Partager la publication "[Critique] LES PROIES"
Titre original : The Beguiled
Note:
Origine : États-Unis
Réalisatrice : Sofia Coppola
Distribution : Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Colin Farrell, Angourie Rice, Oona Laurence, Elle Fanning, Addison Riecke, Emma Howard…
Genre : Drame/Adaptation
Date de sortie : 23 août 2017
Le Pitch :
En pleine Guerre de Sécession, dans le Sud des États-Unis, un soldat blessé de l’armée des Nordistes, trouve refuge dans un pensionnat de jeunes filles. Alors qu’il se remet, il ne tarde pas à semer le trouble dans la petite communauté, attirant les convoitises de plusieurs des occupantes…
La Critique de Les Proies :
Ce n’est pas la première fois que Les Proies, le roman de Thomas P. Cullinan, est adapté au cinéma. En 1971, Don Siegel avait déjà dirigé son acteur fétiche, Clint Eastwood, dans un long-métrage qui a fait date. Aujourd’hui, c’est donc Sofia Coppola qui s’y colle, se frottant immanquablement à ce que beaucoup considèrent comme l’un des monuments du cinéma des années 70…
Lost in Sécession
C’est donc Colin Farrell qui a la lourde tâche de succéder au grand Clint dans cette nouvelle relecture du roman (oui, on dit relecture car c’est moins péjoratif que remake). Un acteur entouré d’un remarquable casting dominé par Nicole Kidman et Kirsten Dunst, qui retrouve pour l’occasion sa réalisatrice fétiche, qui, avec Virgin Suicides, a largement contribué à sa célébrité à la fin des années 90. Un film que l’on peut tout à fait analyser en tenant compte de ce Siegel et Eastwood avaient tiré de cette histoire, mais que nous allons essayer d’aborder de manière indépendante.
Récompensé par le Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes 2017, Les Proies brille il est vrai avant tout pour ses indéniables qualités esthétiques. Cinéaste très portée sur la forme, Sofia Coppola profite de cette aventure dans le Sud profond pour mettre en place une atmosphère palpable du plus bel effet. Et si sa réalisation est sans aucun doute brillante, contenant notamment des plans (on pense à celui de la fin), aussi pertinents que recherchés, c’est avant tout sa photographie qui emporte la mise. e photographie pastel, cohérente avec le cahier des charges du cinéma de la fille de Francis Ford, qui confère au récit une patine à part, qui encourage rapidement l’immersion. On progresse donc de prime abord entre les arbres gigantesques d’une région boisée dans laquelle se détache l’impressionnante battisse où se situe l’action. Une maison dont nous ne sortons que rarement, si ce n’est pour observer en compagnie de l’une des pensionnaires, les éclairs au loin, qui vont de pair avec le grondement des bombes sur le front. Avoir réussi à matérialiser afin de la rendre tangible, la menace de la guerre qui pèse en permanence sur les personnages, est l’une des prouesses que Sofia Coppola parvient à accomplir dans son sixième long-métrage. Plus exigeant, toujours sur la forme, que The Bling Ring, renouant avec les codes de Marie-Antoinette et bien évidemment éclairé par la classe et le charisme de la distribution 4 étoiles, Les Proies s’impose tel une fresque douce-amère, où la douceur des teintes et les sourires figés, cachent l’indicible.
Nord vs. Sud
Malheureusement, Les Proies pêche là où réussissait le Don Siegel, c’est à dire du côté de l’écriture. Si le script s’attache à ne pas perdre de vue le conflit qui fait rage à seulement quelques encablures de la maison, il tient aussi à donner le plus de corps possible aux romances qui peu à peu gangrènent l’ambiance au sein même du pensionnat, faisant de l’homme un élément perturbateur constant. Qu’il s’agisse par ailleurs du Nordiste campé par Colin Farrell, dont la présence trouble et interroge, ou des soldats qui passent fréquemment pour prendre des nouvelles ou récupérer des vivres. Un scénario qui souligne bien que la guerre est une affaire d’hommes, faisant des femmes des victimes désignées mais les changeant peu à peu elles-mêmes en soldats capables de défendre leurs intérêts, notamment en faisant front commun face à l’envahisseur, quel qu’il soit, au point parfois d’occulter pour cela les sentiments et les ressentiments. Mais… Plusieurs fois, au fur et à mesure que le film avance vers son dénouement prévisible, les dialogues et certaines réactions des personnages sombrent dans un ridicule gênant. Surtout du côté de Colin Farrell, dont la performance est irréprochable, si ce n’est quand il se voit forcé de suivre les inclinaisons bizarres d’un script qui l’oblige à adopter un comportement aussi erratique qu’involontairement risible. À plusieurs reprises qui plus est. On ne sait alors pas trop si l’ironie est volontaire ou non, mais une chose est sûre : cela nuit à la tension que tout le début de l’histoire a instauré. Les dialogues étant particulièrement bancals et constituant rapidement le gros point faible d’un film qui a un peu le cul entre deux chaises à force de trop vouloir nuancer son propos.
Malgré tout, le travail des actrices pèse indéniablement dans la balance, chacune étant, de Nicole Kidman à Kirsten Dunst, sans oublier la troublante Elle Fanning, en passant par les plus jeunes, Oona Laurence et Angourie Rice en tête, absolument irréprochable.
En Bref…
Débutant sous les meilleurs auspices, Les Proies reste une œuvre graphique tout à fait maîtrisée mais pêche par une écriture un peu balourde, qui sombre dans le ridicule et dans un romantisme à l’eau de rose qui tente maladroitement de faire une place à la violence sous-jacente des sentiments et de leurs conséquences. Au final, si il n’est en rien désagréable, Les Proies s’avère étrangement drôle par moment et un petit peu anecdotique. Trop en tout cas pour s’imposer comme un sommet du genre.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Universal Pictures International France