Magazine Culture

Turner et fiers

Publié le 16 août 2017 par Africultures @africultures

Premier roman d’Angela Flournoy, La maison des Turner (2015) sort, en version française, aux Editions Les Escales à la fin de ce mois d’août. L’ingrédient clé de cette épopée ? Une famille africaine-américaine traversée par l’histoire de 1944 à 2008.

Six des treize enfants Turner, adultes, vivent à Detroit, le reste dans d’autres villes des Etats-Unis. Si les hommes Turner tiennent bien l’alcool, ce n’est pas le cas des femmes. Et si les frères manifestent leur beauté par les traits de leur visage, celle des sœurs est une évidence à partir du cou. En commun ils ont le fait de vivre, tous, à deux pas du seuil de pauvreté. Et de se souvenir d’où ils viennent : les Turner sont sortis des champs depuis seulement trois générations. C’est d’ailleurs au nom de cette héritage populaire, que pour certains il est important de ne jamais se plaindre, alors que pour d’autres, au contraire, il faut justement espérer davantage des lendemains, « pour au moins attraper le temps perdu ».

Donc pourquoi ne pas s’autoriser à espérer rembourser, un jour, le crédit de leur maison, « La Maison Turner » ? Qu’en faire, en 2008, en plein milieu de la crise financière qui touche l’immobilier américain ? Leur mère Viola est malade et a une dette de quarante mille dollars, mais leur maison, même étant « la plus belle de Yarrow Street », n’en vaut que quatre mille. Quand les enfants Turner se réunissent c’est le déchirement : les plus pragmatiques veulent la vendre à découvert, les plus optimistes disent « pas question ». Chacun a des raisons différentes, un passé et un présent justifiant sa prise de position.

Une fresque de l’histoire populaire américaine

Parents et enfants confondus ont chacun des parcours qui racontent un morceau de l’histoire des Etats Unis. Roman très descriptif qui ne se prive pas de recourir à des nombreux flashbacks plongeant dans l’enfance et l’âge adulte du père défunt, La maison des Turner devient tout autant un prétexte pour raconter la vie qui se déployait autrefois à Detroit, que l’occasion de parler de l’exploitation des Noirs du Sud dans les usines du nord par Henry Ford dans les années 1940. Y sont abordés aussi la guerre du Vietnam, les émeutes de 1967, les ravages de l’héroïne dans les années 1980-90, et l’obésité du début du siècle.

Mais l’objectif de la caméra narrative est tourné essentiellement vers les existences de l’aîné (Cha-cha) et de la benjamine (Lelah). Lelah a quarante et un ans, un très mauvais rapport avec sa fille et une propension à ne pas faire durer ses relations sentimentales. Seul le jeu au Casino Motor City semble être un repère depuis des années. Cha-Cha, de son coté, est un homme de soixante-quatre ans prudent, responsable, honnête, rigoureux. Sans-abri en raison de son addiction au jeu, Lelah se retrouve à devoir occuper la maison de son enfance. Cha-Cha, lui,  remercie Dieu « pour [sa] santé mentale ». Pourtant , depuis quelques temps, il a des visions de fantôme qui le poursuivent et le replongent dans son enfance. Unique de la fratrie à voir un fantôme, premier des Turner à consulter une psy, peut-être que Cha-Cha, grâce à ses visions pourrait-il enfin être vu dans son individualité, son exceptionnalité  et non comme le « grand-frère » responsable sur qui tous comptent sans jamais le voir réellement ? Et Lelah, si elle gagnait beaucoup d’argent, pourrait-elle enfin sortir du rôle qui lui colle à la peau, celui de fille à problème, de petite dernière jamais solvable ? Hallucinations, addictions. Des mots qui définissent et expliquent. Frère et sœurs ouvrent et ferment comme un cercle inexorable, la danse des rêves enfuis, des traumas oubliés et des non-dits souvent en lien avec Francis, le père défunt.

Mais ce sont d’autres explications que Lelah et Cha-Cha attendent. Celles de leur mère mourante, qui sait comment leur père avait fait pour se débarrasser de sa propre addiction, à l’alcool lui, aussi bien que de son passé en Arkansas, peuplé de visions mystérieuses. Va-t-elle leur partager ces secrets de famille ? Ou leur avouer les rendraient plus vulnérables ? Si  « La fierté a toujours joué un rôle essentiel dans le psychisme des Turner » c’est pour rester debout, dans une société écrasante, et danser, danser, danser, même sur ses propres peurs.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Africultures 15848 partages Voir son profil
Voir son blog

Magazines