets en parallèle. Chez Adidas, on n’en démord pas : toutes les études marketing montrent que les consommateurs veulent de l’amorti avant la stabilité. Le projet de Salomon est stoppé.
L’histoire pourrait s’arrêter là. Elle serait tristement banale. Mais Frédéric Crétinon est sûr de lui, et il a une âme de corporate hacker. Avant de céder, il organise un test comparatif grandeur nature : il donne à des athlètes chevronnés un prototype des deux types de chaussures, qu’ils testent dans l’Ardèche pendant quatre jours, à raison de 80 kilomètres par jour. Premier hack ! Le résultat est clair : la paire de chaussures Salomon a bien mieux répondu aux exigences des athlètes, notamment dans les parties extrêmes du parcours. Mais en haut lieu, la logique politique est en marche : malgré l’évidence, on refuse de tenir compte du résultat. Interdiction d’aller plus loin.
Et pourtant, elles vont sortir, ces chaussures ! La suite de l’histoire est presque hollywoodienne, avec un parfait happy end. On vous résume : ce que Frédéric Crétinon n’a pas obtenu par les arguments, il va l’obtenir par la ruse. Car il lui reste un atout dans sa manche : « sa » chaussure présente une forme originale qui a déjà sauté aux yeux de quelques visiteurs. Il fait réaliser quelques prototypes dans des couleurs des plus flashy et les expose sur une table dans le couloir près de son bureau. Et ça marche : les chaussures interpellent tout le monde, jusqu’au directeur de la communication qui emprunte une paire et la porte ostensiblement devant les visiteurs. Le buzz finit par remonter jusqu’au PDG de Salomon. Pour en avoir le cœur (et le pied) net(s), ce dernier invite les plus sportifs des membres de son Codir (Comité directeur) à tester eux-mêmes, lors d’un raid en Espagne, cette innovation devenue clandestine. Le test est de nouveau concluant et tout le monde peut être content : le prototype Adidas semble excellent pour les sentiers, la chaussure Salomon pour l’aventure. Finalement, les deux produits seront commercialisés sur le marché. Avec, pour Salomon, un succès immédiat ».
Et vous, quelle idée avez-vous soigneusement rangé dans un carton ? Comment pouvez-vous profiter du calme de l’été pour la ressortir, la tester auprès de collègues et créer un premier prototype ?