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Six idées reçues sur les Celtes

Par Amaury Piedfer

Depuis qu'on s'intéresse à eux, les Celtes ont fait l'objet de beaucoup de fantasmes, de manipulations et d'instrumentalisation idéologique. Une petite mise au point sur quelques idées reçues, hélas encore largement partagées aujourd'hui. L'ignorance ou la mauvaise foi aidant, il n'est pas rare de lire de belles bêtises sur la civilisation de nos ancêtres et sur leur place dans l'édification de la France et de l'Europe [1].
1/ "Les Celtes ne connaissaient pas l'écriture"
C'est absolument faux. L'usage en est extrêment ancien : de Castelleto Ticino, Via Aronco, en Italie du Nord, provient une inscription celtique sur vase à boire datée du deuxième quart du VIème av. J.-C. ; elle est donc aussi ancienne que les plus vieilles inscriptions latines ! Elle est gravée dans l'alphabet dit de Lugano, dérivé de l'alphabet nord-étrusque, qui a couramment servi aux Celtes d'Italie du Nord dès le VIème siècle. Plus tard, l'usage de l'écriture est devenu très courant de part et d'autre des Alpes. En Gaule intérieure, c'est souvent, en particulier à partir du IIème siècle av. J.-C., l'alphabet grec qui est employé par les Celtes pour transcrire leur langue.
Inscription gauloise en alphabet grec, de Vaison-la-Romaine. Dédicace d'un nemeton (enclos sacré) à la déesse Belisama, IIème siècle av. J.-C.

2/ "Ils faisaient des sacrifices humains"
Les sources gréco-latines évoquent la pratique de sacrifices humains par les druides, et certains sites archéologiques semblent suggérer des meurtres rituels. Mais les fouilles archéolgiques montrent que les corps humains déposés rituellement sont très rares (comme par exemple à Ribemont) : le sacrifice humain n’était pratiqué que dans des circonstances exceptionnelles, épidémie ou guerre. Strabon notamment rapporte le sacrifice d’un homme, à l’aide d’une épée, dans un but divinatoire : ceci concerne donc les vates, responsables de la divination, et non les druides. Il est probable en revanche que les druides aient plutôt cherché à réduire la pratique du sacrifice humain. Ajoutons que la cérémonie qui avait lieu tous les cinq ans ne concernait que les prisonniers exécutés dans le cadre d’une sanction judiciaire, et la pratique semble avoir été abandonnée à l’époque de César. Comme à Rome sans doute, le sacrifice humain fut donc peu à peu remplacé par le sacrifice animal.
3/ "Ils combattaient nus"
Certains auteurs grecs, en effet, évoquent d'impressionnants guerriers celtes se présentants "nus" devant l'ennemi. En fait, cette pratique est peu attestée, jamais décrite par les auteurs latins qui se sont intéressés à la question. Pas un mot de César sur la question, par exemple. Comment alors comprendre cette affirmation ? Il probable que les auteurs grecs, habitués à voir combattre les hoplites, les "hommes de bronze" avec leur armement lourd, aient pu être frappés par la légèreté de l'équipement de certains fantassins celtes, spécialisés dans l'escarmouche. Et en effet, de nombreux auteurs, notamment Polybe et Tite-Live, décrivent cette tactique des Celtes qui consistait, avant la bataille rangée, à harceler l'ennemi par des attaques éclair. Combattre "nu", c'est donc, pour les Grecs, avant tout combattre sans la lourde armure de bronze qui leur paraissait indispensable pour remporter la victoire.
4/ "Ils ignoraient la ville"
Il s'agit encore d'une affirmation fausse. Dès le Vème siècle av. J.-C., les Celtes d'Italie du Nord fondent Mantoue et Côme, puis, au siècle suivant, les Insubres fondent Milan (Mediolanum). L'auteur grec Polybe leur reconnaît d'ailleurs ce caractère de "fondateurs de villes", ce qui n'est pas rien venant d'un Grec. Vers la même époque ou même un peu avant, en Gaule intérieure, des villes se développent dans l'entourage des "princes" de la fin de la période de Hallstatt (VIIIème - Vème siècle av. J.-C.), comme l'ont montré les recherches de Bruno Chaume autour de la tombe de la Dame de Vix (Bourgogne).Plus tard, au IIème siècle av. J.-C., éclot en Gaule intérieure ce que les historiens appellent "la civilisation des oppida" : les Gaulois, partout, édifient de puissantes cités fortifiées, dont les archéologues redécouvrent aujourd'hui l'ampleur, comme à Bibracte, à Gergovie ou à Corent.
...................L'impressionnant oppidum d'ensérune, en Languedoc.
5/ "Leur pays était sauvage et couvert de forêts"
Cette idée découle d'une lecture peu attentive des sources gréco-latines, qui évoquent par exemple la "Gaule chevelue", ce que certains ont compris comme "couverte de fôrets", ainsi que de l'état longtemps lacunaire de la connaissance des vestiges matériels de la civilisation celte antique. Ces conclusions ont longtemps alimenté une vision romantique de la civilisation celte, qui se serait développée dans des pays de forêts, de landes, de rochers, où les hommes peu nombreux et dispersés auraient développé des vertus de "bon sauvage".L'archéologie a aujourd'hui démontré [2], sans conteste, que la Gaule des IIème-Ier siècles av. J.-C., au contraire, s'était non seulement couverte de villes, mais encore que ses campagnes étaient intensément exploitées, densément peuplées. Leur agriculture, très riche et productive, suscitait l'admiration des Romains, comme l'écrit explicitement Polybe à propos de la Plaine du Pô au IIème siècle av. J.-C., ou encore Pline pour la Gaule celtique (nord de la France) au Ier siècle ap. J.-C.Au temps de Vercingétorix, les pays gaulois d'entre Rhin et Pyrénées comptaient probablement près de 18 millions d'habitants [3] ! Evidemment, l'idée que l'essentiel du peuplement de notre pays s'est fait à une époque aussi ancienne n'arrange pas ceux qui aujourd'hui, pour des raisons idéologiques, voudraient faire croire que les Gaulois sont le produit d'un perpétuel "métissage".
Picardie : Tailly l'Arbre à Mouches. Vestiges de fermes gauloises, IIème-Ier siècles av. J.-C.

