Certains textes exigent plus d’attention au lecteur qui veut en cerner toute la substance. Et le chroniqueur parfois hésite avant d’émettre son papier. Il ne veut pas louper le coche. Alors les jours passent, d’autres lectures se font…
Je suis revenu sur le texte de Sylvie Kandé à l’occasion de l’émission que je lui ai consacrée et qui sera en ligne dans les semaines à venir. Gestuaire, recueil de poésie publié dans la collection Blanche des éditions Gallimard.
Gestes.
De même que Michel Leiris, dans Glossaire, serrait ses gloses, dans Estuaire, je serre mes gestes.Coda.
Gestuaire : Ensemble des gestes possibles de l’homme. Geste : Un geste est un signe manuel ou corporel qui permet d'illustrer les mots du langage, de les compléter ou de les appuyer (Wikipedia)
Les mots sont importants. Leur sens aussi. Surtout quand la poésie est utilisée pour dire le geste, parler de ce geste cher, du geste lointain. On suit donc Sylvie Kandé dans ses observations précises, millimétrées du geste intime ou du geste historique. Avec une langue chaque fois mise au service de son projet pour scruter. La langue se fait parfois geste, quand par exemple avec le texte Au temps jadis, la poétesse, adapte la langue, les mots pour porter les mots des esclaves, de cette relation trouble entre maîtres et serviteurs. Un poème déconstruit qui finit avec ce propriétaire qui meurt dans les bras d’une vieille esclave qui a dû être sa nourrice. Humanité et barbarie. Paradoxe
Analogie et paradoxe.
Sylvie Kandé procède en usant de l'analogie et en mettant en exergue certains paradoxes. Parce que la contemplation active, nouveau paradoxe, permet de lire une forme de dualité dans un geste. Le paradoxe de la répétition de la fuite en avant par exemple.Prenons un extrait de Génocide, un homme s’exprime :
C’est que nous, nous maîtrisons l’art des gestes; eux, depuis la nuit des temps, se contentent de mouvements. Advienne que pourra. Pour ma part, je m’en lave les mains.Il y aurait donc plusieurs gestes. Cette classification du geste fait écho au regard, au rejet, à la réduction de l’humanité de l’autre. Et donc à la possibilité de son extermination. Au Rwanda, dans les camps de concentration de Buchenwald, d’Auschwitz, en Afrique du sud par les Boers subissant le projet colonial anglais ou l’Apartheid qui verra les victimes reproduire avec plus de férocité, ces camps, sur les populations bantoues. Mais le geste prend ici une dimension historique puisque les mots nous renvoient à la posture de Ponce Pilate. Cette indifférence qui, si on attarde comme le fait la poétesse, nous rappelle qu'elle nous concerne. Elle est notre lot quotidien.
Les analogies sont exprimées dans des épisodes historiques communs à l’instar de ces soldats incorporés dans les troupes de la seconde guerre mondiale, en Europe, en Afrique. On peut parler des thèmes : Au travers des tombes ou pierres tombales très nombreuses dans ce recueil, l'hommage associé. Dans le brassage, le métissage, la rencontre de l'autre qui constituent un geste important dans la démarche littéraire de Sylvie Kandé avec une volonté par son écriture d’assumer ou de partager ses différentes identités. Ce sont des mots qui reviennent avec régularité sur la question de l’esclavage.
Le plus simple est de vous faire une idée en abordant la lecture de ce recueil de poésie de manière assez libre. Et en tentant patiemment d’en cerner la démarche. Convenons d'une chose : nous ne saisirons pas tout, mais il y a une telle richesse dans ce que nous capterons...
Sylvie Kandé, GestuaireEditions Gallimard, poèmes, 2016, 105 pages