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Fire Punch : la fin du monde, entre feu et glace…

Publié le 18 août 2017 par Paoru

Fire-Punch tome 1

En voilà un qui sort nettement du lot. Je réfléchis maintenant à deux fois avant de m’emballer sur juste un ou deux tomes, car la force d’un pitch peut s’étioler de manière très décevante au fil des chapitres, surtout si les personnages ou la narration ne suivent pas (on a tous une cohorte d’exemples en tête, n’est-ce pas ?). Un bon pitch seul ne suffit pas, aussi bon qu’il soit.

Pour ce qui est de Fire Punch de Tatsuki FUJIMOTO, un second tome d’une grande folie est venu enflammer mon intérêt, qui était déjà fortement titillé par l’histoire de vengeance sans pitié posé dans le premier volume. Le scénario, les protagonistes, le talent dans le rebondissement et l’excellente gestion de la time line, tout semble définitivement là pour que, sur les neuf volumes prévus par l’auteur, le lecteur prenne son pied. 

Ainsi, pour la sortie de ce deuxième opus la semaine prochaine, je voulais tenter de vous convaincre que l’on tient là un seinen tout sauf banal, avec les épaules pour devenir l’un des hits de l’année.

En route pour la critique.

Glace, famine et chaos : genèse d’une vengeance

Il ne reste plus grand chose de l’humanité… Dans un futur inconnu, plusieurs centaines d’années plus loin dans notre millénaire, la Terre est rentrée progressivement dans une nouvelle ère glaciaire, et l’humanité ne parvient plus à y faire face. Tout est recouvert par la glace et les températures continuent leur chute inexorable, année après année. Cette apocalypse a engendré famine et chaos dans la société humaine. Chacun tente de survivre dans son coin du monde mais les communautés disparaissent les unes après les autres, tout comme les notions de justice, d’éthique ou de bien commun. La quête pour la survie annihile chaque jour un peu plus la compassion ou l’empathie de chacun et ce nouveau monde devient un endroit hostile, où les États n’existent plus, remplacés par des pilleurs et des organisations barbares.

De plus, ce futur va de pair avec une autre évolution : des êtres avec différents pouvoirs sont apparus, les élus. Faculté de régénération plus ou moins prononcée, création spontanée de flammes, de métal ou d’électricité… Ces nouveaux dons changent évidemment la donne dans une société où la loi du plus fort est devenue la seule et unique vérité.

Néanmoins, on trouve encore quelques communautés qui gardent, à leur façon, un semblant d’humanité. Quelque part au beau milieu des étendues de glace un petit village réussit à survivre depuis qu’il a sauvé et accueilli le jeune Agni et sa sœur Luna. Ces deux adolescents, qui ont fuit après le meurtre de leurs parents par des pillards, font tout leur possible pour aider les membres vieillissants de ce village. Cela dit, leur méthode est assez peu commune. Dotés tous les deux d’une capacité de régénération notable, ils coupent régulièrement leurs bras pour les offrir comme vivres aux habitants ! Même si certains refusent de devenir cannibales et finissent par mourir une fois qu’ils sont à court de nourriture, le groupe, lui, survit…

Fire Punch © 2016 by Tatsuki Fujimoto

Fire Punch © 2016 by Tatsuki Fujimoto

Fire Punch © 2016 by Tatsuki Fujimoto

Fire Punch © 2016 by Tatsuki Fujimoto

Malheureusement, un beau jour, leur village a la malchance d’être sur le chemin de l’armée du royaume de Behemdorg. Revenant de bataille, le contingent oblige les villageois à leur fournir un ravitaillement. Tout aurait pu en rester là si les soldats n’avaient pas découvert les restes humains et l’anthropophagie à laquelle est contraint de se livrer le village. Dégoutté, le chef des soldats, un prénommé Doma, fait usage de son pouvoir : des flammes qui brûlent tout d’elles-mêmes, sans s’arrêter tant qu’elles n’ont pas tout réduit en cendre.

Le village est détruit, ses habitants calcinés. Le pouvoir de régénération d’Agni lui fait alors vivre un véritable enfer : il est brûlé vif en continu pendant plusieurs jours, le feu dévorant sa chair avant qu’elle ne se régénère et que le cycle recommence, à l’infini. Après plusieurs jours d’agonie et de convulsions, il découvre comment freiner son pouvoir de régénération et accueille la nouvelle d’une mort prochaine comme une libération… C’est aussi à ce moment qu’il parvient, en rampant, à retrouver sa sœur, au pouvoir bien plus faible que lui et qui est en train de vivre ses derniers instants.

