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L’Univers singulier de Gregory Forstner

Publié le 26 juillet 2017 par Savatier

L’Univers singulier de Gregory ForstnerLe peintre Gregory Forstner (né en 1975) se définit ainsi : « je suis Autrichien, Français, Espagnol et né au Cameroun de grands-parents nazis d’un côté, et de l’autre, d’un grand-père qui a participé à la Résistance. » On ne sort pas indemne d’une telle filiation (qui, par sa mère, remonte à Xavier de Maistre). Devrait-on pour autant y trouver une explication à son art singulier, qui serait la traduction d’une culpabilité ou une manière d’exorcisme ? Ce serait très simpliste, car sa peinture se nourrit trop d’une profonde connaissance de l’histoire de l’art pour se limiter à cette tentative de définition.

Un livre vient de lui être consacré : Gregory Forstner (Editions Dilecta, 224 pages, 35 €). En plus d’une introduction de Gilles Fuchs, d’un bel essai d’Henry-Claude Cousseau et d’un entretien avec Caroline Hancok, cet ouvrage propose une iconographie qui, loin de se contenter d’être riche et représentative de l’œuvre, offre des reproductions d’une rare fidélité aux originaux. L’exigence du galeriste parisien du peintre, Mathias Coullaud – esthète s’il en est – n’y est pas étrangère.

L’univers de l’artiste, qui se forma à Vienne, Nice et aux Beaux-Arts de Paris, reflète ses goûts picturaux. Il aime Kokoschka, Schiele, Klimt, Bellmer. L’examen de ses toiles et de ses gravures révèle d’autres filiations encore. Ses personnages dont les têtes sont figurées par des crânes (Thanksgiving or the Last Supper, par exemple), rappellent James Ensor, tout comme The Party. Le zoomorphisme très présent, qui attribue aux hommes des faciès de chiens ou de porcs, suggère les êtres hybrides qui peuplent les panneaux de Jérôme Bosch. Ce caractère hybride semble introduire un questionnement tel qu’il se posait à la Renaissance : est-ce un humain, est-ce un animal avec, sous-jacente, la présence ou non d’une âme chez l’individu ainsi représenté. Ailleurs, on pense à Goya dans sa dimension fantastique et parfois grotesque, ailleurs encore à Courbet : le Festin de Bacchus reprend la même composition que les Baigneuses (1858, musée d’Orsay, Fernier 229) qui – l’artiste le sait-il ? sans doute – appartint jadis au ministre des Affaires étrangères du Reich Joachim Von Ribbentrop.

Des toiles qui mettent en scène des soldats aux visages de canidés, portant manifestement un uniforme nazi, renvoient à Otto Dix, avec lequel Forstner peut à bon droit rivaliser dans une série de pointes sèches d’une puissance époustouflante.

L’artiste se défend d’être expressionniste ; cependant, la plupart de son travail renvoie à ce mouvement. La palette vive et acidulée, le trait virtuose et spontané, la bouffonnerie des représentations ne laissent guère de doute. Pourtant, au tragique festif de l’expressionnisme allemand qui annonçait l’ouragan qui allait dévaster l’Europe, répond chez Gregory Forstner une impertinence, un humour grinçant post-guerre qui sonne, selon le mot de Chris Marker, comme la politesse du désespoir, non dénuée d’un regard critique posé sur l’histoire de l’art et ses œuvres de référence. Le nihilisme n’est jamais loin.

Devant ces toiles crues et drues, dont la violence apparente semble renforcée par de fréquents grands formats (pensons à Blondie and the Sons of Bitches), les bien-pensants se récrieront peut-être. Le peintre leur présente un miroir embarrassant pour leurs plaies béantes. Mais un artiste n’a pas pour vocation de rassurer. Pour reprendre le mot de Picasso, [la peinture] « est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi. » Et, de ce point de vue, Gregory Forstner est présent sur tous les fronts.


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