6/ "Ils étaient grands et blonds"
C'est ce qu'affirment tous les auteurs gréco-romains. Il faut comprendre, pourtant, que la plupart d'entre eux ne connaissaient pas directement les pays occupés par des Celtes, et que ces descriptions un peu caricaturales sont le produit de l'observation de quelques voyageurs méditerranéens au-delà des Alpes ou des montagnes de la Thrace. Elles correspondent en fait à une vision générale de l'Europe intérieure, pas des Celtes en particulier ; comme il est naturel en pareil cas, on force les traits pour mieux faire ressortir les différences avec ce que l'on connaît. Si les Celtes en général étaient, comme l'a montré l'archéologie funéraire, plus grand en moyenne que les populations méditerranéennes, qu'ils avaient plus souvent que les Grecs ou les Romains les cheveux clairs, les yeux bleux ou verts, d'une part les peuples celtes n'étaient pas tous identiques les uns aux autres, d'autre part ils n'étaient pas systématiquement des géants blonds. Comme l'avait écrit l'historien Ferdinand Lot il y a plus d'un demi-siècle, pour savoir à quoi ressemblaient les Gaulois, le mieux est encore d'observer les Français d'aujourd'hui !
Amaury Piedfer.
[1] On lira en particulier l'article édifiant de Suzanne Citron, "historienne et auteure", publié par Rue89, ainsi que les commentaires qui l'accompagnent, montrant la crédulité de certains lecteurs mais aussi, fort heureusement, le sens critique d'autres.
[2] Voir l'ouvrage de O. Buchsenschutz, Les Celtes, A. Colin, Paris, 2007, pour une synthèse récente sur la question.
[3] C'est le chiffre que donne J.-L. Brunaux, "Nos ancêtres les Gaulois", L'Histoire, décembre 2007.

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