« Tu dois vivre. » Voilà les derniers mots de Luna.

Fire Punch © 2016 by Tatsuki Fujimoto

Fire Punch © 2016 by Tatsuki Fujimoto

Fire Punch © 2016 by Tatsuki Fujimoto

Fire Punch © 2016 by Tatsuki Fujimoto

Ces mots emprisonnent alors Agni et le force à survivre pour suivre le chemin de la vengeance. Il faudra huit ans à Agni pour surmonter la douleur et supporter les flammes. Mais dorénavant, même s’il continue de brûler jour et nuit, il est à nouveau capable de marcher, et son objectif est limpide : retrouver et tuer Doma, après lui avoir infligé les pires souffrances possibles !

No Future…for you !

C’est la première idée d’intertitre qui m’est venue pour parler de ce seinen. No Future… for you !, ce slogan punk des Sex Pistols est une invective contre la société post flower power des années 70 où les espoirs d’une société harmonieuse ont été balayés dans la douleur. Toute une génération de hippies qui étaient persuadés qu’un nouveau monde était possible ont perdu leurs repères et leur foi en la société. Seul le disco et son esprit festif demeure dans cette nouvelle décennie, pour mieux faire passer la pilule, mais les punks sont bien décidés, musicalement au moins, à ne pas se laisser endormir. En gros, à leur époque, ils sont les premiers depuis bien longtemps à clamer que « ce monde de merde » en est bien un, qu’il faut le voir tel quel. Beaucoup de punks choisiront de vivre alors en marge de la société, d’autres aspireront à la révolte… d’où le slogan complet : No future, certes, mais « for you » dirigé vers la société bien pensante de l’époque et ceux qui la dirigent.

Rassurez-vous, il ne s’agit pas de dire que Fire Punch est un manga punk-apocalyptique, dans le genre c’est davantage MAD MAX qui peut porter ce flambeau grâce à son iconographie et son anarchisme au premier plan, mais ça n’empêche pas que Tatsuki FUJIMOTO reprend tous les éléments de la désillusion pour créer un nouveau monde, où ne subsiste aucun espoir, où les notions du bien et du mal sont absurdes, où la vie ne vaut plus rien… No future quoi.

FIRE PUNCH © 2016 by Tatsuki Fujimoto

FIRE PUNCH © 2016 by Tatsuki Fujimoto

Pour en apprécier l’originalité, il suffit de replacer Fire Punch parmi quelques œuvres post-apocalyptiques. Dans un manga (I am a Hero), à travers des films (Je suis une légende, Le jour d’après, La planète des singes) ou des séries (The Walking Dead), l’espoir est personnifié par le/les héros ou par le voyage qu’il entreprend. Cet espoir demeure parce que après avoir décimé les 3/4 de l’humanité, n’importe quelle catastrophe se doit de laisser un peu de place à quelques rayons de soleil, non ?! Et bien… Pas forcément. Si la fameuse hypothèse comme quoi « la nature trouve toujours un chemin » reste réaliste, que l’homme fasse partie de ce dernier, ça l’est beaucoup moins. Dans l’histoire de notre Terre, les Dinosaures y sont restés, alors pourquoi pas nous ?

En fait, dans les récits post-apocalyptiques, on nous présente souvent le sursaut de l’humanité face à l’adversité, dans les jours qui viennent juste après, et l’espoir renaît alors comme par magie,  même qu’on se tient la main tous ensemble et qu’on va refaire le monde et qu’il sera encore plus beau qu’avant ! \o/

Maiiiiiis bien sûr ! En plaçant son récit plusieurs générations après le début de la catastrophe, le mangaka propose une vision assez réaliste de ce qu’il peut rester de l’humanité dans un monde qui s’écroule depuis plusieurs générations. L’ère glacière est donc la catastrophe parfaite puisque ces dernières peuvent perdurer de quelques dizaines à quelques centaines MILLIONS d’années. L’action semblant se situer quelques générations après le début de cette période, il faudra ainsi attendre très trèèèès longtemps pour les lendemains qui chantent, et la chute des températures semble toujours en cours, donc le pire est à venir.

FIRE PUNCH © 2016 by Tatsuki Fujimoto

FIRE PUNCH © 2016 by Tatsuki Fujimoto

De plus, quand on y pense, les crises économiques récentes ont conduit à un populisme des plus dangereux pour la paix des peuples, donc que donnerait réellement l’arrivée d’une ère glaciaire dans notre monde actuel, une fois que ce dernier aurait compris que le miracle ne viendra pas ? Après tout, les changements climatiques du Moyen Âge, que nous avions évoqués il y a peu dans cet article, ont bien poussé des populations entières à attaquer celles qui avaient encore des terres fertiles. Certes il parait que l’humanité a bien évolué depuis mais face à un phénomène de l’ampleur d’une glaciation, notre civilisation parait bien fragile, et le chaos est une possibilité.

C’est donc un monde sans pitié et en guerre qui nous accueille – même si le côté guerre n’est pas encore détaillé dans le récit. Le territoire où se déroule Fire Punch est dominé par le royaume de Behemdorg qui constitue la seule force armée et organisée du coin, et qui fait donc ce qui lui chante, ramenant l’humanité 1000 ans en arrière : les femmes servent soit à soulager les soldats après la bataille soit, si elles sont moches, à procréer en boucle jusqu’à leur mort. Les vieux ne servent à rien et sont donc tués pour ne pas avoir besoin de les nourrir et les esclaves sont votre cadeau favori dès que vous montez en grade…

FIRE PUNCH © 2016 by Tatsuki Fujimoto

FIRE PUNCH © 2016 by Tatsuki Fujimoto

Néanmoins, dans ce récit, il y a des gens avec… des supers pouvoirs. OUÉÉ ! DES SUPERS POUVOIRS ! ON EST SAUVAAYYY ! /o/ \o\ \o/

Peeeerduuuuu ! Toujours pas.

Reprenant cet artefact du pouvoir, pourtant synonyme du super héros complexe mais cool dans notre société moderne, FUJIMOTO en fait l’objet d’une souffrance inédite. Etre brûlé vif 24h /24 et se tordre de douleur pendant huit longues années avant de pouvoir à nouveau respirer normalement, en voilà une quête initiatique sympathique dites-moi ! Sans compter que ces pouvoirs sont aussi à l’origine d’un système d’exploitation industriel des plus ignobles dans le royaume de Behemdorg. Je vous laisse découvrir cet envers du décors dans le second tome mais dites-vous que si vous avez du mal avec l’élevage des poulets en batterie, vous ne serez pas déçu.

En définitive « With great powers came great… » euh… great souffrances ! Seul quelques êtres supérieurs, plus ou moins déifiés par la population à son service, en profitent sans aucun respect pour la vie humaine.

Tatsuki FUJIMOTO présente un monde post-apocalyptique au fond du trou et une humanité qui se dirige de la pire des manière vers son extinction… dans un esprit de vérité très punk et tel qu’il pourrait bien être, honnêtement. Il annihile tout espoir de miracle pour le lecteur… Aux habitants de Behemdorg (et d’ailleurs) l’on fait croire à un super élu au pouvoir de glace responsable de la glaciation qui pourrait être vaincu, mais c’est un combat qui semble surtout justifier l’état de guerre permanent et donner un espoir pour garder le foule sous contrôle.

Le No Future est adressé à tous les humains de ce récit, car ils n’ont le choix qu’entre glaciation et esclavagisme, mais la vengeance implacable qui s’enclenche nous ramène aussi au fameux « for you » qui s’adresse à la caste sans pitié qui manipule les foules et en a fait du bétail. Ils vont tous devoir payer… et ils vont prendre cher.

FIRE PUNCH © 2016 by Tatsuki Fujimoto

FIRE PUNCH © 2016 by Tatsuki Fujimoto

L’immortalité nous glace, la vengeance nous brûle…

Désillusion, désespoir et révolte. La vengeance terrible qui s’annonce met donc en place un scénario assez solide mais, si l’on oublie deux secondes son côté extrême, le pitch est intense sans forcément être original. Agni, gentil et empathique de nature, doit combattre cette compassion pour mener sa vengeance… Les flammes et la souffrance sont là pour le lui rappeler. Une dualité intéressante mais assez classique – le combat lumière VS obscurité de la revanche dans les mangas – et sur la longueur pas sûr qu’il embarque les foules de lecteur derrière lui.

fire-punch-2-kazeMais, alors qu’Agni retrouve déjà son ennemi mortel – Doma, transformé en barbu pacifiste, la tuile – une jeune fille prend le manga en otage pour nous raconter sa vie, face caméra, façon making of du film qu’elle s’apprête à tourner, durant les 7 dernières pages du volume 1. Une cassure du story telling inattendue, qui n’est que la première d’une longue série de rebondissements que ce personnage, Togata en couverture du tome 2 ci-contre, va apporter.

Togata est une élue possédant un pouvoir de régénération très puissant qui avait décidé jusqu’ici de rester dans son coin. Ce qu’elle a fait pendant trèèèèès longtemps. Les élus qui possèdent ce pouvoir vivent en effet plus vieux, et vieillissent à peine d’ailleurs. Ils peuvent avoir une tête de jeune adulte malgré un compteur qui affiche 130 années. Togata est encore plus vieille que ça et c’est même une passionnée d’un art culturel aujourd’hui disparu : le cinéma. Regardant en boucle les classiques de notre époque qu’elle a hérité de son père, elle se contente de vivre dans sa bulle, offrant tout juste sa protection à quelques humains qui s’occupent d’elle et la libère des taches du quotidien en échange.

Seulement, voilà, Behemdorg a accidentellement détruit sa précieuse collection et Togata s’ennuie. Et un immortel ça en connait un rayon sur l’ennui, c’est même son pire ennemi. Après avoir buté le responsable Togata essaye de se faire sauter la caboche à l’explosif mais rien n’y fait, elle semble condamner à perdurer. Heureusement arrive sa rencontre avec Agni, qu’un de ses hommes croise par hasard, et voilà qui va tout changer. Un héros et une quête de vengeance : des ingrédients pour un sacré bon film, et Togata se sent l’âme d’une cinéaste. Elle est excitée comme une puce !

Togata, cette fan-girl d'Agni le héros

Togata, cette fan-girl « d’Agni le héros »

Cet engouement va rapidement dynamiter le chemin tout tracé d’Agni. En plus de sa faculté de régénération qu’elle maîtrise à la perfection, Togata est assez ancienne pour connaître parfaitement plusieurs arts martiaux, qui ont été oubliés avec le temps et que très peu de soldats connaissent, car ils s’appuient plutôt sur les armes et les pouvoirs des élus qui les dirigent. Togata est donc inarrêtable et son obsession pour son nouveau film va de pair avec je-m’en-foutisme assez jouissif : elle se tamponne complètement des risques qu’elle prend – elle les prend tous, d’ailleurs – et son absence d’humanité créé un décalage déjanté mais génial entre la réalité et le scénario du film qu’elle met en place. Summum de sa puissance, le mangaka suit même ses desiderata : lorsqu’elle trouve redondant un second combat de suite contre un élu au pouvoir de régénération – « Oh non, la poisse ! C’est nul si tout le monde a pareil !« , on tourne la page et hop, un bon dans le temps nous révèle un décor défoncé, révélateur d’un combat sans doute épique, avec un ennemi qui vient d’être vaincu.

Cette folie et cet intérêt exclusif pour son propre amusement est cependant à double tranchant, et heureusement. En ayant choisi Agni comme héros de son film, Togata pourrait devenir un Deus Ex machina venant résoudre tous les conflits et emmenant son héros direct vers la victoire, mais FUJIMOTO est plus malin que ça et va rappeler que Togata, comme les autres élus qui ont dépassé la centaine, se moque allègrement de son prochain, et n’ont d’intérêt que pour ce qui peut le sortir de l’ennui. Changer le Némésis d’Agni, le fameux Doma, car elle va le trouver beaucoup trop mou pour le rôle, ne lui poserait par exemple pas plus de problème que ça, et ce n’est qu’un élément d’une longue liste…

En plus de son scénario solide, Tatsuki FUJIMOTO – que Sui ISHIDA (Tokyo Ghoul) traite avec humour mais pertinence de déjanté ! – introduit donc un électron libre dans son récit, ainsi que quelques personnages secondaires qui vont incarner différentes opinions et chemins face à ce monde qui gèle, petit à petit : avoir la foi, perdre son humanité pour survivre, choisir de tout détruire, s’en moquer et profiter… Fire Force est un cocktail instable et explosif  mais totalement fascinant. Ce manga, c’est de la dynamite !!!

Fire-Punch tome 1Fiche descriptive

Titre : Fire Punch
Auteur : Tasuki FUJIMOTO
Date de parution du dernier tome : 23 août 2017
Éditeurs fr/jp : Kazé Manga / Shueisha
Nombre de pages : 192 n&b
Prix de vente : 7.99 €
Nombre de volumes : 2 / 6 (en cours – l’auteur en annonce 9 à terme)

Visuels : © 2016 by Tatsuki Fujimoto

Pour en savoir plus vous pouvez jeter un œil sur la preview ci-dessous ou sur l’interview découverte que nous avons réalisé il y a peu sur le site de Journal du Japon. Un minisite réalisé par l’éditeur Kazé Manga est aussi disponible, ici


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